Le Retour du cinéma : Les Métamorphoses
L’effet Lazare, privé de hasard, Balthazar se marre…
En 1996, Antoine de Baecque &
Thierry Jousse retracent avec brièveté, simplicité, la chronique d’une mort
annoncée, pas celle de García Márquez puis Rosi, plutôt celle du ciné,
formulée/expérimentée par Serge Daney. Dès l’incipit de sa partie proustienne logiquement intitulée Le Temps perdu du cinéma, l’historien
souligne la supposée nécessité de la cinéphilie, car « Le cinéma a besoin
que l’on parle de lui. » Avant d’en venir à l’auteur de Persévérance
ou de L’Exercice a été profitable, Monsieur, titre bien sûr emprunté
à une réplique des Contrebandiers de Moonfleet (Lang, 1955), il revient sur la
Nouvelle Vague & André Bazin, relation de filiation par procuration reproduite
par Daney à la recherche de son propre père disparu, à Auschwitz ou aux USA, il
ne le sait pas. Lycéen bouleversé par Nuit et Brouillard (Resnais, 1956),
Daney décide donc de devenir un cinéphile, un « ciné-fils »,
« un enfant du cinéma », s’enivre de trois
« vérités » : « l’enchantement », de préférence
hollywoodien ; « l’enregistrement », principe d’évidence, sinon
d’innocence, de « l’ontologie » bazinienne ; le
« spectacle » de la projection, instant crucial d’intimité
collective. Les années 60 relativisent, voire détruisent, cette confortable
trilogie, et Mai 68 démontre l’absence du ciné espéré politique, entraîne un
« refus de voir », une volonté de (re)lire Lénine, Mao, Baader. Après
le cinéma classique, moderne, expérimental des décennies précédentes, voici les
blockbusters étasuniens et les films
« de prestige » européens des années 80-90. Lucide, mélancolique, peu
nostalgique, Daney devient tour à tour « nouveau spectateur »,
« iconoclaste », « dévoreur d’images ». Tandis que les « vies
synchronisées », critique et filmique, s’achèvent en tandem, le cinéma ne meurt pas, pas tout à fait, il (se) survit, eh
oui, en (grand) mutant, à la fois « vieillard » et « jeune
homme ».
L’ancien rédacteur en chef des Cahiers
du cinéma énumère ces métamorphoses point moroses, souvent stimulantes.
Via Kubrick, le ciné s’avère ainsi
psychédélique. Grâce à Cronenberg & Zemeckis, émules de Frankenstein, il
figure « de nouveaux corps », alors que les tueurs innés de Stone
procurent une catharsis énergétique, bye-bye
à la dimension morale. Quant à Woo, Kitano, aux frères Coen, à Jarmusch &
Ferrara, ils prolongent et décuplent le maniérisme mortel, mental, de Melville,
Leone, Peckinpah. Resnais, Ferran, Ramis, McTiernan pratiquent l’interactivité,
Duras, Akerman, Haneke, Egoyan, Kubrick, Carpenter immergent « le
spectateur dans la machine » et la « cablophilie » redéfinit la
cinéphilie qui, autrefois « d’essence verticale, généalogique et
historico-empirique », ensuite « mimétique », acquiert, durant
les années 90, une forme « horizontale, digitale et rhizomatique »,
salutations à Deleuze, quitte, pourquoi pas, à retrouver, à défaut de son aura enterrée, « face à la menace
du tout-culturel », du nivellement, de l’amnésie, « deux conditions
fondatrices de l’ancienne cinéphilie : la clandestinité et un certain
dandysme ». L’ouvrage prend congé par une dispensable discussion avec
Arnaud Desplechin, à propos du « malaise du cinéma français »,
peut-être davantage celui de la critique hexagonale, d’auteurisme, de
littérature, de « pensées incarnées » filmées par la caméra,
d’anti-américanisme, de réalisme et de « l’utilité aujourd’hui » du
ciné : « pouvoir à nouveau nous faire croire au monde ». En
résumé, un petit essai à trois voix assez sympa, lecture estivale ne causant
aucune fatigue cérébrale, se gardant bien de n’inventer rien, pourtant plaisant
par sa fluidité synthétique, sa vélocité modeste. Et le cinéma, dans tout ça,
loin ou près de Serge Daney ? En 2019, presque immortel, il démoralise
molto, comme un vieux-vil sou neuf.
Serge Daney sur le cinéma
RépondreSupprimerEt le cinéma, je vois bien pourquoi je l’ai adopté : pour qu’il m’adopte en retour. Pour qu’il m’apprenne à toucher inlassablement du regard à quelle distance de moi commence…
Au sujet du ciné, on peut vite passer de l'adoption, voire de l'adoration, à la détestation, même sans se nommer JLG...
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