La Dernière Fois que j’ai vu Macao : Lisbonne Story
Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur
le titre de João Pedro Rodrigues et João Rui Guerra da Mata.
Davantage qu’au compatriote,
contemporain, intéressant et peu convaincant Tabou de Miguel Gomes, on
pense à Wenders en découvrant le nouvel essai, terme littéraire, du réalisateur
de O
Fantasma, déjà une fable surfaite de fantasmes et de fantômes, d’où
l’intitulé au sens dédoublé, de chiens, de ville et de relations homosexuelles.
Comme chez l’Allemand cosmopolite, le voyage extérieur et intérieur à base
d’une similaire invitation-disparition en chanson(s) constitue au final une
réflexion méta tramée au documentaire urbain, assortie ici d’une dimension
mythologique, sinon eschatologique. L’ombre temporelle et mémorielle de La
Jetée ou India Song tamise aussi le commentaire en
voix off, dédale documenté filmé
en numérique dont le narrateur ne sacrifie même pas à la visibilité reflétée de
La
Dame du lac de Robert Montgomery au miroir, en POV de privé. Cinq ans
après cet opus de 1947 sortait Le
Paradis des mauvais garçons, Macao en VO, de Sternberg + Nicholas
Ray, tandem de remplacement très
encadré par Howard Hughes en producteur-serviteur énamouré de Jane Russell. On (ré)entend
son chant d’amante au début de La Dernière Fois que j’ai vu Macao, à l’occasion d’un numéro nocturne de cabaret
délocalisé, exécuté par un travesti en play-back bientôt victime d’une
exécution, contre une grille et des tigres, quelque part entre Roselyne
et les Lions de Beineix et Talons aiguilles d’Almodóvar. Les
apparences trompent ouvertement et révèlent une vérité fictive, imaginée via des images contaminées en mode
Marguerite Duras par une subjectivité en surplomb, en oblitération. Sous ses
atours de thriller de retour, sous
ses allures de mélodrame mélomane, l’ouvrage peut ainsi envoûter par sa propension à
transcender une réalité, à sonder son possible mystère au moyen d’une simple
bande-son.
Durant cette errance de malchance, où
l’on se donne rendez-vous, où l’on se rate, où l’on communie, un assassinat
marin équivaut à des détonations solipsistes, à un bruit humide, se situe dans
le hors-champ complice et imaginatif, à la Lynch, de l’oreille. De la trop
douce Candy, corps transgenre cristallisant le métrage, résidente en danger de
la rue Saudade, domicile amusé, connoté, il ne restera qu’un escarpin presque emprunté à Ténèbres, renversé
par une voiture, une lettre hermétique évoquant la fameuse année 2012, baisser
de rideau risible sis treize années après la rétrocession de la colonie
portugaise à la Chine. Des quatre siècles d’occupation lusitanienne, il demeure moins encore, à peine quelques cantines ethniques et un poster de Cristiano Ronaldo. Film de spectres sonores, de secte
zodiacale, film de fin du monde pressentie et de fin du cinéma, d’un certain
cinéma, en tout cas, pas seulement hollywoodien, aperçue, donnée à voir, La
Dernière Fois que j’ai vu Macao peut également rebuter car il se refuse
à pratiquer la suture des univers, laisse à chacun, récit et réel hétérogènes,
sa part d’énigme, d’immanence, d’artificialité. Au bout de ses courtes et
longuettes quatre-vingts minutes, l’humanité, jusqu’alors ensemble de
silhouettes anonymes, figurants à l’arrière-plan, se voit enfin figurée dans sa
proximité sous la forme de statues de musée préhistorique, ironique, en coda musicale aimablement kubrickienne, remember le désastre folâtre de Docteur Folamour. Macao,
enclave de Chine occidentale, se transforme en royaume du règne animal, peuplé
de canidés errants, de chats miaulant, d’oiseaux chantant. La nature naturellement
victorieuse des biographies, des narrations, envahissait au préalable le
terrain de jeu martial du prélude à coup de flashball
au hasard homicide. En cela, ce film bicéphale rime avec Aftermath : Les Chroniques
de l’Après Monde et Homo Sapiens, pareilles rêveries
sereines, étayées, guère nostalgiques, au sujet de l’extinction de l’espèce
bipède.
