La Vie de Valachi
Exils # 79 (05/02/2025)
D’une prison la suivante… Judas baisa puis se pendit, Valachi lui aussi mais survit, fait in fine ami-ami avec l’agent diligent, arroseur arrosé, sénateurs de malheur, plus préoccupés par leur publicité que par la suppression du crime organisé. Point de contemporain Parrain (Coppola, 1972), car Cosa Nostra (Young, 1972) davantage évoque L’Affaire Al Capone (Corman, 1967). Adieu à l’Irlande, on demeure ici en famille, on s’extermine entre Rome et Sicile. À New York l’interlope, in situ et ensuite en studio chez Dino (De Laurentiis), les hommes se galochent et se dégomment, s’émasculent et ne s’enculent, attaque de mecs à la place du ramassage de savonnette. Mamans ou putains, hélas Eustache, les femmes poussent des cris et versent des larmes de bref et sec mélodrame, se produisent sur scène et se prostituent à domicile, trouvent et trompent un mari à demi. De l’initiation à l’information, il suffit d’un conflit ; des funérailles aux fiançailles, il faut un hébergement, un rapprochement, une médiation d’adultes, parmi le macabre tumulte. On croise en sus un Lucky Luciano incarné bientôt avec brio par Volonté dans le film homonyme (Rosi, 1974). Illico à Quantico, Valachi se souvient, parce que Don Vito Genovese le valait bien, qui revient vite d’Italie, qui admire Mussolini, qui pérore à propos de drogue, un peu xénophobe. Sa cellule pas si minuscule ressemble à une chambre d’hôtel, lucarne cathodique incluse, sur laquelle suivre au JT la prestation du meilleur ennemi auditionné, fissa fixer entre deux bouchées le prix de l’exécution pour trahison. Les vieillards vicelards décéderont cependant de mort dite naturelle, ironie guère cruelle, à six mois d’intervalle, Valachi à l’isolement durant sept ans, dommage pour sa dame et son enfant.
Coproduction franco-italienne, Cosa Nostra, aka The Valachi Papers, c’est-à-dire les vocales archives, les papiers intériorisés de l’intéressé, bénéficie en définitive de collaborateurs de valeur : les compositeurs Riz Ortolani & Armando Trovajoli, maestri réunis, la costumière Ann Roth, oscarisée pour Le Patient anglais (Minghella, 1996), alors en compagnie de Giorgio Desideri, le directeur artistique Boris Juraga, oscarisé pour Cléopâtre (Mankiewicz, 1963), par la suite sur le set de L’Innocent (Visconti, 1976), le directeur de la photographie Aldo Tonti, au sortir de La Cité de la violence (Solima, 1970), avec déjà Bronson & Ireland. Il repose sur un scénario de Stephen Geller, le vulgarisateur de Vonnegut via Hill (Abattoir 5, 1972), l’adaptateur du travail de Peter Maas, d’un certain Serpico le biographe. Le journaliste détesta paraît-il cette mise en images, tout sauf ratage ni raciste, citation de Robert Kennedy en prime. De son côté, Young se réclama de French Connection (Friedkin, 1971), d’une remarque amusée – la bande-annonce onéreuse de notre opus – évacua le cas Coppola. On ignore encore si le tout-terrain Terence se verra un jour réévalué, voire réhabilité, traité autrement qu’en solide artisan, jugement vaguement méprisant, significatif de l’emprise de l’auteurisme. En tout cas Cosa Nostra ne démérite une minute, cent vingt-quatre au compteur, démontre les qualités d’évocation et d’observation du responsable des estimables James Bond 007 contre Dr No (1962), Bons Baisers de Russie (1963), Opération Tonnerre (1965), Seule dans la nuit (1967), L’Arbre de Noël (1969), De la part des copains (1970), Soleil rouge (1971) et Liés par le sang (1979). Outre adresser des clins d’œil de cercueil au style de Weegee, au moyen à dessein de plans en noir et blanc, le biopic assez libre et lucide offre à Bronson l’un de ses meilleurs rôles.
Versus un Ventura quasi à contre-emploi, Charles rase sa moustache et dénude le dilemme moral et carcéral d’un type point génial, d’un candide quidam de drolatique drame, au milieu de dangereux affreux, « bon Dieu de bon Dieu », chauffeur et refroidisseur, prétendant presque inconvenant, joli sourire de Jill brunie, âgée, perruquée, époux et père attentionné, balance blessée. Avant d’être promu et piégé en Paul Kersey (Un justicier dans la ville, Winner, 1974), Bonson brosse avec un talent évident le portrait d’un tueur doté d’un cœur, fort sans être féroce. Dans le sillage de Soleil rouge, il parvient à montrer l’immaturité, sinon l’infantilisme, du Milieu, a fortiori mafieux, entreprise capitaliste, au darwinisme masculiniste, soucieuse astucieuse de simulacre familial. On peut donc lui pardonner ses accès de cynisme et sa réputation exécrable sur le tournage de Mr. Majestyk (Fleischer, 1974), en partie explicables par des débuts difficiles. Plutôt tragi-comique qu’ethnologique, l’item de Terry ne juge en somme personne, humanise et ne moralise, raconte et ne se la raconte. Sa petite et expéditive contre-histoire de l’Amérique n’anticipe le nostalgique Il était une fois en Amérique (Leone, 1984) ni ne succombe à l’anecdotique, au factuel à la truelle, au psychologisme risible. Ce visage dédoublé de la virilité, hors-la-loi et bourgeois, violent et avenant, misérable et sentimental, s’apparente à présent à celui de Charlie Buchinsky, convie sa mélancolie derrière celle de Valachi, pose et expose une question toujours d’actualité, tandis que le puritanisme en ligne floute une poitrine et la chapelle Sixtine – comment survivre au sein d’un monde malsain, où même un ballon d’introduction et de prison, a priori inoffensif, rappelle la peine éternelle du rescapé Sisyphe…
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