Nolaclark : Nola Darling n’en fait qu’à sa tête


Ouvrir les fenêtres de l’intime et aérer la chambre (verte, filiale) mentale…


On connaissait Audrey en critique, photographe, bloggeuse, journaliste : la voici réinventée, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, en artiste graphique.

Parce que les mots ne lui suffisaient plus (à qui peuvent-ils suffire, sinon à ceux qui s’en payent, dans leurs imbuvables ambitions présidentielles ?), parce qu’elle se sentait parmi eux un peu à l’étroit, parce que l’esprit s’avère, pour le meilleur et plus souvent le pire, inséparable du corps.

La voilà travaillant de ses mains, enfin, découpant avec ses doigts fins des images pas si sages, dont elle révèle, en adroits collages évocateurs, la poésie naturellement polysémique.

L’Occident aime à signifier, à relier les éléments, à raconter d’édifiants récits, afin de conférer en vain un sens à l’existence, beau défi dérisoire placé sous le double signe de l’intelligence et de la beauté, qui suffirait à racheter, à grandir, à partager.

Elles ne suffisent pas, ne suffisent jamais, tandis qu’au final triomphent les démons familiers de l’espèce, la laideur, la bêtise, la souffrance (subie, à faire subir), la solitude, la maladie et la mort.

Leurs ombres affleurent ici – et comment pourrait-il en être autrement, puisque notre auteur possède un corps, un parcours, un regard, qui n’appartiennent qu’à elle et se retrouvent en chacun, pourtant ? –, mais Audrey (contrairement à votre serviteur, enclin aux autodafés, à la drôlerie désespérée, à l’analyse lyrique, ou voulue telle) parvient à les tenir à distance, à les dominer, à les inverser, dompteuse généreuse et inspirée.

Laissons à l’internaute le plaisir de sa découverte, de la reconnaissance de visages, de paysages, d’œuvres gentiment détournées, recomposées avec rigueur et liberté, pour saluer la douceur et la candeur de l’ensemble, pertinent, en devenir.

La clarté d’écriture – « Tu peux être tellement dur avec certains… Qu’est-ce qui te plaît tant, dans la mienne ? » (Toi, justement, car l’une exprime l’autre, sans l’asservir, la réduire à cela) – guide la découpe et l’assemblage, le caractère ludique du montage spatial et temporel (deux réalités hétérogènes placées sur le même plan) « saute aux yeux », fait sourire, émeut.

Que l’on nous prête les plus noirs desseins, que l’on nous couvre de crachats honorifiques, que l’on s’effarouche de notre prose sudiste, insulaire et sanguine – nous n’écrivons pas pour « cirer des pompes », pas même les escarpins de la demoiselle, nous ne louons pas pour récolter les remerciements (appréciables), voire une (discutable) bonne réputation.


Ces quelques lignes, rapides, se justifient par la qualité des travaux exposés, par le charme de la galerie en ligne, puisque la bienveillance s’interdit la flagornerie.

Dans ce monde volontiers immonde, où l’on s’habitue à tout, surtout au plus vil, à ce qui tire vers le bas, obscurcit les yeux de l’âme, l’élan spirituel vers un au-delà ou un absolu (seul un athée matérialiste devrait se permettre d’exiger cela, au risque inoffensif du ridicule), des fleurs inattendues et parfaitement logiques – cf. « la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie », noces atroces et loquaces ravissant Lautréamont grimé en Maldoror – éclosent parfois, sur la Toile et ailleurs, dans la « vraie vie », au Nord, durant la trentaine, avec une passion féline pour le cinéma et bien d’autres choses ou gens.

Parcourez donc ce musée imaginaire au féminin (l’identité féminine, un leurre de plus, on s’en fiche), cette invitation au voyage colorée, légendée, en français et en anglais, perdez-vous avec joie dans ces aperçus d’une sensibilité, d’un questionnement, d’une foi (en soi, en autrui, en l’art et la vie).

Vous ne le regretterez pas, croyez-moi, vous en reviendrez plus fort, plus confiant, plus rassuré sur le sort d’une certaine humanité, avec l’envie d’y retourner, de pratiquer, une autre fois, l’interprétation et l’exégèse, ou la dérive sensuelle et intellectuelle entre les îlots de papier scannés, fertiles énigmes offertes en lettres d’amour discrètes et en autobiographies rêvées.

Prompte préface de catalogue esthétique ou simple salut amical impudique (et sans retouche), ce texte t’appartient, Audrey, comme une partie de mon attention, de mon temps, de mon cœur – mais cela, tu le savais déjà.          


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