Freddy sort de la nuit : Les Ensorcelés
Dans un univers annexé par son principal concurrent (imaginaire), les
écrans, de TV ou de la psyché, se substituent aux miroirs, absents, de la « nuit
américaine », sur Elm Street ou ailleurs…
Méta cinéma, assurément, de la
première scène (un tournage « de rêve » virant au cauchemar) à
l’ultime plan (l’héroïne-actrice lit à son fils, tel un conte, celui de Hansel
et Gretel, au hasard, « à dormir debout », le scénario du
film que nous venons de voir), avec Heather Langenkamp, remarquable, dans le
rôle spéculaire d’une carrière, avec le staff
de New Line en figurants lors d’un enterrement (de la franchise ?) et son fondateur en producteur (Robert Shaye, le
meilleur ennemi de Wes Craven), avec des clins d’œil à foison aux grands
ancêtres dans la séquence de l’autoroute, morceau de bravoure aux transparences
oniriques convoquant les ombres de King Kong, La Mort aux trousses et L’Aurore
(sans compter la trame possédée de L’Exorciste
en fil rouge du récit, ni les mèches
blanches de la vraie-fausse Nancy, héritées de La Fiancée de Frankenstein,
ni la petite lucarne bleue débranchée, nocive, d’après les psys, aux « chères têtes blondes », empruntée à Poltergeist),
avec, surtout, la mise en abyme (et en abîmes, bien sûr) littérale du
réalisateur, personnage pirandellien de son propre mauvais songe – propriété « revancharde »
et auteuriste désignée par le titre
original – et acteur inquiet/amusé de sa fable sur les effets « collatéraux »
du film d’horreur (la célébrité, l’adulation, le confort matériel et une
culpabilité « latente », voire « manifeste »). Comme
Rembrandt ou Hitchcock avant lui, amateurs de natures vraiment mortes et d’anatomies psychiques, notre cinéaste au look universitaire (un volume de Stephen
King trône toutefois sur son étagère) s’inscrit à l’intérieur d’une œuvre
réfléchissant, dans tous les sens du mot, sur elle-même, sur le (mauvais)
genre, sur la relecture de sa « mythologie » (bis repetita du plafond sanglant et du cunnilingus téléphonique, Krueger,
en retrait, changeant de mode vestimentaire via
un long manteau et un Borsalino, de privé
ou de gestapiste, son gant griffu devenu une extension organique de sa main, en
rime avec le pistolet recouvert de tissu cicatriciel arboré par James Woods
dans Vidéodrome).
Capturer/encapsuler le Mal, capable
de déchirer la fine membrane du « réel » rassurant et du quotidien
sans danger, dans un artefact
(filmique) adulte et drolatique, au risque de son évasion-intrusion dans le
monde réel de la diégèse, à force d’errances commerciales et d’usure libertaire du filon, le conjurer dès
l’enfance via une noirceur très
littéraire (merci, Bruno Bettelheim) pourrait être la (double) morale de cette
parabole sur la perte de l’innocence et la traversée de toutes les apparences,
où s’endormir signifie mourir, où la réalité s’avère encore plus ironiquement
dangereuse que le sommeil (accident de voiture ou au terrain de jeu, tremblement
de terre en hommage aux lézardes murales de Répulsion). Film pour les
professionnels (de la profession godardienne) alors que le munchesque Scream
s’adressera au public (adolescent) « ciblé » par ce type de longs
métrages – dixit Craven himself –, Freddy sort de la nuit
(saluons pour une fois le belle infidèle de la traduction française), septième volume
complexe et populaire de la saga qui rapporta pourtant le moins, se lit aussi
en mélodrame maternel et trauma œdipien « en diable » : dans Les
Griffes de la nuit, la jeune fille fuyait un père (truqué) incestueux,
rêvant le film avant qu’il n’envahisse sa vie en coda (à l’instar du contemporain Leone avec Il était une fois en Amérique,
souvenir-présage proustien et opiacé à l’aune du film de gangster hollywoodien) ;
ici, l’enfant (et les sortilèges) cauchemarde la mort violente de son père et
le prix (élevé) à payer pour coucher dans le lit de sa maman, ce que souligne
le carton ludique du générique. Le final barkerien, cathartique et symbolique
(des orifices, des serpents, un œil crevé, une langue phallique, un avalement
de visage), au sein du décor étrusque
de l’ouverture, orné de portails incandescents ouverts sur les sept péchés
capitaux, plonge dans les eaux troubles et matricielles de Shéhérazade,
conteuse pour sauver sa peau, jouvencelle et sorcière dans la fournaise d’un
désir pervers et létal. Heather, prisonnière d’un corps et d’une fiction (le
statut de n’importe quel spectateur), y terrasse son dragon personnel et
commence enfin à faire son deuil de survivante, en une pietà WASP amère mais apaisée…
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