Le Jour des masques

 Exils # 138 (23/10/2025)

Derrière la devanture du titre français façon Lon Chaney se dissimule un divertissement de mise en abyme, explicite intitulé d’origine. Avant d’identifier un film, il servit à désigner une émission de télévision, devint de Gassman le surnom. Moins mélangé, raconté au passé, Il mattatore (Risi, 1960) suit ce succès, Le Pigeon (Monicelli, 1958) paraît prolonger. Mais le système D de la délinquance souriante, tragi-comédie de darwinisme social, se mâtine d’histrionisme, d’un dilemme espiègle. Petit bourgeois très à l’étroit, Gerardo Latini étouffe gentiment chez lui, revoit et revit sa vie, s’émancipe in extremis, vive le volant, merci les complices. En coda colorée, cerise surprise sur le gâteau noir et blanc élégant, il dérobe illico des bijoux britanniques royaux, boucle bouclée pas sans rien de l’interprète shakespearien. L’Homme aux cent visages relie ainsi Pauvres millionnaires (Risi, 1959) et Le Fanfaron (Risi, 1962), dont l’adaptation de traduction, psychologique et péjorative, renvoie vers la vedette suspecte, le matamore, voire le matador, en or, qui trouve la consécration de sa vocation en prison, puisque public incapable de se carapater, à l’opposé du premier en liberté, plutôt porté sur les quolibets. Acteur moqué, arroseur arrosé, escroc casé, le vaincu Vittorio ne peut savourer la douceur attentive et jadis vindicative d’Anna Maria Ferrero, encore et au carré compagne de Gassman, autant convaincante en épouse aux fourneaux qu’en chanteuse en solo, glace aveuglante, robe accorte + plumes dans le dos. À la célèbre madeleine de Marcel se substitue le chandelier du quémandeur démasqué, invité à partager un café, entre confrères, on se comprend, on ne se repent. La structure épisodique de l’opus rappelle bien sûr celle du film à sketch, spécialité locale, cependant le scénario solide et collectif, spécialité locale, bis, manipulé à plusieurs mains par les incontournables Age & Scarpelli, Continenza, Maccari, Scola, parvient à éviter la camelote du patchwork, possède une séduisante fluidité.

Correctement éclairé par Massimo Dellamano, ensuite dirlo photo des westerns de Caiano & Leone, cinéaste intéressant de Mais... qu’avez-vous fait à Solange ? (1972) ou Émilie, l’enfant des ténèbres (1975), le (auto)portrait ironique et miroité implique une troupe ne servant la soupe à son axe principal, panoplie de personnages supports d’un picaresque immobile, à domicile. Comparses des deux sexes, curé en toc, industriel en berne, général peu génial, bijoutier baladé, comptable calé, j’en passe et des pires, s’agitent en satellites, esquissés avec empathie, fi du mépris, cependant pour l’instant démunis du drame et de la mélancolie peu à peu présents chez Risi. Croisée au creux des Nuits de Cabiria (Fellini, 1957) et du Cri (Antonioni, idem), Maria Luisa Mangini, dite Dorian Gray, aussi suicidaire que le modèle schizophrène, compose une arnaqueuse gracieuse, véritable amante et vraie-fausse mariée du transformiste enlaidi. Tandis que Hollywood pratique la dite comédie du remariage, L’Homme aux cent visages constitue le contraire, associe l’alliance de l’union à une acceptée détention. Misogynie de Risi ? Observation lucide d’un second confortable conformisme, après celui du fascisme, en train de s’installer, dont le candide étudiant Trintignant fera fissa les frais, dépassement et dérapage tel un retour funèbre du réel, final cut d’accident versus périple hédoniste. Gassman déploie et emploie ici une large gamme, Hitler à la Lubitsch et Garbo pour paparazzo. À l’instar de Peter Sellers, il ne dévoile en définitive qu’un mystère, le sien et de ses pairs, illusion comique à la Corneille, paradoxe à la Diderot, plaidoyer poétique et démonstration ludique des puissances d’un comédien capable d’incarner avec brio un cabot. Si l’existence à une scène s’apparente, Bill opine, se tisse d’apparences, manie le rire et les larmes, estimable mélodrame, l’exercice ne manque de prestance ni de style, Il mattatore ne m’endort, durant ses cent minutes de drolatique tumulte, réminiscences d’arracheur de dents, songes et mensonges de mari charmant, confession au salon, fuite ni futile ni infantile.                               

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