Le Corrupteur : Bad Teacher
La « mauvaise graine » pousse partout, mais s’épanouit particulièrement
dans ce manoir Tudor en plein cottage, sous la main très experte et les paroles
éloquentes d’un « jardinier » sans sa lady Chatterley…
En 1971, peu avant sa rencontre fructueuse
avec Bronson dans la « jungle urbaine » de New York et d’ailleurs (le western béhavioriste
Les
Collines de la terreur puis la trilogie satirique/controversée du Justicier
dans la ville), Michael Winner ose un prélude aux Innocents : si
l’ambiguïté fantastique caractérisait le beau mélodrame féminin de Jack Clayton, au noir et
blanc racé (Freddie Francis derrière l’objectif), exemplairement adapté du
brillant exercice de style « conservateur » signé Henry James par
Truman Capote, Le Corrupteur opte résolument pour le réalisme gothique,
ironique et mélancolique propre à un cinéaste dont la filmographie reste à
redécouvrir, sinon à réévaluer (cf. notre critique de La Sentinelle des maudits).
Conte de fées pour adultes sur l’éducation, le désir et la paternité (par
procuration), huis clos puritain sur l’éternelle guerre des genres sexués (Les
Proies de Siegel en écho), fantasme théâtral (pièce originelle de
Michael Hastings) autour de la « scène primitive » si chère aux
« psys », cinéphiles ou non, The Nightcomers (titre original
évocateur et explicite) baigne dans une folie sexuelle crue et en clair-obscur
– l’antithèse du mordoré Reflets dans un œil d’or – qui nimbe
la « perversité » de Brando, ogre dérisoire adepte des sophismes
(rappelant Joseph Cotten dans L’Ombre d’un doute, similaire
parabole sur la perte d’innocence), et la sensualité de Stephanie Beecham
(substituée à Vanessa Redgrave), gouvernante énamourée du bondage et des coups de fouet, d’une aura datée, celle des
libertaires et contradictoires seventies,
« parenthèse enchantée » abouchée à l’avènement de la pornographie (partition
lyrique et ludique du grand Jerry Fielding à l’unisson).
Winner, réalisateur britannique,
n’oublie pas sa conscience sociale, fil rouge de la cinématographie nationale,
et délivre autant une étude de (mauvaises) mœurs qu’un portrait de classes
(luttant pour l’orientation des « héritiers »). Cette Séduction
des innocents – pour reprendre l’intitulé d’un célèbre essai américain
hostile à la BD paru en 1954 – aux mains (et surtout aux esprits) sales,
relecture inspirée/inversée de La Nuit du chasseur (ici, les
bambins ne fuient plus le Mal mais lui courent après, littéralement, dès le
début, et finissent par l’imiter, avec un fatal succès, alors que le surmâle déflore une vierge offerte moins terrifiée que Shelley Winters), s’achève par un double
parricide œdipien en diable, grâce
auquel Flora et Miles rejoignent ingénument Regan (L’Exorciste) et Damien (La Malédiction)
au « vert paradis des atrocités enfantines » (Baudelaire nous
pardonnera ce pastiche de son nostalgique et utopique poème Moesta
et errabunda, l’un des derniers des Fleurs du mal, justement).
Le
Corrupteur rime encore avec Les Révoltés de l’an 2000, jeu de
massacre absurde et solaire, vengeur et antifranquiste, tandis qu’il annonce,
étonnamment, A Serbian Film, catalogue amateuriste et opportuniste (alibi
génocidaire ou métaphorique), trop scandaleux pour être honnête, itou basé sur la reproduction spéculaire
et les fantômes du passé (individuel, collectif), avec triple suicide familial
à la clé (après le montage-attraction d’Eisenstein, le montage-répulsion de Srdjan
Spasojevic). Attention, les enfants regardent (seconde gouvernante noyée,
sous les yeux d’Alain Delon !) pourrait être ainsi la morale d’une audacieuse
fable pédagogique digne de son exhumation,
admirée naguère à la TV durant une diffusion tardive, et Sir Stephen (le maître
d’O sous la plume impitoyable de Pauline Réage), la véritable identité
honnie/convoitée du rustique Peter
Quint…
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