Someone to Watch (Over) Me
Souvenir d’un visage, description d’un paysage…
Enfant sauvage à la François
Truffaut ? Femme de trente ans à la Balzac ? Un peu, peut-être,
puisque Jacqueline Waechter alors trentenaire, à l’instant où elle pose, se
pose, devant l’objectif subjectif d’une connaissance d’enfance – mais, justement, sans
prendre la pose, sans poser pour la postérité. Observer ce visage avancé, à la
tête un brin baissée, en clair-obscur composé, revient, bien sûr, à revenir
vers un personnel passé, pour le lecteur en ligne étranger, pour le complice
correspondant en partie, en pudeur, partagé. Sa biographe Camille Stern évoque
les tournesols domestiques, esseulés, de van Gogh, les œuvres de Giacometti,
son visage à lui, la révélation de Venise, l’épiphanie de Pompéi, des cinéastes
d’Italie, l’appartement d’Apollinaire, tout ceci se retrouve ici, stade,
station, informe en filigrane les traits, leur confère une force fragile, une
intensité intérieure. Le modèle, doté de mystère, davantage qu’exemplaire, s’y
dévoile solaire, solitaire. L’artiste ne nous fixe, elle dévie, elle dérive
tout en demeurant fixe, arrimée à l’on ne sait quel cadre de réalité. Que
regarde-t-elle, en effet ? Qui voit-elle, de l’autre côté ? L’art
funéraire de la photographie, faussement festif, foutaises de selfie, fonctionne en embaumeur de
bonheurs, de malheur. Cette image trop sage d’une jeune femme muette séduit
autant qu’elle inquiète, comme si sa beauté intrinsèque dissimulait une brisure
suspecte. Sous la placidité apparente, quelle plaie la tourmente ? Sous
l’attention, quelle tension ? Ce philtre prononcé, fossette sise
au-dessous du nez, s’affiche et s’affirme en faille infantile, en marque
talmudique, en geste nostalgique, naissance délestée de réminiscence. Certains
la diraient androgyne, masculine, garçon manqué, occasion manquée, de se mettre
en valeur, de savoir se vendre avec saveur.
À défaut de divertir, de faire
diversion, divertissement pascalien épuisant, permanent, un tel portrait
(ré)apprend le silence, la constance, l’immobilité non d’une morte, d’une
damnée, disons d’une survivante, aux cicatrices pas apparentes. La lumière
d’hôpital, pourtant hospitalière, l’assombrit et l’éclaire, dualité graphique,
photographique, psychologique. La sensualité seventies de la chevelure encadre une douceur à faire peur,
Guillaume ne s’en étonne, souligne l’aura
elle-même divisée du regard, diurne et nocturne au même moment, hier,
maintenant. Ses lèvres sereines incitent à les embrasser, se tiennent toutefois
fermées, verrouillées, l’expression passe par la création, parler, à quoi
bon ? Notre Pierrot à carreaux rappelle la Christiane défigurée, sublimée
par Franju. La figuration mise de côté, munie d’un masque immaculé, les yeux
font de leur mieux, éloquents et taiseux, racontent le récit d’une
inguérissable souffrance, d’une infinie errance. Work in progress porté en détresse, promis à la ruine jamais
magnanime, toujours intime, le corps s’expérimente encore, on respire à bord,
on se mire dehors. Le reflet de la glace, du ou de la photographe, révèle une
éternelle altérité, une identité douée de plasticité, au risque d’être
dissociée, relisez les mésaventures miroitées du sieur William Wilson, le
schizo selon Poe. Doit-on par conséquent désespérer de des propres
représentations, les refuser, les réfuter, en fastidieuses contrefaçons, ou
s’en effrayer en raison de leur proximité, d’une trahison d’intimité, de fait
effectuée, preuve à l’appui, policière radiographie ? Afin d’apaiser le
conflit, de le rendre stimulant, différemment, il faudrait faire le pari
d’autrui, faire confiance aux confidences, tenter sa chance, fi de fantômes,
témoignage amical d’un homme.
Portrait ultrasensible d'une artiste funambule,
RépondreSupprimervie sur le fil du rasoir, de l'autre côté du miroir,
reconnaissance à l'écrivain qui écrit à l'encre noire pailletée de cendres éclatantes,
d'après une photographie prise par un ami d'enfance,
(la famille attendait un garçon, prénom souhaité Jacques...)
reflet inspiré de Jacob et l'Ange...
Fraternellement vôtre, cher ami... Merci.
Je voulais vous l'adresser d'abord en privé, je viens d'être par vous devancé...
SupprimerMerci à vous, pour ceci et pour tout (le reste).
Jacques ? Jacqueline !
Un vrai talent d'écriture, un don pour le portrait, ainsi j'imagine d'autres portraits de caractères relatifs à vos chères figures de stars éclairant de mille feux Le Miroir des Fantômes et les amateurs passionnés de cinéma...
SupprimerPourquoi écrivez-vous ? Bon qu'à ça, répondait le laconique Beckett.
SupprimerJ'écris, essentiellement, ici, pour célébrer, alors ravi de vous avoir à nouveau ravie, chère Jacqueline Waechter, vous-même pourvue de votre vivant et vibrant caractère !