Dancer in the Dark : Les Humeurs de Brieuc Le Meur
BLM par JPM ou le contraire, mon cher…
Novelist, photographer and producer, comme
l’indique le profil professionnel en ligne ? Disons davantage et surtout
poète, artiste polyvalent et polymorphe, à l’instar de la perversité du même
nom attribuée aux enfants par ce plaisantin obsédé de Sigmund. Brieuc Le Meur se
(dé)multiplie mais ne s’éparpille pas, il varie les supports afin de dérouter/semer
la mort – créer revient-il à autre chose ? –, il se partage avec ses
collaborateurs, ses suiveurs, sa danseuse, car animé par un sens du partage
évident, l’une des bases essentielles de l’expression, ou alors elle
s’apparente à un pur onanisme régressif, autarcique, dit de niche, à la niche. Il aime jouer avec les mots (moi idem), les sons, les images, il ne trace pas de frontière
arbitraire, éphémère, entre les genres – qui n’existent de toute façon pas, a fortiori
au cinéma – et les temporalités, celle figée de la photographie, celle en
mouvement du ciné, celle apparemment instantanée (en réalité la plus abstraite,
cf. l’imagerie du X) de la vidéo. Voici des paysages de pluie à la Antonioni,
des visages voilés, des vers écoutés sur le nuage sonore, des architectures de
ville et de nature. Voilà la main tendue d’une femme nue, la solitude connectée
d’une adolescente allemande à lunettes dans un escalier. Ailleurs, l’auteur se reflète
au miroir d’un club, fantôme dédoublé
en Auddie. Notre voyageur européen – pas l’Europe de Bruxelles, pas celle de
l’épuisante PAC ni de Sarajevo violée, l’Europe des géographes, des arpenteurs,
des esprits qui éclairent un continent imaginaire – nous entraîne dans un périple
intérieur, où croiser des corps, des encore, des signes de modernité couplés à
une prégnante intemporalité. Il ne s’agit pas d’un travail arty, il convient de souligner la modestie de l’entreprise,
cependant radicale et singulière.
Brieuc (je me permets de l’appeler
par son prénom, il me pardonnera sans doute cette amicale familiarité) ne pose
pas, il préfère faire poser. Ses modèles, heureusement, conservent leur
spontanéité, leur vitalité, générosité du regard porté sur elles et eux.
Actuellement, il monte un métrage autour d’un obscur démon et néanmoins chacun
de ses gestes, chacune de ses présences, se situent clairement du côté de la lumière
(Lucifer nous illumine jusque dans son patronyme). La jeunesse rime ici avec la
sincérité, la juste distance de la voix, de la caméra, de l’objectif immobile
autorise à pénétrer dans un monde individuel et sensoriel, ouvert et
mystérieux, triste et radieux. Par humeur(s), il faut donc entendre un double
sens, psychologique et organique. Le Meur, amouré du monde et de Berlin, ville
démoniaque (dirait Lotte Eisner) et espace d’assomption (corrige Wenders aux
anges humains, trop humains), son QG de cœur au carrefour des cultures et des
axes en parallaxe, des trajectoires de l’Ouest vers l’Est et inversement,
puisque l’ancienne césure de la cité représente désormais une cicatrice presque
invisible, apaisée, tant les événements vont dorénavant plus vite que nous
tous. Maître de la lumière, par conséquent du noir et blanc, chorégraphe irradié
aux faisceaux croisés-colorés (exit
le fascisme, bienvenue chez Lynch), Brieuc Le Meur élabore depuis bientôt
quinze ans une œuvre cosmopolite et polysémique au charme immédiat. Si l’on y
songe un peu (mieux vaut ne pas y penser trop), on dénombre mille et un motifs
de se flinguer, hier et aujourd’hui – pourtant subsistent deux ou trois raisons
de vivre, un sourire de vieillard, un parfum féminin, une chanson pop et poignante, la peau d’une pêche,
la saveur d’un vin (je ne bois pas, cela ne m’empêche pas de ressentir ce
plaisir).
La beauté (pas celle de la
publicité), l’intelligence (pas celle de l’intellectualisme), l’échange (pas
celui des échangistes, quoique), le lecteur et la lectrice de notre prose pas
morose ni ingrate (merci pour la citation !) les découvriront, les
retrouveront, cette porte passée, aux liens en série. Qu’ils n’hésitent pas à
sortir de leur zone de confort, de ressassement, de lassitude (et de
solitude). Qu’ils conservent longtemps l’envie d’être séduit, de vouloir
relayer les vraies valeurs du temps présent. La poésie, plus personne n’en lit,
hélas, tant pis, pas même votre serviteur, littéraire de malheur, elle se tient
toutefois en soi, elle ne cède pas, elle se loge dans les interstices de notre
intériorité (ou médiocrité), à la surface des choses et des êtres. Courageux et
audacieux, BLM (casse-toi, DSK) ne baisse pas les bras, il réalise, il réagit
(à mes insanités sur FB), il se bouge et surgit à la périphérie de ma vie, qui
se fout des réseaux supposés sociaux, qui les remercie pour provoquer de telles
rencontres. Je ne connais pas Brieuc mais je commence à reconnaître son
travail, à l’apprécier y compris dans l’altérité : aucune appétence pour
le narcissisme de la glace, alors vive nos courtois désaccords en matière de films.
En achevant ce court portrait – une invitation et non une présentation – je
sais déjà qu’il résonnera aussi en vous, qu’il saura vous parler, vous
interroger, vous inquiéter, vous réchauffer au sein d’un environnement
(numérique, médiatique, politique) réfrigéré. Danser dans la nuit ? Pas
avec Lars, ou Björk, plutôt avec lui, allez.
https://lepetitjournal.com/berlin/brieuc-le-meur-entre-cinema-photo-musique-et-danse-berlin-290252
RépondreSupprimerUne critique a appelé le film une « dystopie machiste » et c’est presque cela !
Supprimerhttp://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/05/for-daemon-ceremonie-secrete.html?view=magazine