Balades à Biarritz
Exils # 1 (10/02/2023)
Dans Le Voyage à Biarritz (Grangier, 1963), titre programmatique, le spot impérial apparaît presque un paradis d’utopie, une forme de graal familial. Idem père amer, Fernandel doit déjà se déplacer, même seulement en pensée : il ne s’agit pas encore de retrouver une fille prostituée (Le Voyage du père, Denys de La Patellière, 1966), mais cette fois un fils ingrat. Escorté d’une Arletty délocalisée, le Provençal rêvasse donc à cette destination, à cette réunion. La brume d’écume, ou du plâtre des façades, car Biarritz semble souvent en travaux, sans cesse rénovée, partie perdu d’avance contre l’érosion, l’abandon, la morte-saison ; le soleil aussi blanc que le crémeux ou mousseux océan en mouvement ; la pénurie de passants, en dépit d’un hiver quasi caniculaire – tout ceci confère en effet à la petite ville maritime un aspect fantastique, une aura onirique, une saveur sucrée salée de songe instantané. Ainsi, aujourd’hui, à demi endormie, Biarritz se dévisage en doux et rude mirage, calme et fantasque, en filigrane basque. Ses plages et ses promenades se parcourent à pied, comme ses églises et ses commerces. Le chrono biarrot impose au touriste son tempo moderato ou molto lento. À Biarritz, rien n’arrive, tout survient, l’essentiel au sensoriel se tient. Des Russes en tribu, des Espagnols et des Japonais point pressés subissent, complices, l’étrange et engourdissante temporalité, décident avec désinvolture de l’adopter. Sur les nombreux bancs, chacun prend son temps, pris au piège du sudiste sortilège. Aux surfeurs souriants et féroces l’effort ; aux oisifs inoffensifs une philosophie de la mort. La dame âgée, dotée d’une alliance dorée, peut-être veuve, qui sait, assise à proximité, ne se soucie en vérité de l’horloge dénudée de l’hôtel de ville placide.
Elle regarde ce qu’elle seule
aperçoit, ce qui ne se ressent qu’en soi. Solitaire et insulaire, voici une
sirène silencieuse, une rescapée en train de dériver. Élégante et absente,
perdue dans le ressac du passé, témoignage mutique d’un faste nostalgique, elle
symbolise la cité ensoleillée, ensommeillée, autant ouverte et offerte aux
éphémères visiteurs que fermée sur elle-même, refermée par la mer. Biarritz
peut jouer le jeu de la perspective, a fortiori hispanique, sa place des
Basques, en rime à la place bayonnaise homonyme, annoncer l’horizon par manque
d’attention. En réalité, elle (se) respire en circuit fermé, elle conjugue le
présent, cyclique puisque océanique, mythique et stimulant, à l’imparfait,
celui d’un lendemain dépassé, d’une éternité renouvelée. Au royaume des
fantômes, les vivants font semblant, d’être des bourgeois, pourquoi pas, des
locaux, des mondiaux, un clochard à barbe blanche et manteau noir, des femmes
en maillot ou topless, aux silhouettes d’athlètes, des enfants se
défiant, tu tiens sur ta planche ou tu flanches. Le paysage appelle à la
parade, le spectacle se duplique et se décalque. Telle l’invention de Morel,
Biarritz ne saurait en définitive évoluer, hologramme à moitié animé par la
marée, projection répétée d’une séquence scellée, fragment fugace et tenace de
fable figée. Dommage pour Adrienne Barbeau à sa radio (Fog,
Carpenter, 1980), les spectres se suscitent seuls et in situ, pas
si malvenus que les vengeurs de naufrageurs, le phare, bonhomme, borne en
somme, n’effraie ni ne trompe personne. Ceux qui traversent l’oasis de Biarritz
devront disons s’enivrer d’une illusion, au cosmopolitisme fantasmatique et au
parfum d’embrun.
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