J’irai cracher sur vos ombres
Exils # 88 (26/02/2025)
Le générique fait gémir mais pas de plaisir, car surdécoupé, points de vue démultipliés, mention spéciale à la plongée depuis l’arbre, à vitesse réelle et au ralenti, escorté d’un « thème » vocal symboliste et sucré. Un cycliste binoclard y lit, ne s’y égare, traverse des rues de banlieue résidentielle aussi entretenues que celles, davantage anxiogènes, de Halloween (Carpenter, 1978). Tout autant indépendant, beaucoup moins gagnant, sur tous les plans, Horror High (Stouffer, 1974) ressemble un brin à un Carrie (De Palma, 1976) au masculin, on mate des torses d’hommes, on échappe à leur douche, ouf, on les voit se moquer d’un maternel orphelin au père lointain, bien sûr à une relecture transposée, paupérisée, de l’increvable L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de Monsieur Hyde, auquel la projection d’introduction fait d’ailleurs référence de séance, classe calme dévoilée en travelling arrière. Plus tard, Roger l’enfoiré se fichera du scientifique timide, en le surnommant au téléphone « Mister Love » (« lover boy » en VO), clin d’œil de bon aloi à la séduction patatras selon Jerry Lewis (The Nutty Professor, 1963). À défaut de posséder l’émouvante virtuosité du mélodrame de Brian, de donner une valeureuse version du Stevenson, il ne s’agit Dieu merci d’un pensum paresseux et poussiéreux, plutôt d’un opus d’époque et d’un état des lieux guère glorieux post-révolte. Vernon porte le prénom du pseudonyme de Vian pour J’irai cracher sur vos tombes et sa vengeance, certes tout sauf raciale et sociale, s’avère itou fatale, envers lui et autrui. La coda du chemin de croix, sorte de huis clos de labo, avec aparté d’appart et de glace, maudit miroir de divisé désespoir, de lucidité ensanglantée, se termine par un lent mouvement à la grue au-dessus de la scène de crime, c’est-à-dire au-dessus du cadavre du bourreau/victime. La vraie-fausse (en voix off) petite amie, le rival bancal, les flics et leurs flingues se tiennent autour en silence et malgré les apparences, jeune fille à genoux, mater dolorosa de lycée pas sympa, les forces de l’ordre en réunion d’oraison, pas d’ascension à l’horizon, ni d’in extremis rédemption.
Auparavant, le lycéen subit en permanence la maltraitance de ses camarades d’adolescence et surtout d’adultes très injustes. Méthodiquement, impitoyablement, Vernon va prendre sa revanche de souffrance sur ces (ses) professeurs à faire peur, retourner contre eux des objets à leur activité ou matière rattachés. Voici donc une relative invention dans l’homicide en série, en trinité décomplexée : le gardien point serein, fou de son matou, se fait fissa défigurer puis dissoudre au bidon d’acide sulfurique ; la menaçante enseignante d’anglais se fait couper les doigts et la tête (alouette) au moyen d’un massicot à rendre marteau ; le costaud qui s’occupe du sport (acteur non professionnel et footballeur réel), féru de bras de fer, de la triche pour chouchou, le Roger précité, apprenti chimiste peu doué, se fait fracasser la poitrine à coup de crampons de godasses Adidas. Si Vernon ne parvient à vaincre l’adversaire, pourtant passé à travers le verre (d’une fenêtre), bastonné au sol, il fait « taire » de façon définitive ses tortionnaires ordinaires, ressuscite des sixties la contestation à l’intérieur et à l’extérieur du monde de l’éducation, nettoie fissa les traces de ses forfaits tel Norman Bates (Psycho, Hitchcock, 1960) autrefois. D’une rage juvénile à la suivante, tout et rien ne change, l’exécuteur exclu et « creeper » doté d’un cœur carbure à l’impuissance existentielle et sexuelle, au désir de chérir et de détruire, presque propriétaire d’un établissement scolaire et funéraire substitué au motel mortel, au domicile de matricide. Horror High dispose ainsi d’un titre à double sens, bahut horrible et bahut de l’horreur. Le chat noir ne rappelle Poe, le rat blanc au nom d’oreillons (« Mr. Mumps ») ne remémore Algernon, ses fleurs de cimetière offertes par Daniel Keyes, cependant la culpabilité cachée, la parenthèse enchantée, refont surface ici. Hélas l’espoir et la « gloire » arrivent trop tard, la seconde chance se limite à une stérile romance, le policier assez futé, par Austin Stoker (Assault on Precint 13, Carpenter, 1976) incarné, de Columbo l’émule en costume et cravate écarlate, sa femme utilise le même pressing, sa sœur y travaille, surveille à distance le type aux lunettes, candide cabossé, questionneur questionné.
On le souligne en ligne, les années soixante-dix et leur ciné relèvent en subjective vérité du doute et de la déroute, de l’audace et du désastre, n’en déplaise au « new hope » et au pactole de George (Lucas, Star Wars, 1977). Horror High s’insère dans ce sillage désenchanté, désabusé, sinistre et sinistré. Avec un peu de bonne volonté, d’envie de clarté, Vernon pourrait se raccrocher à la sollicitude voire à la bienveillance d’un prof de sciences, à une suite de sincères saluts bienvenus, effet euphorisant, gratifiant, miséricordieux, de l’état amoureux. Toutefois la « formule » fabriquée, de force avalée, le rend patraque, le détraque, produit la catharsis de némésis. Ses mains et visage velus, son cœur baudelairien mis à nu, grignotée sa solitaire laitue, il se transforme à l’insu de son plein gré en exterminateur enténébré, ressentiment désarmant et salissant, justice jouissive et expéditive. Hors le prologue en toc + une impossible contre-plongée à travers du verre (bis), le sang du maître-chanteur de malheur, pendu et refroidi, gouttant sur l’objectif, retour en arrière, vers les pas silencieux et sonores d’un soupçonné locataire (The Lodger, Hitchcock, 1927), le cinéaste dessine avec un certain style l’étude de cas clinique, accumule les obscurités, les perspectives asymétriques, le paria à l’écart y compris géométrique, pratique le travelling latéral désaxé, le cadre dit débullé, on se souvient soudain de cet usage significatif et systématique, pendant le segment médical et malade d’Un carnet de bal (Duvivier, 1937). Porté par un casting choral acceptable, tourné en quinze jours et seize millimètres au Texas, Horror High (aka L’Ange meurtrier en explicite français) ne comporte que quatre-vingt-trois minutes au compteur, par conséquent ne perd son temps ni ne nous fait perdre le nôtre, toujours cohérent, jamais camelote.
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