Les Apparences : Le Rôle de sa vie

 

 « Wunderbar » ? Dur d’y croire…

Je suis le restaurant déserté

Bertrand Burgalat, L’Enfant sur la banquette arrière

Les « professionnels de la profession » appellent cela un « film véhicule » et sa star, Karin Viard, s’y fait en effet véhiculer, en calèche de boucle bouclée, d’abord souvenirs d’hier, d’une mère estimée trop populaire, vade retro, Rondò Veneziano, ensuite présent immanent, en regard caméra souriant. Entre-temps, la directrice de la médiathèque ne sait plus où donner de la tête, prise (culbutée sur le canapé, sombre escarpin dressé) entre une institutrice adultère et un harceleur en colère. La première, son courriel piraté, sa liaison dévoilée, son « sordide » passé déterré, sa proximité répudiée, finira par une fenêtre bruxelloise encadrée, après un épilogue de non-lieu (because légitime défense), dénouement pas si bienheureux, diffusé en direct au JT, ah ouais. Le second, romantique germanique, molto psychotique, muni d’un bracelet électronique, louable Lucas Englander, boira la tasse en trio, noyé en duo, pas cool, par le couple recollé, olé. Comédie noire écrite (inspirée par un polar suédois) et (télé)filmée avec impersonnalité, Les Apparences (Marc Fitoussi, 2020) se voudrait ainsi une satire sociologique, des (franco-français) petits-bourgeois viennois, « inanité cosmique », gémissait Gide, de leurs conversations à la con, doublée d’un thriller sentimental, un soupçon immoral, se réduit, en réalité, à un divertissement transparent, inoffensif, cinéphile, mélomane, car l’on y écoute, explicite bande-annonce + brève séquence de danse, la bouleversante Valse lente de Bernard Herrmann, composée pour le proustien (et incestueux) Obsession (Brian De Palma, 1976), en écho à Vertigo, à sa sublime Scene D’Amour (calèche again), annexée par l’anecdotique The Artist (Michel Hazanavicius, 2011), l’excessive Km Novak s’en déclara patraque (et « violée », OK), car l’on y regarde, au côté d’un gosse adopté, des extraits symboliques, didactiques, de Peau d’âne (Jacques Demy, 1970), autre conte (de fées) de classes d’une autre classe.

En vérité, il ne vaut que par/pour la présence de la plaisante actrice, désormais blondie, un peu vieillie, eh  voui, jadis découverte, appréciée, au siècle dernier, en brune, rasée, césarisée, cancéreuse heureuse (Haut les cœurs !, Solveig Anspach, 1999). Fausse et futile, forte et fragile, la sournoise et sexy Karin espionne puis se désape devant son bébé BB, Benjamin Biolay ne fait rien, il le fait assez bien. Elle déguste de coûteux chocolats locaux, Mozart se marre, elle va de ce pas au spa, cadeau d’anniversaire amer, elle va jusqu’au bout, ravive le vernis, afin de conserver son risible standing, sa façade pusillanime. Durant deux séquences, la carapace d’élégance, de distance, enfin se fend : sur le départ, retour à Paris, pas à Roissy, dommage, Pauline Réage, elle étreint Madame Belin (Évelyne Buyle, sortie du De Gaulle de Gabriel Le Bomin, 2020), emmerdeuse miséricordieuse, esseulée lucide ; face au résumé, juste et sans pitié, de son musicien de mari, traître par ennui, chef d’orchestre à l’aise, d’une impressionniste Suite française, elle encaisse, elle explose, elle le frappe en vain, elle crache (son venin), justification sublime, insuffisante, insultante, de sa persistance, de sa persévérance, à sauver son unité, ses apparences, « Parce que je t’aimais, espèce de porc ! » Les militantes victimisantes de « moi aussi » applaudissent, les cinéphiles des deux sexes s’assoupissent, repensent à Belle de jour (Luis Buñuel, 1967), à sa coda de calèche, ter, le bienvenu Bertrand Burgalat (BB bis !) substitué à l’immortel Michel Magne, personne n’y perd, (match) nul n’y gagne. D’une (doutant, douteuse) blonde à la suivante, un certain ciné français (se) survit, s’appauvrit, jaunie nostalgie, constat, voilà, louche vers Chabrol & Hitchcock, propose sa paresseuse, sinon interminable, camelote (le film dure une heure cinquante, il en paraît le doublé, allez). À l’ultime plan, victorieuse à la Pyrrhus, toute seule dans la nuit autrichienne, un brin brechtienne, Karin Viard, amatrice au hasard du faisandé Faute d’amour (Andreï Zviaguintsev, 2017), ne pleure de fureur (de führer), ni ne se rappelle du suprême Enquête sur une passion (Nicolas Roeg, 1980), réussite cinématographique, histoire incarnée, déclaration d’amour tourmentée, à la muse plurielle Theresa Russell, par conséquent réponse  et correspondance à distance, à l’ensemble de ce qu’il manque à ces dispensables Apparences, en définitive plutôt rances.

Assise au chaud, elle finit par nous aviser, sans nous voir, sans désespoir, sans y croire, comme s’il ne fallait pas trop y croire, ne pas lui en vouloir, contente d’être encore là, au sein malsain du cinéma, depuis pile une trentaine d’années, d’avoir survécu à ses incontournables, inévitables, déconvenues, nous incitant, silencieux, éloquent instant, à ne pas prendre tout ceci, ce jeu sérieux, au sérieux, justement. Pourquoi pas, oui-da, surtout après une semaine de travail, un couvre-feu décrété, un professeur de collège poignardé, décapité, pas vrai ? Pourtant, cependant, l’on peut et doit demander au cinéma, pas qu’hexagonal, Madame, davantage que ça, que de voir la tentatrice stupide se trémousser sur le vintage Der Kommissar, le maître de la baguette (« Ta queue », SMS avide, classé X) allongé en pantoufles sur un plumard de pension luxueuse, oiseuse, ironique métonymie du rythme et des enjeux du récit. Cet opus (terme en contexte) pantouflard, au machiavélisme rassis, digne d’un vaudeville parti en vrille, s’il ne mérite le mépris, quoique, ne vise ni ne réserve rien de mieux que ses infimes frissons, au bord de l’abolition. Puisque tous nous vivons, au cœur de l’actualité, au creux de notre corps, à l’intérieur d’un « film d’horreur » quotidien, tu l’ignores, tu le nies, tu le sais bien, il convient de nous évader, c’est-à-dire de nous retrouver, de nous émanciper, via des alcools moins frivoles, plus âpres, délestés des images touristiques, tragi-comiques, ressassées, repassées, du métrage d’un autre âge et toutefois parfaite illustration de ce qui, en médiocre majorité, se cogite, se finance, se produit, se distribue aujourd’hui, CQFD presque propice à faire adouber la souvent kolossale radicalité de l’in situ ciné, je pense par exemple au redoutable tandem formé par les « indigènes » Ulrich Siedl & Michael Haneke, tant pis pour eux…

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