Remember Me : Dementia 13

 

Elle ne chouine, elle écoute Gershwin et lui ne déprime, la rédime…

Pour Jean-Michel, projectionniste analogique puis numérique

Il s’agit bien sûr d’un téléfilm, comme disons la désolante majorité des produits du mercredi, affaiblissement-affadissement des formes à l’infini. Et le sujet se caractérise par une sorte d’égoïsme masculin assumé : un « théâtreux » malheureux, désormais démodé, essaie in situ de ranimer la mémoire d’une ancienne comédienne, dorénavant du monde déconnectée, son premier amour pour toujours. Le critique doté de fric ne feint plus la folie tel Hamlet ou Jack Nicholson chez Miloš Forman (Vol au-dessus d’un nid de coucou, 1975), il simule aussitôt la maladie d’Alzheimer, il espère l’ultime remember du Conte d’hiver, pas celui d’Éric Rohmer (1992), certes. Pour Lily Blanche, tous les jours ressemblent à présent à dimanche, vide intime, à tricoter, à rester muette, hébétée. Autrefois, elle immortalisa Médée, Blanche DuBois, elle se casa, cessa d’écrire à son soupirant sans avenir, trempé par la pluie, en pleine nuit, à Paris, ah, le romantisme humide des amoureux soucieux, des hommes aimables, un brin lamentables, repensez à George Peppard dans Diamants sur canapé (Blake Edwards, 1961), à Clint Eastwood dans Sur la route de Madison (Eastwood, 1995)… Après Audrey (Hepburn) & Miss Streep, Caroline Silhol (Le Démon dans l’île, Francis Leroi, 1982, Tous les matins du monde, Alain Corneau, 1991, La Môme, Olivier Dahan, 2007) s’y colle, émouvante, renversante, surtout lorsqu’elle déclame en VO ses vers d’adultère, effet miroir point fantomatique d’une femme amnésique, mariée, courtisée, visitée, ressuscitée. Face à elle, à sa fragilité sereine, à son auto-effacement à la Eraserhead (David Lynch, 1977), ta tête suspecte, obsolète, guère de reset, fait des siennes, fait table rase, prend la tangente, le large, Bruce Dern (Silent Running, Douglas Trumbull, 1972, Monster, Patty Jenkins, 2003, Freaks, Zach Lipovsky & Adam B. Stein, 2018) bouleverse en mineur, via son obstination, sa tendresse, sa douceur.


De Remember Me (Martín Rosete, 2019), peu longtemps on se souviendra, ce tandem adulte, rempli de tumulte, apaisé, adieu à l’altérité, avec plaisir, y compris à proximité du pire, de sa propre ruine, programmée, médicalisée, suicidée, qui sait, on se remémorera, car cela participe aussi du cinéma, politique des acteurs, a fortiori des actrices, sur laquelle je ne reviendrai ici, relisez-moi, please. Autour du couple central, de son soleil d’automne, de son reflet retrouvé, à foison, en fondus enchaînés, rajeuni, réuni, danse en stéréo, travelling avant à travers la grande glace, gravitent un ami démuni, ragaillardi, excellent Brian Cox (Le Sixième Sens, Michael Mann, 1986, Troie, Wolfgang Petersen, 2004, Zodiac, David Fincher, 2007), une fille + une petite-fille blessées, surprises, complices, estimables Sienna Guillory & Serena Kennedy, des résidents désarmants, une directrice magnanime (Verónica Forqué, fidèle d’Almodóvar), un gendre à scandale, politicien porté sur les prostituées, sur la famille instrumentalisée. Le réalisateur travaille lui-même en famille, flanqué de son frérot en directeur de la photo plutôt falot. Co-produit par Jean-Louis Livi, financier affirmé, renommé, par exemple de Claude Miller, Corneau, Alain, Resnais, du Cœur en hiver (1992), justement, de Claude Sautet, accessoirement époux de Caroline, l’ouvrage sous valium associe ainsi l’Espagne, la France, les États-Unis, répond à sa manière, charmante, rassurante, inconsistante, à la lucidité, à l’âpreté, à la radicalité de Michael Haneke (Amour, 2012). Dans Remember Me, le théâtre se transmet, la passion persiste, une précieuse parenthèse met le spectateur à l’aise, solitaire esseulé, en salle provinciale d’une unique spectatrice accompagné, puisque le virus décime les séances du soir, ô désespoir. S’il délaisse le psychodrame de La Maison du lac (Mark Rydell, 1981), l’opus ensoleillé, écourté, quatre-vingt minutes au compteur, mon pauvre et merveilleux cœur, pêche en raison de sa transparence, cependant n’offense.

L’encre bleue des lettres sentimentales se fait la malle, sous l’averse des vibrants vieillards, à son instar tous nous disparaîtrons, au terme de notre paradisiaque et infernale saison, que nous le voulions ou non. En attendant de tout oublier, de façon définitive s’en aller, (re)fréquentons les cinés, au moins à l’écart du couvre-feu décrété, sachons saluer, l’instant d’un billet, le talent attachant, la beauté réinventée, d’un couple improbable, (in)dispensable, pourtant modèle, presque parfait. 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir