Carnage : Beaucoup de bruit pour rien


Suite à sa diffusion par France 2, retour sur le titre de Roman Polanski.


Maître du huis clos depuis ses débuts (Répulsion, Cul-de-sac puis Rosemary’s Baby ou Le Locataire), Roman Polanski filme avec virtuosité quatre personnages dans le salon (et la cuisine entrevue) d’un appartement faussement new-yorkais, décoré à prix d’or, paraît-il, à Bry-sur-Marne, en train de parler pendant une heure vingt : il faudrait projeter cet opus court, récréatif et « en temps réel » dans toutes les écoles de cinéma (pas seulement polonaises) pour analyser le brillant de chaque plan, de chaque cadre, de chaque angle. Tandis que Hitchcock nouait La Corde (pour se pendre) en plans-séquences cousus les uns aux autres – et l’on pense bien sûr beaucoup à cette comédie noire, théâtrale et dérangeante d’un cinéaste déjà cité avec la folie de Catherine Deneuve ou l’errance drolatique de Harrison Ford dans Frantic –, tandis que Fassbinder encerclait Roulette chinoise, pareil petit jeu de massacre domestique, de caractéristiques et rapides travellings circulaires, de brefs panoramiques-raccords baroques, notre cinéaste pratique un découpage de chaque instant, une dentelle de montage qui répond au souffle ample, paranoïaque et posé de l’écran large et gris de The Ghost Writer (Kim Cattrall, en blonde hitchcockienne sous-estimée, filmée comme jamais, pas même chez Carpenter).



Hélas, trois fois hélas, ce formidable exercice de style tourne vite à vide (tel un hamster dans sa roue, pas celui abandonné dans la  rue par le quincaillier, ou tel le téléphone portable coulé dans les abysses colorées d’une gerbe de tulipes), malgré le sourire constant du spectateur et le brio du quatuor (mentions spéciales à Jodie Foster, en caricature hurlante et larmoyante du « politiquement correct », et à Kate Winslet, en émule alcoolisée de Linda Blair dans L’Exorciste, auteur d’un mémorable geyser de vomi venant atterrir sur le costume de son mari et les livres d’art de son hôte hystérique, même si Christopher Waltz et John C. Reilly, découvert naguère dans Outrages signé De Palma, ne déméritent pas, au contraire), à cause d’un scénario sans cesse superficiel (Yasmina Reza ? On en reste à l’autrement plus spirituelle lutte des classes et des sexes chez Mankiewicz). Renvoyons donc, en matière de « vrai » carnage – et le réalisateur connaît mieux, ou pire, qu’un autre le sens cruel de ce terme – à Macbeth et au Pianiste, avec leur horreur royale/historique plus terrible encore d’être tenue hors-champ ; ici, les gamins, dans un parc inaugural à la Blow-Up, finissent par se réconcilier loin de leurs géniteurs-guignols, qui s’avèrent, in fine, inoffensifs car convenables : « We’re all decent people », en effet – et Carnage, loué par la critique mais échec commercial, aussi froid que le clafoutis mis au frigo, aussi tiède que la canette de Coca-Cola inappropriée, au final bien trop propre sur lui pour nous séduire vraiment…

        

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