Les Cauchemars naissent la nuit + Exorcisme : Francofonia
En mode Belmondo : « Vous n’aimez pas Franco ? Allez vous
faire foutre ! »…
Titre poétique, pour opus onirique : dans Les
Cauchemars naissent la nuit (Jess Franco, 1970), escortée par le score inspiré de Bruno Nicolai, Anna
narre à un médecin malsain, à silence de sacristain, in extremis assassin, son destin lesbien, un brin brechtien, en
vain indien. Victime (in)volontaire d’une voleuse machiavélique, la voici vite,
programme hypnotique, malédiction cinématographique, conduite au suicide,
antidote ad hoc, molto baroque,
remarquez les multiples miroirs mouroirs, superbe, spectral, droit au
creux des yeux malheureux, monté en alternance avec un accouplement de
perdants, à sa supposée insanité, à ses mains par les mauvais rêves, par la
réalité, elle ne le sait, le lendemain ensanglantées. Muni d’un monologue off, oh, les innombrables maux du monde
immonde, son trépas personnel cependant se développe, jusqu’à endosser une
culpabilité décuplée, datée, disons ethnocentrée, comme si une balle (de) blanche,
pas à blanc, de celle qui ne connaît son papounet, nerveuse anonyme usant
d’un aristocrate pseudonyme, ancienne strip-teaseuse amère, d’un dramaturge
sentimental, gare à ne pas tomber de la table, séduisante et séduite
meurtrière, aux prises avec Paul Muller, suffisait, enfin, à faire taire les
misères de l’univers. Portrait à la fois physique et psychologique d’une
attachante amnésique, d’une ex-performeuse (é)perdue, Les Cauchemars naissent la nuit,
lui-même item méconnu, longtemps cru
perdu, s’apprécie à plein en poème nervalien, en parcours de désamour,
immobile, gracile, mental, fatal, vers le rien, car les trois côtés du
triangle, du trio forcément, férocement infernal, s’effacent, au final.
Cette fois-ci, Franco, flanqué d’un
javelot, se soucie d’heuristique, atteint le tragique, se place sous le signe
du soft focus, fusionne les films, c’est-à-dire associe la subjectivité tendue
d’une vraie-fausse psychanalyse in situ,
à domicile, à proximité de l’asile, à des images d’un autre métrage, inachevé,
où figure, en cynique, nihiliste et consumériste objectivité, en épisodique
majesté alcoolisée, allongée, sa muse bientôt décédée, à savoir la solaire et
solitaire Soledad Miranda, au sujet de Vampyros Lesbos & Crimes
dans l’extase (Franco, 1971), (re)lisez-moi. Outre immortaliser le
talent dramatique et la beauté magnétique de la mésestimée, mémorable, remarquable,
Diana Lorys, quelque part au croisement sudiste de Jeanne Moreau & Mindi
Mink, Les Cauchemars naissent la nuit transcende le thriller étiqueté érotique via une intense incandescence, manie la
mise en abyme et à distance, cf. les scènes d’effeuillage drolatiques et
pathétiques, neutralise l’onanisme, s’affranchit du freudisme. En résumé, il
s’agit d’un mélodrame dédié à une féminité très tourmentée, d’un ouvrage
évocateur, dépourvu de peur, vivant, vibrant, musical et cruel, dont le
générique anthologique, au double sens de l’adjectif, précipite dès l’incipit le spectateur à l’intérieur du
songe, du mensonge, d’un dédale de vandales, d’un labyrinthe de plaisirs et de
plaintes, radiographie en forme d’autobiographie, tissée dans l’étoffe
shakespearienne des rêves existentiels et démonstration sensuelle, sensorielle,
des puissances altières, mortifères, du cinéma estampillé populaire, pensé en
supérieure exploration des (im)pulsions, des répulsions, de la déraison, des
(o)raisons, de la création sans cesse, hélas, extase, enlacée à la destruction.
