Aftermath : Les Chroniques de l’Après Monde : Les Ruines
Trilogie dite des Qatsi « et compagnie »,
« planant » Yann Arthus-Bertrand ? Ou bien une singulière
odyssée à espérer, comme en secret ?...
Récit eschatologique et euphorique,
narré avec un détachement (canadien) constant, cet essai de prospective
appliquée, abreuvé aux sources disparates mais reliées de l’écologie, du film
catastrophe, du millénarisme, de l’éducatif, de la SF et des travaux spéculatifs
du journaliste Alan Weisman (Homo disparitus en VF), débute
de nos jours en juin à Berlin et s’achève 25 000 ans plus tard, dans le
froid polaire enserrant la planète Terre (l’hémisphère nord, surtout),
légèrement détournée de son orbite « habituelle ».
Stephen Milton (scénariste et
producteur) John Whitcher et Barry McMann (monteurs), Christopher Rowley
(réalisateur et producteur), signent ici une chimère alarmiste et ludique,
documentaire fictif (oxymoron de saison) que l’on imagine plausible sur le plan
scientifique, description découpée en secondes, minutes, heures, jours, mois,
années, siècles, d’une disparition, celle, bien sûr, de l’espèce humaine,
seulement et brièvement présente à l’ouverture et durant l’épilogue en fond de
générique.
S’il semble s’inscrire, en surface et
à l’échelle télévisée (co-production de National Geographic Channel, diffusée en
simultané avec le similaire Life After People du concurrent
« sensationnaliste » History), dans un sillage hollywoodien
exemplairement illustré par, disons, Emmerich ou Petersen, le film se distingue
très vite de ses prédécesseurs sur grand écran.
Son apocalypse, en effet, ne donne à
aucun moment dans la redécouverte des vertus communautaires, dans l’épopée
internationale (voire volontiers américaine) de survivants décidés à surmonter
les « rigueurs du climat », au sens littéral de l’expression, à
pratiquer la concorde « bio » après les errements mortifères du
capitalisme généralisé, pollueur de consciences, de territoires, d’imaginaires bien
connu, souvent pourfendu de manière scolaire par ses enfants gâtés et ingrats.
On ne nous ressert pas, Dieu merci,
l’édifiant destin collectif en parabole pétrie de bonnes intentions lucratives,
puisque les hommes quittent bien vite la scène (Population Zero
indique le sous-titre de la VO), la laissant, en bonne logique édénique, aux
animaux (dressés), nouveaux rois et anciens maîtres remontés sur le trône, même
contaminé au plutonium.
Ceci nous vaut un détour vers le
documentaire animalier, avec attaque de chiens cannibales (si, si), rats russes
occis par la nourriture « atomique », éléphants grelottant aux
oreilles gelées, lémuriens prisonniers et terrifiés derrière leurs vitres de
zoo.
L’œuvre ne rechigne certes pas aux
effets, de son (coups massifs soulignant la chute à répétition de fenêtres
d’immeubles, par exemple) ou de montage (l’exposé des « répercussions »
du titre frise l’épilepsie iconographique, avant qu’un rythme plus posé ne
vienne accompagner le compte-rendu des jours d’après), mais elle s’interdit
aussi la surenchère spectaculaire, se bornant à enchaîner quatre « morceaux
de bravoure » (l’explosion du barrage de Glen Canyon, la submersion de son
homologue Hoover, le double effondrement de la tour Eiffel et de la Statue de
la Liberté) avec une retenue de bon aloi, ma foi, imputable en partie aux
crédits budgétaires, sans doute, également à l’esprit de sérieux de l’ensemble (pas de
répliques puériles ni de sermons mormons – on respire et on remercie).
Certains critiqueront le rendu des
CGI, mettront en cause l’exactitude des modélisations, des chiffres, des
évolutions : cela ne gêne guère le plaisir pris au visionnage et au ton
particulier adopté.
Sous ses allures de « mise en
garde » à « message » (il ne s’agissait que d’une « pure invention »,
la planète peut se passer de nous, pas l’inverse, conclut la rassurante et
inquiétante coda, tandis qu’une
gamine en maillot s’ébroue sous un jet d’eau citadin, dépositaire éveillée de
l’avenir, pour les étourdis qui ne suivraient pas), la projection affiche tout au long de ses quatre-vingt-dix minutes
sans temps mort une misanthropie décomplexée, assumée.
Fi du désespoir irriguant les
mélodrames hyperboliques de l’usine à rêves et à cauchemars, voici un
procès-verbal en forme de portrait à charge, où les bipèdes pensant brillent
par leur absence et les conséquences éphémères (« sous l’aspect de
l’éternité », dirait Spinoza) de leurs forfaits.
