La Constance des apparences

 Exils # 134 (15/10/2025)

Dans Adieu… Chérie (Bernard, 1946), titre programmatique, discographique, points de suspension en oxymoron, Danielle Darrieux s’éveille épuisée, rêve éveillée, se réveille esseulée. L’« entraîneuse » entraînante chante, enchante, déchante. Son appartement prend l’eau, elle fait visiter un « tripot », squatte un aristocrate « château », moins merveilleux et bricolé que celui du contemporain Cocteau (La Belle et la Bête, 1946), puisque bastide sise « entre Orange et Marseille », productrice d’une huile d’olives « ramassées à la main », le « dragon » directif qui la dirige y met du sien. L’invisible Frédéric ne « chasse le tigre », tient à Toulon un « restaurant à particule », mésalliance ridicule. Alors Constance sans clémence n’autorisera un bis repetita, exit sa factice belle-fille, arnaqueuse amoureuse et malheureuse, laquelle paie cher d’être sincère. Une réplique explicite prévoyait le naufrage du vrai-faux mariage, car mari au courant, arrangement d’argent, la « rabatteuse » talentueuse, capable d’attendrir la police, maîtrisant autant la « comédie » que le « mélo », tendance Bernstein & Resnais. Cette dimension méta du divertissement demi-mondain souligne qu’il s’agit aussi d’un véhicule soigné d’actrice au carré, apte à tout jouer, escort(-girl) accorte escortée d’un compagnon comte d’occasion, à moitié maquereau, un peu impresario. Si le suicidaire Louis Salou ressemble un brin à un double en déroute d’Anton Walbrook, Bernard ne pratique le travelling analytique et lyrique façon Ophuls, cependant le déni de Chérie annonce la dénégation de Madame de… (1953), points de suspension en répétition. Mentir pour éviter le pire, protéger la pureté du réputé, bien né bien-aimé, divorcer d’une autre manière, douce-amère : la « fille de bar » accomplit in extremis le sacrifice, empoche et offre le chèque abject, repart rapido en auto de studio, habitacle clair-obscur aussi dépressif mais moins janséniste que les essuie-glace de Bresson (Les Dames du bois de Boulogne, 1945).

Tandis que tout se déroule comme avant, au début du parlant, la Shoah, connais pas, en dépit de Tristan à Drancy, d’une déportation de saison, merde au moderne Rome, ville ouverte (Rossellini, 1945), « l’otage » d’un voyage à Goebbels & Berlin, Porfirio Rubirosa le valait bien, découvre donc la mélancolie, la représentation sociale, le masque de femme. « Tout le monde adore » la persona d’Élisabeth Delors, « personne ne l’aime » se lamente-t-elle à peine. Choyée, déchue, Chérie ne se prostitue, pragmatique et sentimentale immaculée, à l’église déguisée, que magnifie l’objectif, Robert Lefebvre idem dirlo photo du sobre Marie-Octobre (Duvivier, 1959). Dans ce film festif et réflexif, un « flic » magnanime se grime en client argentin, c’est-à-dire un « Espagnol riche », chiche, adepte du « clandestin », le casino se convertit en cabaret, caméo de l’inconnu Aznavour inclus, Constance se prénomme encore Hélène, dissimule une âme tendre et sensuelle. Gabrielle Dorziat incarne à merveille la pitoyable schizophrène, meilleure ennemie d’abord ravie, maudite ensuite, autour du duel maternel tourne une troupe joliment dessinée, dirigée, rétive aux clichés, mentions spéciales à la septième prétendante (dés)obéissante de Rolande (Forest), lucide plutôt qu’imbécile, au père peu patibulaire, spectateur « impuissant » et attendrissant, le dernier à saluer, embrasser DD, Pierre Larquey heureux homme en somme. Chassez le naturel et le réel, ils reviennent au galop illico – telle pourrait être la morale du métrage de son âge, matrice de Maya (Bernard, 1949), Viviane Romance elle-même passagère ferroviaire aux frais du Reich, amnésique et néanmoins jamais manichéen, co-écrit à huit mains, dont celles d’Alex Joffé, futur auteur de Fortunat (1960), à la thématique assez identique, agréable et posé sur presque rien, sinon en sourdine la conscience d’une tristesse intime et indicible, la nécessité pardonnable et pardonnée d’un cynisme de survie, la fuite vers les fêtes futiles de la ville, la nuit, l’ennui.                    

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