Quatre années après, Franco se filme
en inquisiteur rempli d’une froide fureur. Exorcisme (Franco, 1974) ensuite se
réinventera, se réinvitera, se revisitera, suivant deux avatars, l’explicite Sexorcismes
(idem) et l’euphonique Le
Sadique de Notre-Dame (1979). Exégète honnête, porté sur les vampires,
moi-même sur les fantômes, à chacun sa marotte, camarade cinéphile, Stéphane
du Mesnildot consacre à Vogel, contradictoire et repoussoir alter ego du réalisateur, des lignes lucides selon son essai intitulé Jess Franco : Énergies du fantasme, j’invite donc le lecteur, la
lectrice, à les lire, à le parcourir, pourquoi pas en médiathèque municipale,
avec vue sur le gave. Le cinéaste ici s’abîme à dessein au sein d’une mise en
abyme jamais magnanime, mais point dénu(d)ée d’une tristesse identitaire
presque rédemptrice. En réalité nommé Radek, clin d’œil dostoïevskien à La
Tête d’un homme (1933) de Julien Duvivier, adaptation du roman homonyme
de Georges Simenon, Tchèque infect, interné, évadé, détourneur de mineures, de
surcroît curé défroqué, à cause de ses méthodes estimées trop sévères, Vogel,
itou patronyme de Gian Maria Volonté chez Jean-Pierre Melville (Le
Cercle rouge, 1970), s’avère un ange exterminateur mateur, un Locataire
(Roman Polanski, 1976) délétère, pitoyable et impitoyable. Par ses outrages
d’un autre âge, de fada à la Torquemada, il présage le minable Minos de Peur
sur la ville (Henri Verneuil, 1975) et l’infantile Travis de Taxi
Driver (Martin Scorsese, 1976), à son instar obsédés par la « boue
sexuelle » des seventies,
surtout classée X, par la « crasse » urbaine de la nuit américaine,
pas celle du falot Truffaut, loin s’en faut.
Puissant pour occire, impuissant à
ravir, Franco compose un gros dingo en caricature du Caudillo, dénonce la
censure, en reflet se fiche de son fanatisme, du fascisme soft de son métier, de son activité, je vous oriente vers un texte
précédent, à propos de la dictature du regard, de sa direction. En chaque
artiste, accessoirement en chaque auto-proclamé humaniste, ricane en effet un
terroriste, et Franco, cette fois-là, y va franco, il dégrade et martyrise sa
nouvelle et juvénile égérie, gifles et crachat compris, la courageuse et
amoureuse Lina Romay, rebaptisée Anne, mise en scène wildienne, puisque l’on
tue celui/celle que l’on aime, tant pis pour le couple improbable, pourtant
probant, d’êtres « adorables, fiers, généreux » remerciés par SDM. Une
barmaid mourra d’ailleurs, tête
baissée, cul dressé, nuque transpercée, salaud de torero, sur un lit à
baldaquin carmin, crève, sale absoute putain. D’un même mouvement, au centre de
l’instant, il témoigne d’une médiatisée libération des mœurs et de leur
libéralisation de malheur(s). Dans Exorcisme, le sexe feint le
blasphème, se déploie en spectacle extrême, saphique ou pas, public ou privé,
rédigé ou joué. Le don et l’abandon devenus participation, prostitution,
l’exhibitionnisme excitant Le Poignard, et
la Jarretelle, titre antinomique de l’hebdo sado-maso publié par les
Éditions Vénus (in Furs, Franco, 1969), du puritanisme, le sadien château
relooké en hispanique caveau, Franco affronte et nous confronte à un enfer aux
flics tragi-comiques, en famille, à loupe point d’entourloupe, piquée plutôt à
Sherlock, emmerdeurs pas même racistes de distrayant suspect sud-américain, aux
glaces d’impasse, aux répétitions d’obsession, sexuelle, sérielle.
Sisyphe du vice, Vogel ne saurait vaincre, seulement succomber, ravisseur fissa descendu dans le dos, sur le seuil d’une auto, coda expéditive, expédiée, pour tandem de poulets congratulés. Bien éclairé par Raymond Heil, directeur de la photographie de moult blue movies, auparavant, en noir et blanc, en compagnie de Christian Matras, du Thérèse Desqueyroux (1961) de Georges Franju, bien musiqué par André Bénichou & Daniel White, mal financé par la désargentée Eurociné, Exorcisme évite ainsi l’écueil du manichéisme, renvoie dos à dos les dévoyés et les dévots, les superpose par conséquent, au moins pendant une partouze maousse, gore et orgie, bienvenue dans la buñuelienne bourgeoisie, risible bonne société aux pas si « honorables » trucidés. Désormais, au grand angle glacé, perspective psychique, psychotique, déformée, le romantisme se mue en massacre, le corps (re)découvre la mort, les cuisses s’écartent, le cœur s’extraie, se détraque, et ce film fiévreux, pas foutraque, assombrit Paris, de sa nuit infinie.
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