Au non du père

 Exils # 135 (20/10/2025)

Dragons d’introduction, affrontement sanglant, auquel répondra la main coupée de la sorcière aristocratique et mélancolique, sens médical du terme, puisque liquide noir au lieu de rouge. Après ce prologue, écho de chaos, « l’instabilité règne sur le royaume de Terremer », réplique en rime avec celle, économique et politique, de la France d’aujourd’hui, pardi, un père royal se fait planter par son fils infernal, scène originelle, quasiment « primitive », dont la dimension symbolique stimule bien sûr l’interprétation psychanalytique. Si ceci ne suffit, voici aussi du marché esclavagiste et du commerce addictif, première dose offerte, dépendance à perpète. Cette noirceur délestée cependant de complaisance, à relativiser lorsque comparée aux histoires du soir des Grimm, Perrault and Co., constitue l’un des motifs thématiques et dynamiques du film, la quête d’équilibre ne saurait par conséquent occulter l’obscurité au cœur des adultes comme des mineurs, de quelle manière elle cohabite en compagnie de la lumière, conflit capital, mystique autant que moral, qui ruine le rassurant manichéisme. Contre la colère puis l’apathie, il convient donc d’opter pour la vie, oui, mot mantra de Molly Bloom & Kate Bush, de délaisser l’épuisant et stérile désir d’immortalité, solution moins douce qu’amère, demandez au highlander Lambert, d’accaparer l’inéluctable à la Camus, d’apprendre à mourir à la Montaigne, d’avoir envie de vivre, en définitive. Gros carton de Gorō fiston, Les Contes de Terremer (Miyazaki, 2007) ne se limite ainsi à « tuer le père », congédie les tendances suicidaires, pas seulement adolescentes ou locales, (re)présente une apologie en plein air. Saint Michel démontait le Dragon, Arren, dans le sillage de la sienne, admet la double nature de Therru, monstrueuse et démunie de malice, montrée in extremis.

L’ouvrage convaincant du cinéaste débutant, héritier discret le projet paternel reprenant, (ré)ordonne une sorte de kaléidoscope à l’écart de la camelote, au creux duquel croiser un prince au désert plus complexe que celui de Saint-Ex ; une ruralité celtique style David Lean, où le visage abîmé d’une gamine meurtrie redessine la cicatrice faciale de « l’archimage », se substitue à la tonte immonde, collective et en public, de La Fille de Ryan (Lean, 1970) ; un antagoniste sombre et livide aux faux airs de sylphide, Albator pas mort ; le « vrai nom » des choses et des êtres, c’est-à-dire leur dénomination surnaturelle, n’en déplaise à la vindicative et ancienne magicienne, devenue marchande de tissu ; une culpabilité reconnue, assumée in situ ; une famille recomposée, la mère à demi elle-même revenue d’entre les mortes, tendre et forte, reflet renversé de la reine arrogante et inconsciente. À la fois fidèle et infidèle à la célèbre saga d’Ursula, critique à moitié magnanime, plutôt qu’inspiré par un opus méconnu de son « castrateur » et encombrant papa, Miyazaki manie l’implicite taoïsme, le soft féminisme, non l’animisme, l’œcuménisme. En dépit de correspondances à distance ni Heidi selon Takahata ni L’Empire contre-attaque (Kershner, 1980), ni Le vent se lève (Hayao Miyazaki, 2013) ni Le Garçon et le Héron (Hayao Miyazaki, 2023), Les Contes de Terremer anticipe sur un mode épique et fantastique le (mélo)drame sentimental, historique et heuristique, au pedigree pareillement compliqué, de La Colline aux coquelicots (Miyazaki, 2012), « pastel consensuel », je m’auto-cite, tant pis, encore co-écrit avec la scénariste Keiko Niwa. Sans remettre en cause sa sincérité, on pourrait lui reprocher d’être parfois démonstratif, mais jamais de ne valider la détestation et le dolorisme de notre époque médiocre.

Rétifs au cynisme, à l’égoïsme, à l’exploitation de la planète et des espèces, y compris l’(in)humaine, les larmes et les rires d’Arren « transpercent » en sourdine le cœur du spectateur, conquis par un acte de foi a cappella. Et cet exercice de « résilience », insipide tarte à la crème de la psychologie moderne, s’apparente en vérité à une valeureuse traversée des apparences, du miroir, du mouroir, au-delà desquels ne réside nul paradis, ne se tient aucune utopie, hormis l’association, pas la dissolution, des contradictions, sise sous le signe d’un explicite toponyme, qui mêle la terre à la mer, concorde des contraires, harmonie artisanale d’un dessin animé aux âmes malades, divisées, rédimées, conte de (sur)vie et de mort, au-dedans et au-dehors.                      

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