Épouvante impuissante
Exils # 137 (22/10/2025)
Cafi d’informations, dont beaucoup en voix off, le prologue de Pompoko (Takahata, 1994) épuise vite, on se dit que le film ne va pas pouvoir tenir un tel rythme, mais il y arrive, fi du contemplatif. Si le synopsis paraît anticiper celui d’Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs (Yonebayashi, 2010), la (re)découverte consensuelle des espèces cède ici sa place à une guerre ouverte, sinon une lutte des classes, dont l’issue prévue et perdue dessine en définitive un joli génocide. Chronique historique d’une disparition programmée, ce requiem jamais blême, constamment amusant, ne succombe à la mélancolie, dépasse la problématique écologique, tarte à la crème de la mauvaise conscience moderne. Ce qui se joue sous les yeux ravis, jeu sérieux délesté de l’esprit homonyme, relève du réflexif, de la résistance, de la transcendance. Le baroud d’honneur devient un bagout d’horreur, la technologie détruit la magie, les Mohicans japonais se font fissa dégommer, presque jusqu’au dernier, puisque division intestine, solidarité indocile. Art poétique et parabole politique, Pompoko unit le ludique au tragique, l’espérance à la violence. Les tanukis, kesaco ? Disons donc des créatures en sursis, éprises de gras hamburgers et de galipettes printanières. Il en existe des transformistes, éducation en réunion et en réaction contre l’urbanisation. « Quittons dans ce monde insolite/Le bruit des pelles mécaniques/Qui construisent quoi/Faisons taire les mélancoliques/Avec notre propre rythmique et notre joie » affirmaient France Gall & Michel Berger (Musique). Une quinzaine d’années après, idem mélomane, le réalisateur majeur du Tombeau des lucioles (1988), Mes voisins les Yamada (1999) ou Le Conte de la princesse Kaguya (2013) s’approprie une idée de Miyazaki, (re)dessine une sorte d’Illiade délocalisée, un fiasco autour de Tokyo, au cours desquels des ouvriers se font accidenter de manière mortelle, victimes d’un écoterrorisme animiste avant la lettre, un ancien monte au Ciel, un autre sombre au sein d’un dansante sénilité, bouddhisme en prime, un Radeau de la Méduse asiatique autorise un suicide aquatique.
Les bébêtes peu simplettes se rebiffent face à la déforestation, à l’implicite expropriation, tandis que s’érigent des bipèdes les habitations, à la profanation des sanctuaires de naguère. Ensemble ils organisent un défilé de fantômes d’anthologie, à faire frémir Ivan Reitman, belle terreur des spectateurs, inconscients des tenants et des aboutissants. Ce tour de force calligraphique et narratif, mise en abyme méta, car mise en scène au carré d’une imagerie exotique, en partie via le ciné apprivoisée, depuis le fantastique lyrique de Mizoguchi (Les Contes de la lune vague après la pluie, 1953) vers la vague revancharde à cheveux sales de Nakata (Ring, 1988) et compagnie, repose en fait sur un sacrifice d’illusionnistes, la dépense impressionnante d’une énergie vitale in fine fatale, part maudite et magnifique, exhibée à la Bataille et à la bataille. Hélas cet écho culturel et cultuel à la parade douce des Doors se voit recta récupérée par le capitalisme des loisirs, Wonderland sans Alice, muni de malice. Le rusé renard, déguisé à dessein en humain, incarne encore la figure du transfuge, du collaborateur moqueur. Entre l’autoritarisme de Gonta, empereur d’opérette, momie au lit, et le parcage compatissant des parcs communaux, équivalent bien-pensant des réserves indiennes, vive la végétalisation de saison, aucune cohabitation à l’horizon, rien qu’un compromis contrit. Ni l’épiphanie d’une révélation à la télévision, amitiés à la coda crève-cœur de Hurlements (Dante, 1981), ni un retour rapide et factice de la nature, illusion d’oraison, ne suffisent à garantir l’avenir, à rendre son espace et sa noblesse au surnaturel. Pour certains relookés en transparents employés, insipides et imberbes salarymen, les animaux se souviennent du massacre invisible et involontaire d’hier, par la voix du survivant Shokichi, in extremis revenu à toute vitesse vers la jungle de Mowgli, de facto un trivial terrain de golf, ironique et ultime défaite.
Nuire ou divertir n’évite ainsi l’emprise du pire, moralité lucide et dépressive des cent dix minutes de tumulte coloré, courroucé, avertissement adressé autant aux empoisonneurs de l’environnement qu’aux commerçants de la mort, Pompoko comme antidote synchrone à la camelote et frime mesquine de Halloween, fête infecte du business US des squelettes et non menace assourdie à la Minnelli (Le Chant du Missouri, 1944) ou inquiétude iconique à la Carpenter (La Nuit des masques, 1978).
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