Le Pentagramme et le Pentagone

 Exils # 85 (20/02/2025)

Plus drôle que Le Loup-garou de Londres (Landis, 1981), moins jeu de massacre que Mars Attacks! (Burton, 1996), Le Loup-garou de Washington (Ginsberg, 1973) réunit et réussit les registres comique et tragique. Commencé/clôturé en voix off, puissance de la parole, économie du non tourné, il dispose cependant de lycanthropes fichtrement différents de ceux d’Europa (von Trier, 1991), autre opus politique à tendance hypnotique. Cette fois le chemin de croix affiche des fondus au noir à foison, des lignes de fuite de perspectives filmées en fisheye effet, des plongées et des contre-plongées contrôlées, des surimpressions de transformations. Tout ceci prouve à nouveau que le style se fiche du fric, que le manque de moyens n’équivaut au manque d’idées, que le désir et le plaisir de faire ensemble du ciné, ressenti à chaque instant, à chaque plan, ne conduisent à l’anecdotique ni à l’amateurisme. Selon The Werewolf of Washington, appréciez au passage l’allitération, la tension se tisse à l’émotion, se double de dérision. Faut-il être un « jeune Juif », réplique innocemment antisémite de la première victime, afin d’aimer l’humour de Milton Moses ? Bien sûr que non, question à la con, d’autant que la satire se déleste de cynisme, se munit d’empathie, que nul ne ricane devant ces caricatures qui désarment. S’il ne possède certes la dimension drolatique et eschatologique de Docteur Folamour (Kubrick, 1964), la beauté, la maturité, de Frankenstein Junior (Brooks, 1974), le métrage de Ginsberg ne devient jamais une galéjade, un opus parodique ou un pensum didactique. Divertissement intelligent, constamment amusant et discrètement émouvant, ce drôle de drame de masculin mélodrame, témoin de son temps, donc de l’époque Nixon, dialogue désormais avec notre actualité, surtout outre-Atlantique, d’un improbable président au suivant, la bestialité antique en rime inversée au transhumanisme étatique.

Pendant un prologue sis en Hongrie, dominé par les portraits de Lénine & Staline, un attaché de presse à la curieuse canne offerte se fait mordre et fracasse un homme. Il fuyait une femme, la fille de son employeur, pourtant pas prénommée Ivanka, le voici entre une interprète impassible et une mère orpheline. Il confond à fond croc et coco, « pentagramme » et « Pentagone », jette aux toilettes le talisman de la maman. Tracée sur une carte, « l’étoile à cinq branches » implique une proie ultime, domiciliée dans l’immeuble dénommé Watergate, chouette, mais tel le temporel voyageur de La Jetée (1962) de Marker, le lucide tueur en série, l’écouté, l’incompris, le cadenassé contaminé court sans le savoir vers son rendez-vous de Samarcande, se fait par une troisième dame descendre, d’une balle évidemment en argent, commandée par lui-même, soixante dollars et adieu au désespoir, en dépit des conseils réconfortants du cartésien capitaine Salmon. Auparavant, à bord de l’avion attitré, le voilà aux prises avec un chinois Premier ministre, puisque le pouvoir envisage un retrait de ses troupes en territoire « asiatique », bye-bye Vietnam. Porté par un Dean Stockwell impeccable et incontournable, histoire du ciné et de la TV US à lui seul, de Losey (Le Garçon aux cheveux verts, 1948) à Lynch (Blue Velvet, 1986), en passant par Hopper (The Last Movie, 1971) & Wenders (Paris, Texas, 1984), Friedkin (Police fédérale Los Angeles, 1985) et Quantum Leap, par un casting choral irréprochable, dont le Michael Dunn des Mystères de l’Ouest en caméo de Docteur Kiss (me deadly me dit Aldrich), Le Loup-garou de Washington représente un exemple de cinéma réellement indépendant, c’est-à-dire non encore annexé par le département indie des gros studios.

Rédigé, réalisé, monté par un homme trop malade et déprimé pour continuer à tourner, vite reconverti en monteur de documentaires, il décrit en résumé une masculinité très tourmentée, rétive à la féminité, car Jack se carapate du côté des Carpates, se détraque et traque les victimes à venir, preuve de la paume, oracle de l’écarlate pentacle. Comme le Mark du Voyeur (Powell, 1960), les femmes lui font de l’effet, lui font peut-être peur, attraction/répulsion à la Pulsions (De Palma, 1980). En soi risible, la psychanalyse appliquée aux films et à leurs auteurs – séance en échange, analyse et salle, projection en doublon, rêves ravivés, rêves éveillés, interprétation des docteurs et des acteurs – les instrumentalise et les dévalorise, les verrouille en navrantes névroses qui s’exposent, dommage pour Huston (Freud, passions secrètes, 1962) & Hitchcock (La Maison du docteur Edwardes, 1945). Cela permet de rappeler que le précédent essai du cinéaste (Coming Apart, 1969) se souciait déjà d’un psychiatre dérangé, pardon du pléonasme, en train de divorcer, en train de se filmer en train de baiser, derrière un miroir à la Bergman (L’Œuf du serpent, 1977). Si l’animalité au ciné s’apparente souvent au fameux retour du refoulé, à la dialectique archaïque culture versus nature, voire aux délices et aux supplices de la puberté (Ginger Snaps, Fawcett, 2000), elle sert ici à souligner l’emprise du déni, l’aveuglement militant, le révisionnisme en temps réel et à la truelle, accessoirement le racisme pragmatique, la pilosité de l’assassin attribuée aux… Black Panthers, brother. Personne et surtout pas le président ne veut croire à l’invraisemblable histoire, tous tout au long et in extremis fourbissent et in fine subissent le narratif – « Makes it perfectly clear » dixit l’accroche de l’affiche. Au sein badin et malsain, solaire et crépusculaire, d’un monde doucement immonde de mensonge assumé, médiatisé, la vérité ne saurait arriver, être révélée, simple épiphénomène de malédiction en chaîne.

Dans Hurlements (Dante, 1981), la journaliste et enquêtrice de criminel sexuel se métamorphose en direct au JT, terrible et pathétique démonstration par l’image causant illico son trépas et l’incrédulité du public. Huit ans avant, le locataire de la Maison-Blanche se déforme en écho, au micro, évocateur et invisible, logique symbolique. Sous la farce festive, cf. la séquence assez hilarante de bowling, antidote à la pâlotte de There Will Be Blood (Anderson, 2007), débutée surcadrée via une fenêtre forestière à la Tarkovski (Le Miroir, 1975), ponctuée par un cadavre en caddy, une cabine téléphonique à la Hitch bis, une assemblée décisionnaire en panoramique circulaire, un ensoleillé cimetière en plein air, des glaces ad hoc et une horloge mastoc, se dessine ainsi un requiem au carré, celui du anti-héros triste et rigolo, celui de la réalité fictionnalisée à satiété. Curiosité de jadis ? Fable affable d’aujourd’hui.             

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