In fine, le bassin ne refroidissant plus
les déchets nucléaires, bombes ensevelies dans des sarcophages fragiles (les sphinx,
les pyramides et la Grande Muraille survivront au phallus d’Eiffel, à
l’allégorie de Bartholdi, monuments provisoires ou politiques inexorablement rouillés
par l’usure du temps), fera « profil bas » face au puissant Colorado
délivré des murs en béton transformant son cours en énergie, et les pins rougis
par l’irradiation reverront leur feuillage reverdir, alors que la jungle couvrira sans faillir l’asphalte des villes désertes, à Paris,
Londres, New York ou Las Vegas.
Plutôt qu’à la fin du monde, nous
voici conviés à celle de l’Homme, à une renaissance « résiliente » permise
par sa carence définitive, tout autant mystérieuse, en dépit du texte off objectif, factuel, chronologique
(écho du canular martien de Welles), que celle des Mayas dans leur propre « enfer
vert » (parallèle itou de l’auteur-enquêteur).
Demain les chiens, oui, et tant mieux ainsi, même si
ceux-ci, contrairement aux personnages sur pattes du roman de Clifford D.
Simak, ne prennent pas la parole au coin du feu pour se raconter nos vies
annihilées.
Au-delà des clins d’œil et des
relectures – tel plan de chameaux se restaurant/divaguant dans un cimetière
évoque l’errance inaugurale, dans un décor pareillement funèbre, des jeunes
gens de La Nuit des morts-vivants ; l’amputation du bras « flambé »,
la décollation de la dame couronnée, renvoient vers l’ultime image, « iconique »,
de La
Planète des singes ; le souvenir liquide et rural de Tarkovski
épouse l’actualité passée de Hiroshima, Tchernobyl, Katrina, clairement cités
–, Aftermath :
Les Chroniques de l’Après Monde déploie une utopie négative, à
favoriser davantage qu’à redouter (Houellebecq s’interrogeait à raison sur la
vraie nature de la dystopie chez un Aldous Huxley : avertissement ou
assouvissement ?), teintée d’une stimulante ironie stellaire (une
empreinte, « carbone », de botte, une automobile immobile, un drapeau
à l’horizontale, signes lunaires, artefacts
intacts, de la feue Présence humaine).
Au spectateur d’approuver (avec un
sourire solitaire) ou de refuser (par élémentaire humanité) cette vision de
l’avenir, qui résonne (et prolonge) évidemment avec les « théories Gaïa »
d’une interdépendance « homéostatique » des êtres,
« animés » ou non, d’une auto-régénération planétaire, d’un
épanouissement (belle scène de la fleur multicolore, ouverte en accéléré tel un
joyeux sexe féminin, retravaillant un motif courant de l’imagerie scientifique,
maîtresse du temps et du gros plan microscopique) naturel une fois éteinte la race des tourmenteurs, pilleurs,
bonimenteurs (et artistes, en Afrique ou en Australie, mais l’opus fait l’impasse sur cette nature-là
et sur ces continents pourtant pas lointains, impliqués dans la métamorphose globale
déjà active).
Il convient donc de saluer à sa
mesure, partiale mais plaisante, cette sorte d’animatique « grandeur
nature », ce regard un brin réactionnaire porté sur le devenir terrestre
et celui, problématique, de ses « locataires ».
Au bout de la nuit revenue d’entre
les lumières artificielles (des casinos dans le désert, des mégapoles voraces
d’espaces), une fois atteint l’assourdissant silence des bêtes, des végétaux,
des torrents (un peu de cela, dans ce déferlement de plans, de données, d’archives,
d’événements non plus reconstitués à l’imparfait ni au passé composé, mais anticipés
au futur, voire à l’impératif, biblique ou écologique), l’épiphanie des ruines
(en plastique, increvable cellulaire avec personne en ligne) advenue, peut
enfin surgir et régner (pour longtemps, qui sait) un nouveau monde, plus
radicalement étranger que l’imprévu cartographié par Colomb.
En bon littéraire se délectant
d’autodafés (en pensée), en bon cinéphile n’ignorant pas la précarité d’une
pellicule, en bon citoyen « écoresponsable » pratiquant le tri
dérisoire de ses déchets ménagers (de surcroît dépourvu de véhicule et de
téléphone mobile, croyez-le ou non), ce renversement de valeurs (végétarien,
à défaut de nietzschéen), finit par emporter notre sympathie, à contre-courant
de la bonne conscience estampillée verte, des prophéties (justifiées et
justifiables, hélas) des cassandres assignées à la « protection de
l’environnement » (et qui pour nous protéger de nous-mêmes, alors ?).
La beauté romantique du chaos, la
poésie du désastre, le regain (second sens spécialisé du terme aftermath) après le rien, la table rase
en promesse d’extase impersonnelle, cosmique : discutable et souhaitable
programme, dont ce joli mensonge nous donne un précis et convaincant avant-goût,
pas mauvais du tout.
Très beau billet dense et quasi hypersensible sur un sujet difficile, l'inconséquence humaine étant ce qu'elle est, chaque goutte d'eau rafraichissante apaise la tête en feu rien qu'à tenter de penser la catastrophe...
RépondreSupprimerPrières muettes pour le respect de la vie..
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