The Whispering Star : Fragile


 « Tu n’as rien vu à Hiroshima » mais tu aperçois Fukushima.


Her lips are soft and moist
With whisper, whisper, whispering whispers

Elton John, Whispers

Film feutré, film secret, The Whispering Star (2015) mérite son intitulé. La solitude et la finitude s’y expriment à voix basse, murmurent une messe idem de requiem à peine ponctuée d’un violoncelle, d’un aria d’autrefois. Infinité de l’espace, fin de l’espèce, pourcentage de désavantage, puisque 80 % d’intelligence artificielle contre 20 % d’humaine. Les cartons d’introduction et de condamnation prennent acte de la situation de science-fiction, du monumentalisme des errements, du minimalisme du temps restant. Si la science doit progresser, les bipèdes s’avèrent sur le point de s’éclipser. Le métrage millimétré, géométrique, sous l’influence mélancolique, claustrophobique, de Kubrick, celui de 2001, l’Odyssée de l’espace et Shining, adopte « l’amour » des hommes pour la distance et la durée. Sa lenteur défie le spectateur pressé, son picaresque funeste ne mène nulle part, égare l’amateur d’apesanteur. Yoko Suzuki ne rivalise pas avec l’astronaute de Gravity, Dieu merci. Elle se contente de délivrer des colis dont le contenu réifié, momifié, ressemble aux éléments silencieux d’un modeste musée. D’une planète à l’autre, d’une semaine à la suivante, la postière évite de devenir démente, machine à piles fossiles et à cigarettes peu politiquement correctes, croise deux ou trois destinataires solitaires, ensablés en vrai. La dernière étoile habitée en totalité par nos congénères, où règne la modération du son, cf. le diapason d’une cuillère, se présente sous la forme d’un couloir peuplé d’ombres chinoises, animées dans leur quotidienneté. Les chambres et les silhouettes en noir et blanc redoublent l’aspect visuel de l’œuvre, verrouillent l’absence de saveurs, de couleurs. Celles-ci surgissent cependant quelques secondes, paysage ensoleillé surcadré par une fenêtre de bâtiment à l’abandon, souvenir d’avant le pire, réalité alternative que matérialise le cinéma.






Jamais arty, toujours intéressant, malgré ou grâce à l’épure de son argument, l’ouvrage évoque évidemment Solaris de Tarkovski ou La Jetée de Marker. Pourtant, point de femme défunte à rechercher, à ranimer, à retrouver ici, plutôt une anémie généralisée, un robinet qui n’en finit pas de goutter, un thé répétitif à préparer. Dix, quatorze ou vingt ans parmi les astres, au-dessus du désastre, à errer esseulée, à enregistrer sotto voce son soliloque pour le morne clone, à dialoguer avec un ordinateur de bord pas si cinglé, à le chatouiller d’un plumeau ménager. Avec un décor économe, un récit riquiqui, une expressivité de la distribution à transformer les « modèles » de Robert Bresson en sommets d’hystérie, le versatile Sono Sion réussit à susciter l’immensité, la routine, la déprime, la stase d’un autre âge, qui nous attend patiemment. Il cartographie l’eschatologie à son propre rythme livide, il saupoudre d’humour une histoire d’achèvement programmé, déjà commencé. Le vaisseau dévitalisé paraît une maison surréaliste, une coquille d’escargot rampant sur le firmament. « Dans l’espace, personne ne vous entend crier » et moins encore des papillons prisonniers d’un plafonnier. Film auditif, tressage de textures, amas de ressassements jusqu’à l’épuisement, The Whispering Star constitue disons une étoile morte lynchienne, un voyage assourdi, un faire-part de décès adressé à l’humanité. Porté par Megumi Kagurazaka, vue dans Himizu, épouse et muse du cinéaste, magnifié par le travail du DP Hideo Yamamoto (Hana-bi, Audition, Visitor Q, Ichi the Killer), du décorateur Takeshi Shimizu (Desert MoonReal), il séduit et assoupit, envoûte et déroute, aussi étrange et familier que le cauchemar domestique et cosmique de Henry à Philly selon Eraserhead.






Davantage qu’un opus écologique pour festival environnemental, il s’agit d’un poème mutique, statique, destiné aux cinéphiles stoïques, auto-produit avec la complicité de la Nikkatsu (« depuis 1912 », précise le fier sous-titre chronologique). Sidéral et sidérant, Sono Sion multiplie les cadres immobiles, confère aux rares travellings latéraux l’impact d’un tsunami alangui. Il filme une femme comme Mark Elijah Rosenberg (Approaching the Unknown) & Andrew Martin (Capsule) filmaient des hommes, la voie lactée devenue une voie de garage, le no man’s land (et woman) d’aventuriers isolés, sur le point de se dissoudre au sein de l’indifférente éternité. Tandis que la téléportation écrase l’horizon, réduit le « romantisme » de « l’exotisme », The Whispering Star redéfinit la temporalité du/au ciné, l’assimile à la vitesse d’une tortue, donne à voir un chien de faïence littéral, spectral, à écouter le bruit joli d’une canette coincée au creux d’une godasse en marche. Vélo ou appareil photo, Yoko refuse, accepte et in fine expédie un colis dépourvu d’adresse, au contenu incongru, cohérent, désarmant – le cadavre en métal d’un soda stellaire. Le réalisateur l’imite, nous envoie ce film-là, à recevoir au cerveau, à réceptionner en été, à ouvrir afin d’accepter de mourir, de parcourir avec placidité, sérénité, des territoires vertigineux, dévastés. Chut… chut, chère Charlotte, recommandait naguère Robert Aldrich à Bette Davis, flanquée d’Olivia de Havilland & Agnes Morehead. À présent, taisons-nous à notre tour et laissons le lecteur découvrir, éprouver, la singularité inspirée du beau robot trop solo.



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