Le Masque et la Thune
Exils # 87 (25/02/2025)
Au creux du cadenassé sarcophage, aucun cadavre, un collier congelé, un insecte symbolique, deux bobines de film. Divertissement de cinéma méta, au huis clos à la Pirandello, aux sombres cartons de sons et de noms, clin d’œil au silence du muet, aux faire-part de décès, à un clip iconique de Bob Dylan (Dont Look Back, Pennebaker, 1967), Le Chat et le Canari (Metzger, 1978) ressemble un brin à une adaptation pirate d’Agatha Christie, délestée du belge détective et de ses « cellules grises », un giallo dépourvu de gants, d’imperméable et de couteau, un whodunit britannique qui met en scène et en abyme l’inquiétude puis la panique. Comme Les Diaboliques (Clouzot, 1955), il s’’agit d’une histoire de terreur et de fric, d’une femme à laquelle on essaie de faire peur jusqu’à ce qu’elle cane. Comme chez Hitchcock, en tout cas celui de La Corde (1948, issu aussi de la scène) et L’Inconnu du Nord-Express (1951), les « frères d’armes » criminels travaillent en tandem, se répartissent la tâche, affichent un sourire de respectable façade, portent un affreux masque. Le cinglé supposé échappé, le Chat surnommé, mes amitiés à l’homonyme de La Main au collet (Hitchcock, 1955), dès l’enfance en vérité sévissait, cf. le prologue bucolique et zoophobique sis en 1904, les membres de la SPA n’apprécieront pas. Dès le début, on fonctionne donc sur une métaphore à la fois bienvenue et convenue, celle de la proie et du chasseur, de la cage et de la noirceur. En haut l’oiseau, en bas le chat, tout au long du métrage, un orage, à l’intérieur des cœurs, de la rage. Tandis que le patriarche goguenard accueille sur l’écran et à table ses possibles héritiers, ventre à terre rappliqués trente années après, qu’il souhaite une suspecte bienvenue à ce tas de « sangsues », amphitryon de réunion et matrice apocryphe de Brian O’Blivion (Vidéodrome, Cronenberg, 1983), itou d’outre-tombe, le présent duplique le passé, la servante passe derrière la toile et (ré)intègre sa réalité.
L’esseulé naufragé mortel de L’Invention de Morel, ego alter du spectateur passionné de La Rose pourpre du Caire (Allen, 1985) aspirait à faire partie du film à l’animation maritime, à goûter à cette éternité salée, à cette utopie trépassée. Dans Le Chat et le Canari, le manoir aux escaliers et couloirs immaculés et monumentaux représente plutôt un beau tombeau, l’écrin confortable et malsain de visiteurs avides encore en vie, de cadavres invités en sursis. Éclairé en lumière blanche et soignée par le dirlo photo Alex Thomson (La Forteresse noire, Mann, 1983, autre jeu de massacre martial), ce petit monde doucement immonde le temps d’une nuit se poursuit et périclite, « mangé aux mites », telle la bestiole inattendue citée au-dessus, mais l’item Dieu merci ne « sent la naphtaline », n’incite à la déprime. Souvent amusant, évidemment machiavélique, discrètement érotique, l’adaptation allègre et funèbre d’une pièce US célèbre s’apparente à un théâtre de marionnettes dont le maître enterré, ressuscité, semblant s’adresser à la maudite maisonnée, tire et sectionne les ficelles, folie à l’appui, à l’image du cinéaste, remarquable et remarqué pornographe – je ne reviens point sur le valeureux The Private Afternoons of Pamela Mann (1974). Produite par Richard Gordon (Inseminoid, Warren, 1981), la bande en bande connut à l’occasion un problème de distribution, procès à la clé, connut vite un lucratif succès à la TV. Seule Américaine sur le set, au côté du réalisateur exilé, Carol Lynley (Bunny Lake a disparu, Preminger, 1965, L’Aventure du Poséidon, Neame, 1972, Vigilante, Lustig, 1982) illumine le film de sa blondeur candide, beauté bel et bien à égalité avec l’émouvante de Honor Blackman, la sexy d’Olivia Hussey, délicieuses et incestueuses « cousines et compagnes », les fanatiques de saphisme filmé en fantasment.
Si Metzger aime et sait filmer des femmes a priori fréquentables, des actrices au talent assez sous-estimé, des vétéranes valorisées, par exemple Wendy Hiller, d’Elephant Man (Lynch, 1980) l’infirmière, ici avouée piquante et quasi décapitée, il ne méprise les messieurs, les sert au mieux, y compris au cours d’une castagne d’anthologie, sur des marches de marbre, qui mixe les combats géométrique et pédagogique de Curtiz (Les Aventures de Robin des Bois, 1938) & Carpenter (Invasion Los Angeles, 1988). On dit que « le diable réside dans les détails » : Le Chat et le Canari conforte sa cohérence narrative et réflexive via les professions du panier de crabes en action et réaction, remarquez les « plans de réaction » des visages évocateurs durant la découverte du corps supra, exercice de style réussi de visible et viral effroi, puisque voici un cascadeur (tueur) et une chasseuse (lesbienne). La charmante descendante conserve le patronyme du richissime, la chance ainsi la désigne ; saura-t-elle cependant conserver son esprit, parmi ces prétendants au pactole non moins pressants que ceux de Pénélope ? Pas de tir à l’arc au programme, remplacé par un compositeur secourable, une servante fatale. Bibliothèque d’oubliettes, passages souterrains, insaisissable assassin, tout conspire à nuire à l’héroïne pas si fragile, piégée à l’insu de son plein gré au milieu d’une maison où « tout peut arriver », en effet. La procédure testamentaire transformée en survival à domicile, toujours ludique et jamais imbécile, Metzger multiplie les contre-plongées, l’usage du grand angle, s’amuse et nous amuse sans une once de cynisme, trouvant dans l’excellent Wilfrid Hyde White (My Fair Lady, Cukor, 1964), réputé bon vivant, à Los Angeles vivant depuis longtemps, un reflet infidèlement parfait, plus âgé, un père protecteur et déconneur, un Abraham au sacrifice fortiche et aux regards caméra en veux-tu en voilà.
Outre des outils chirurgicaux à
titiller des jumeaux gynécos et dingos (Faux-semblants,
Cronenberg, 1988), une chaise de torture plus belle que celle d’Hostel
(Roth, 2005), Le Chat et le Canari rend un ultime hommage à son casting
choral impeccable, au moyen d’un enchaînement en noir et blanc au graphisme thirties.
La comédie d’homicide terminée, le fantôme au carré vient saluer, quitte le
cadre dédoublé.
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