Morphologie du conte : Psychanalyse des contes de fées
La forme et le chloroforme, le conflit et l’asphyxie…
Formé (ou déformé) à la (slave) philologie,
tel un certain Nietzsche, ensuite enseignant l’allemand à des étudiants, Saint-Pétersbourg
alors encore appelée Léningrad, par ailleurs copain (confrère) de Jakobson, le
professeur Propp propose un essai à dimension (prétention), voire vocation,
scientifique, scandé par des citations de saison du gai (savoir) Goethe. En
deux cent quarante-et-une pages aérées, dont une cinquantaine consacrée aux
« appendices » (« tabulation du conte », analyses, schémas,
symboles, « tableau comparatif de la numérotation des contes »), l’auteur
trentenaire dresse un « historique de la question », identifie sa
« méthode » et son « matériel », se focalise sur « les
fonctions des personnages », se soucie de « l’assimilation », du
« cas de double signification morphologique d’une même fonction »,
mentionne « quelques autres éléments du conte » (liaisons,
« triplications », motivations), aborde la « distribution des
fonctions entre les personnages », les « modes d’introduction de
nouveaux personnages dans l’action », « les attributs des personnages
et leur signification », termine au moyen du « conte dans son
ensemble ». Passé presque inaperçu à sa première parution (locale) en
1928, l’ouvrage devient un succès (mondialisé) via sa traduction anglaise trente ans après, semble aussitôt l’une
des (méconnues) matrices du structuralisme, un texte fondamental au carrefour
des préoccupations (disciplines) ethnologiques, folkloriques et linguistiques. Sous
l’influence du formalisme (russe), jusqu’au titre explicite, tronqué, en tout
cas en français, fi des fées, l’étude se caractérise par sa clarté, sa
simplicité, sa discutabilité. Elle voudrait (vous) convaincre de la « merveilleuse
unité » des « contes merveilleux », amen.
Disposant d’un corpus composé d’une centaine d’items,
issus d’un recueil concocté par Alexandre Afanassiev, dont il remet en cause la
classification, une parmi d’autres (attaquées), par exemple celle, pratique et
problématique, du spécialiste finlandais Antti Aarne, Propp décompte trente-et-une
« fonctions », deux « mouvements », sept personnages et
autant de « sphères d’action ». Du type au mythe, il existe la
génétique (historique), la stylistique (anthropologique) ; la
« composition », le « sujet », les « sujets »,
laissons à autrui le soin d’y songer, contentons-nous d’écrire que « tout
le répertoire des contes merveilleux doit être considéré comme une chaîne de variantes », diantre, qui
ne saurait cependant exclure une relative liberté, à l’orateur accordée. Les termes
ultimes reviennent à Aleksandr Vesselovsky, parallèle (poétique, de sa sienne Poétique
historique) de la perspective (comparative) et du point de vue
(défendu), le « schématisme et la répétition » de la (création)
narration, en écho pro domo à
« l’axe structural commun à tous les contes merveilleux ». Tout ceci,
commenté par la critique admirative d’un Lévi-Strauss, démonté par un tandem d’universitaires (Bremond &
Verrier), pour lesquels « une approche purement
morphologique, qui se donne l’illusion de réduire la structure du conte à une
chaîne de fonctions, n’a aucune prise sur le matériel à analyser », olé, à
la fois (assez) stimule et, mot connoté, (beaucoup) affabule, démontre à
nouveau rien de nouveau, à savoir que les (pseudo-) « sciences
humaines » demeurent définitivement incertaines, que leurs approximations,
ici anecdotiques, peuvent vite devenir dramatiques, dans le cas (cadre) d’une
application pratique, psychiatrique ou psychanalytique.
Au-delà, Morphologie du conte, à
l’instar de la réponse à distance signée B(runo) B(ettelheim), (très)
discutable en raison de raisons différenciées, elle-même centrée sur une « interprétation »,
cette fois-ci sémantique et thérapeutique, en plus un peu plagiaire a priori, confirme que l’on peut faire
dire ce que l’on veut à des œuvres qui n’en demandaient pas tant, en user
(abuser) à la façon de biais biaisés, de faits falsifiés, de preuves à mettre à
l’épreuve. La leçon de dessillement sert-elle au présent ? Bien sûr que
non, et les actuelles (aveuglées) théoriciennes (féministes et dogmatiques) du « male
gaze » affirment en toute (médiatique) impunité un sexisme, un
manichéisme, un moralisme, en (rance) résonance avec l’idiosyncrasie
(l’idéologie) islamiste, noces rosses. De l’unique en esthétique à l’unique en
politique, il n’existe qu’une inclinaison individuelle et une reconnaissance
plurielle : Propp passera, à tort ou à raison, pour un héraut du
nationalisme soviétique, à l’occasion de la parution de son pavé dédié au Chant
épique russe, que ne dut pourtant lire Poutine, peu importe. Ivan ou
Vladimir, le conte ne se la raconte, il se situe au sein de la Cité, plutôt
qu’à celui de la psyché, il mélange la puissance de l’imaginaire (la trame, les
caractères) et (parfois, souvent) les pouvoirs du réactionnaire (la coda
conservatrice). Cette tendance au retour à l’ordre établi, préétabli, par et
pour qui, questions cruciales, on la retrouve au milieu de l’imagerie
fantastique, horrifique, rédigée ou filmée, relisez de Stephen King Anatomie
de l’horreur ou les conclusions à contre-courant du « dissident »
Clive Barker (la série des Livres de sang). Mieux, pire,
chacun de nous vit désormais au creux d’un conte de (mauvaises) fées défait,
médicalisé, mondialisé, policé, policier.
Comment se clora-t-il ? Comment, sans (y) sacrifier sa lucidité, son individualité, démasquer le masque du (sur)récit, du storytelling incessant, indécent ? Comment corriger le « malheur » ou le « manque », éléments déterminants, selon Propp, lanceurs (« d’alerte ») d’élan, « d’engagement » ? Près d’un siècle après la fameuse énumération des formes, il paraît temps de muter, de (se) réinventer, non pas un épuisant et stérile « roman national », mais une histoire singulière, un parcours prioritaire, à l’écart de l’(assumé) autoritaire, du (cynique) sanitaire. Jamais figés, les contes, au propre et au figuré, (nous) invitent et (nous) incitent à s’éloigner, à se rassembler, à se ressourcer, non à se consoler, à se rassurer, à s’évader vers l’on ne sait quelle innocence, merveilleuse et mielleuse. Il ne s’agit pas d’une « pure » structure, à remonter en direction d’une « source unique », originelle, maternelle, « forme-mère » à la truelle. Il s’agit (il devrait s’agir) d’une marge généreuse, dangereuse, d’un repli (d’un répit) expansif, en opposition avec soi-même et le monde, c’est-à-dire, en définitive, d’un art à part entière, ni passéiste, ni pédagogique, ni (seulement) divertissant. Du conte au cinéma, il n’existe qu’un pas, qu’une caméra, cela, oui-da (tovarich), va de soi…
Antipasto Letterario - La tradizione - Capitolo 3
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=kP3ZSAg_1k0
Le tre chiavi di Italo Calvino per il Duemila
https://www.youtube.com/watch?v=h9EX2GRhd4Q
ITALO CALVINO, I TAROCCHI, IL FANTASTICO L’esattezza della letteratura fantastica
https://www.youtube.com/watch?v=pk5uNMlsjVc
Merci pour cette mise en bouche qui fait mouche et les interventions valeureuses de Calvino...
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