La Paloma : La Femme de mon frère


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Helmut Käutner.


« Je ne suis pas une colombe » affirme Gisa rebaptisée fissa d’après la célèbre chanson marine, mais Hannes n’en démord pas, s’illusionne, se désillusionne puis s’en va, marié à la mer, amen. Avec une quinzaine d’années de retard, l’estimable Käutner (Le Général du Diable, 1955, lisez-moi ou pas) acclimate le réalisme supposé poétique, l’associe à du drolatique, se souvient, un peu, de L’Ange bleu (Sternberg, 1930), de La Femme du boulanger (Pagnol, 1938), autre trio desafinado. Néanmoins la différenciation des attractions et la différence d’âge ne suscitent aucun naufrage, malgré de ponctuels échos musicaux molto mélos. Au terme de sa double aventure à terre, d’abord amère, ensuite amoureuse, l’accordéoniste quitte bel et bien la piste, largue les amarres de la rancœur, de l’erreur. Quelque chose de l’univers de Fassbinder fait ici surface, l’anticipe, puisque le cinéaste évoque une communauté guère exemplaire, décrit de vrais gens, animés de vrais sentiments, pas des pantins parfaits pour nazis cinéphiles. Logiquement, le grand Goebbels censura tout cela, n’autorisa sa distribution qu’à l’extérieur du Reich évidemment irréprochable. La mélancolie, l’impression d’avoir gâché sa vie, le frère affreux, rédimé par la malaria, par une volonté de s’amender in extremis, le cabaret un brin bordel, les entraîneuses malheureuses, un inceste par procuration, ceci risquait de démoraliser la nation, reproche déjà formulé par Renoir à l’encontre de Carné, de son dépressif quai embrumé. Le réalisateur-scénariste ne juge jamais ses personnages, dotés d’une candeur incontestable, d’une douleur qui les rend fréquentables, les préserve du misérable.



Le moment le plus troublant du film réussi, filmé/photographié avec un soin très teuton, se situe de nuit, durant un silence à peine troublé par un… perroquet ! Alcoolisé, Hannes rentre chez lui, trouve Gisa gisant sur le canapé ; il sourit, se frotte le menton, s’avance, il pourrait abuser d’elle, il y pense peut-être, jusqu’à ce qu’une caisse d’affaires appartenant au défunt fraternel ne lui remette la tête et le reste en place – alors il se penche au chevet de la jolie jeune femme endormie, parfaite ménagère, hébergée locataire, héroïne libre (de la rue de la Grande Liberté) et libérée (des quolibets), afin de remonter sur elle son manteau, de lui offrir une pomme, probablement du Paradis. Ce moment modeste et majeur symbolise l’enjeu dramatique et la qualité du regard le donnant à voir, à écouter, car La Paloma ressemble aussi à une comédie musicale en mineur, où le collectif du spectacle accueille l’intimité, la vérité du cœur, cf. le beau numéro d’Anita, émouvante amante presque maquerelle. Dépourvu de salauds, délesté de salopes, esquissé avec une caméra calligraphique, dynamique, assorti d’une tempête atmosphérique, very germanique, d’une scène de rêve freudienne, sillage local du ciné de la psyché, restauré comme il faut par la fondation Murnau, La Paloma séduit à chaque instant, mérite vraiment sa (re)découverte estivale. Bien escorté par un équipage ad hoc, mentions spéciales à Hilde Hildebrand & Ilse Werner, l’excellent Hans Albers, admirez ses yeux bleus mis en valeur par un surprenant clair-obscur, jadis croisé selon L’Ange bleu, bis, On a tué Sherlock Holmes (Hartl, 1937) ou Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen (von Báky, 1943), éclairé idem par Werner Krien, incarne un « amuseur » capable, in fine, de refuser le malheur, de ne pas ruminer son dessillement, de dépasser son pénible passé.


« Transfiguré » par ses performances, pourvu d’une pipe à la Maigret, Hannes dit adieu au cirque littéral, amical, complimente à sa manière sa « patronne », cesse de jouer les guides, d’exhumer, vexé, son carnet d’escales, et sa joie finale rejoint celle du spectateur. En 1944, l’Allemagne possédait, Dieu merci, ce visage ami, savait, sous la romance, accorder une seconde chance, derrière l’anecdotique, livrer un ouvrage politique, sur une cité, Hambourg, d’ouvriers obstinés, audacieux, victorieux, de plaisirs simples, sur la Cité, comment vivre ensemble, sans trop se tromper, double sens, se blesser. Pour résumer, nulle maldonne à cet Hippodrome, plutôt un bateau enfin sur l’eau…


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