Le passé composé proustien du titre
projette la quête amicale, peut-être amoureuse, dans un passé au carré,
désaccordé du présent des événements filmés. Au Macao des João en duo,
l’autobiographie se métamorphose en autofiction, quitte à ne pas toujours
fonctionner, sans sombrer, Dieu merci, dans la dérive d’auteurisme arty ou l’itératif d’installation d’art
dit contemporain. Le protagoniste absent de l’écran se perd plusieurs fois, le
spectateur inattentif ou impatient peut se perdre dans son sillage, à son
image. Des félins gonflables, des enseignes asiatiques, un Astro Boy géant, une
sirène incertaine, le gondolier d’une Venise virtuelle à la Mondwest
sur le Smile du Chaplin des Temps modernes, un opéra
chinois et ciné à la TV, un étal de poissons brillants, un rat mort au sol, une
cage aveuglante en échange et en réminiscence de la boîte de Pandore atomique
ouverte par Robert Aldrich dans En quatrième vitesse, une roulette
de casino inerte, des visages de mannequins maquillés, des photos rétro
ressuscitées des seventies, des
caméras vidéo de surveillance, un escalier à la Welles qui s’évida de La
Splendeur des Amberson, encore une chronologie mortifère et austère,
une paire de bas dans l’eau, la mention d’une certaine Madame Lobo, au
patronyme à la Saura, éminence grise en robe colorée, déplaçant attablée et
mains bagousées son zoo domestique en bois taillé, un cimetière fragmentaire,
identitaire, une grotte utérine peuplée de peintures, de bouddhas, une
absurdité généralisée, énoncée, une opacité associée à un pressentiment de
mort, une apparition de pierre et toute une faune acoustique, une atmosphère
d’état d’urgence et la placidité d’une cérémonie religieuse, d’innocents
pétards et des coups de pétard de polar, des cadavres sans noms et un prénom
gravé sur du bambou, un grand pont embrumé, un coucher de soleil suivi d’un
phare et d’une cité embrasés, fin de l’Histoire et de toutes les histoires à la
Antonioni de L’Éclipse, avant un épilogue d’architecture dépourvu de futur,
de présence humaine, dirait Houellebecq : autant d’épiphanies
matérialistes, de signes séduisants et/ou inconsistants, à interpréter à son
gré, malgré soi.
Co-production franco-portugaise sous
l’égide du CNC, du CNAP, de l’école Le Fresnoy, La Dernière Fois que j’ai vu
Macao distille un humour discret, cf. par exemple la remarque sur les
restaurants de jadis aujourd’hui disparus aux menus de minous, et un charme
inabouti, un brin inanimé. Nos deux réalisateurs/monteurs/conteurs ne méritent
ni les louanges extrêmes ni les outrages acerbes, tandis que leur vrai-faux
reportage porte témoignage du caractère ludique et démiurgique du montage,
opération de précision et d’inspiration rétive à l’illustration. Certes, on pourrait
reprocher à l’exercice de scénarisation d’après documentation sa vanité
inoffensive, mais l’on passerait alors à côté de sa singularité, de sa
sincérité, de sa modestie, même funeste. Curieusement et logiquement, à
l’instar des items cités supra, leur film fixe et gracile
n’exhale pas une odeur de mausolée snob,
plutôt un parfum d’exotisme intimiste, familier, de phénoménologie appauvrie,
volontiers à la surface, constamment creusée par des strates d’image-temps, un
salut à Deleuze, par un désir de dramaturgie dramatique in fine avorté dans le
grand silence des animaux seuls survivants. Voyage au bout de la nuit situé du
côté de la vie, vers la lumière d’une aube manufacturée, transposée, éclairée à
l’électricité, ce Macao-là vaut le détour d’un soir, d’une heure vingt, d’une sorcellerie
audiovisuelle à trois voix, rajoutons donc celle de Cindy Scrash, à plusieurs
lectures, à l’intérieur de la diégèse et bien sûr au-delà. La meilleure part de
La
Dernière Fois que j’ai vu Macao réside sans doute dans son
positionnement dialectique, trouble et stimulant, au carrefour des influences
et des impermanences, des registres et des trajectoires, à la fois terminus et renaissance du cinéma,
lui-même odyssée immobile, mimétique, autarcique, plastique, politique et
abstraite, par expérience confrontée au frisson métaphysique du dehors et à l’hypothétique
folie d’autrui.
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