Cul-de-sac : Rob Roy


Suite à son visionnage sur la chaîne  d’ARTE, retour sur le titre de Roman Polanski.


Si Cul-de-sac (1966) se souvient de Psychose (incipit, générique), des Oiseaux (volatiles à volonté, automobile immobilisée), de Mais qui a tué Harry ? (gamin armé), il anticipe aussi Les Chiens de paille de Peckinpah, nettement moins sympa, tout en reprenant le tandem SM du Gros et le Maigre (1960), où figurait déjà un certain Katelbach, tout en débutant la veine disons anglaise du réalisateur, qui comprend Le Bal des vampires (1967), Macbeth (1971), Tess (1979), Oliver Twist (2005) et The Ghost Writer (2010). Polanski l’exilé apprécie l’insularité, s’accapare le huis clos, cf. les échos claustros du Couteau dans l’eau (1962), Répulsion (1965), Rosemary’s Baby (1968), Le Locataire (1976), Lunes de fiel (1992), La Jeune Fille et la Mort (1994), Carnage (2011) ou La Vénus à la fourrure (2013). Ici, sur ce bout d’Angleterre au bord de la mer, de l’amer, se croise Walter Scott & Samuel Beckett, deux marlous à mitraillette et un frigo de dingo dédié aux omelettes. Contrairement à Susan George, la gracieuse, moqueuse et regrettée Françoise Dorléac, dotée de la voix de sa célèbre sœur, ne se fait pas abuser, sodomiser, mais le bien nommé Dickie parle « d’exploser son minou » et de l’habilité de son doigté. Au terme du ho(m)me invasion, Teresa, fessée au ceinturon, l’accusera du pire, formulera son désir, à faire frémir les féministes, comme Judy Davis chez David Lean (La Route des Indes, 1984). Durant un moment molto viscontien, l’épouse « poufiasse » travestit son mari, tel Roman Polanski à Paris, en location, en dépression. Donald Pleasence ne la séduit plus, il plaît cependant beaucoup au spectateur rieur, avec sa dickhead idoine et son assassinat (du malfrat, solide Stander) presque par accident. Tandis qu’un cerf-volant se pend parmi les lignes téléphoniques, possible souvenir de M le maudit (Lang, 1931), la provinciale communauté du film choral évolue avec vivacité, sans aller nulle part, on se marre, titre français explicite, please, et connoté anal, pas mal.




En 1978-1979, Polanski interprétera sur scène le malchanceux Lucky de En attendant Godot et le boss invisible, au téléphone, des fuyards falots, rigolos, peut-être homos, du mélimélo, baraque que détraque Brach, ressemble à la divinité évanouie, guère miséricordieuse. Film drolatique, satirique, britannique, donc film de classes, Cul-de-sac met à sac deux couples patraques, en déroute, assortis d’un petit comité, remarquez « Jackie Bisset », sur la courte durée, deux jours + une nuit. Ceci suffit à Polanski pour cartographier, escorté par le jazzy « Komeda », sa troupe de fadas, pour esquisser un portrait en reflet de la masculinité troublée, pour inverser les rôles de la comédie sociale. Les maîtres et les domestiques, les tyrans et les esclaves, les alcoolisés et les déguisés, les envahisseurs et les vétérans valsent de manière doucement virtuose pendant cent cinq minutes de tumulte. Le cinéaste cadre au cordeau, pratique le plan-séquence, nage nue et dialogue ad hoc, fait exploser une bagnole « quasiment neuve » et imploser son gentil théâtre de la cruauté. Gilbert Taylor éclaira itou Répulsion, Docteur Folamour et Frenzy, trilogie alerte en correspondance plus ou moins directe avec Cul-de-sac. Sur la presqu’île habile, murés par la marée malicieuse, les crabes humains se maltraitent, se trompent, s’enterrent, finissent seuls, Hamlet ou femmelette, à regretter sur un rocher la dear Agnes détestée. Au creux du décor gothique, romantique, se joue ainsi une tragi-comédie contemporaine, aventure à la Antonioni revisitée par l’humour polonais, tendance Gombrowicz. Tourné dans la difficulté, récompensé à Berlin, Cul-de-sac élabore une fragile « forteresse » ne reposant sur rien, une farce un brin salace, où les femmes s’en sortent, où les mecs boivent la tasse, pas que la flotte, plaisants prisonniers pitoyables de l’impasse de la passion, de la survie et de la modernité.


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