Le Dimanche de la vie : Madagascar
Balayer le passé, souffrir du saphir…
À Jacqueline, de cette
découverte à l’origine
Dès le premier plan, en travelling avant, on (re)pense,
évidemment, aux chers Parapluies de Cherbourg (Demy, 1964),
autre histoire de petit(s) commerce(s), de grande guerre ; un plan en
plongée, sur le pavé mouillé, lui rend hommage en sus, à Bruges. Mais Herman,
ancien assistant de Rossellini, Rivette, Minnelli, Annakin, lui-même assisté
par un certain Claude Miller, qui va vite rencontrer le succès (Adieu
l’ami, 1968), essuyer l’échec (Jeff, 1969), doublé Delon, allons
bon, peut-être adouci, grâce à la présence de la gracieuse Anne Doat sa chérie,
ici serveuse à soldats, main aux fesses express
autorisée, avec le sourire supportée, plus jamais, désormais, tu t’en
plaindras, pas moi, signe un premier film (de fiction) doté d’une seule
chanson, Delerue à la composition. Sous peu sur le set « en chanté », ensoleillé, des Demoiselles de Rochefort
(Demy, 1967), Danielle Darrieux d’ailleurs présente les personnages en musique,
pendant le générique. Ses aventures supposées se déployer en 1936, elle arbore
pourtant une coiffure very sixties… Interrogée in situ par la TSR, l’actrice sincère ne semble percevoir la
dimension satirique de l’entreprise dramaturgique. Déjà transposé par Malle
& Rappeneau (Zazie dans le métro, 1960), dialoguiste/scénariste selon
Clément, Buñuel ou Mocky, acteur chez Chabrol (Landru, 1963), Queneau revient
aux fourneaux, retravaille, une quinzaine d’années après, son romanesque
matériau. Animé par un casting choral
irréprochable, où reconnaître Mesdames Arnoul & Dubost, Messieurs Blin,
Crauchet, Deschamps, Rochefort,
Virlojeux, Le Dimanche de la vie (Herman, 1967), à la fois jeune, vieux,
ressuscite, à sa mesure, le ciné français ante-39,
d’abord comédie militaire à la Fernandel, ensuite chronique sociale, sinon
parisienne, à la Prévert. La modernité, néanmoins, s’immisce au sein de
l’évocation, orientée vers la déraison, celle du désastre international, du
conflit à l’infini, parmi toutes les bouches, les esprits, Arlésienne plus
pestilentielle que l’Exposition universelle, dont le compte-rendu drolatique
envisage Les Damés (1969) décadents d’un Visconti guère déconnant.
En effet, notre couple suspect, mal
assorti, bons amis, pré-voit l’avenir, toujours à proximité du pire, surtout à
pareille époque interlope. Dominical, pictural, sentimental, Hegel s’extasiait,
on le sait, sur la « naïve gaieté », la « joie spontanée »,
à la sauce hollandaise, de modèles « doués de bonne humeur », donc
vaccinés contre de l’espèce la pénible perversité. Le duo Herman & Queneau
opte pour la polarisation, pour de surprenantes visions, durant lesquelles
Julia & Valentin visionnent, sidérés, le film à domicile du point serein destin.
Le second se dit aussi troublé, hypnotisé, par l’horloge du quartier, le temps
échappé, le temps à (se faire) tuer. La temporalité, la durée, le cinéma
carbure à ça, oui-da, alors Le Dimanche de la vie donne discrètement
dans le méta(cinéma), cadre un conte d’encadrement, autant dire d’embaumement.
Compte à rebours dépourvu de véritable amour, il épouse le parcours de
transparents parvenus, auxquels la chanteuse des rues déchue, à l’instar du
spectateur, souhaite une disparition rapide, définitive, bombardez-moi tout
cela, please. À base de mariage,
d’héritage, ce métrage d’un autre âge ne mérite ni l’hommage, ni l’outrage, se
caractérise par sa précision, son soin, sa triste drôlerie. Car la critique
n’empêche la tendresse, car ces pantins, un brin mesquins, possèdent leur
propre pathétique. Muni de colonies, de home
movies, de cimetières en stéréo, d’huîtres à vous couper l’appétit ou la
chique, d’une voyante désarmante, d’un dirigeable détruit, des crieurs en
chœur, remplis de rancœur, de L’Action française, du Populaire,
d’une « roulure », de ralentis, d’un restaurant au bois (de Boulogne)
bien nommé Le Paltoquet, à Michel Deville mes amitiés, d’un secret sexuel, d’un
assassinat disons ancillaire, d’un baiser d’adieu, adieu, mon malheureux, Le
Dimanche
de la vie constitue en vérité une valeureuse curiosité, une
reconstitution rétro prenant acte, mine de rien, des ravages des récents
« événements algériens », retour à Cherbourg, sachant dissimuler,
sous la surface fantasque de sa tragi-comédie légère, jolie, telle une plus
intéressante prophétie, le désenchantement des sombres seventies, libérales, létales, classées X, étiquetées terroristes.
En guise de PS, merci pour ceci,
cinéphile, de Belleville, Jacqueline, et bien sûr bon samedi, jusqu’à minuit, vous
et moi encore là, en vie, en train d’écrire vers la vie, voui.
Merci pour ce billet doux en forme d'hommage à un cinéma surréaliste tellement il est reflet réaliste dans le miroir d'une certaine époque révolue, encore que, parce que quand il s'agit de mettre la poussière sous le tapis, les balayeurs du dimanche ne manquent pas. Peinture de genre, scène d'intérieur, clin d'oeil à la peinture hollandaise du siècle d'or,
RépondreSupprimerhttps://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/elinga-pieter-janssens_la-balayeuse_huile-sur-toile comment s'aménager un petit coin non de clarté mais surtout de tranquillité dans ce bain de boue de l'entre deux guerres ? Quartier de petits boutiquiers de province ou de Belleville à Paris, le même genre qui entourait le salon de coiffure de madame Perec la mère de l'écrivain, je me souviens... Chaque détail compte, petits arrangements avec les vicissitudes de la vie, crime ordinaire balayé d'une pichenette, cours par un marchand de couleurs relatif au choix du bon balai selon ce qu'on a à balayer et sur les murs collée une affichette "appartements à louer", une autre plaque sur la même façade d'immeubles relative à quelques commerçants juifs, copier collé, on sait hélas ce qu'il advint du coup de balai final, comment un soldat as du balai s'en va en guerre...drôle de guerre, René Goscinny en fera dans Astérix un personnage de légionnaire, Caius Joligibus, l'as du balayage de la dalle romaine «Ben, j’ai fini la première moitié de la première dalle. Je souffle un peu, je finis la deuxième moitié de la première dalle, je souffle un peu, je passe à la première moitié de la deuxième, je souf…» (Le bouclier arverne, page 24),
Mai 40 de Brel sur une musique de jazz, tout va très bien madame la marquise...
https://www.youtube.com/watch?v=W5h_CZVmPPU
[Refrain]
On jouait un air comme celui-ci
Lorsque la guerre s'est réveillée
On jouait un air comme celui-ci
Lorsque la guerre est arrivée
[Couplet 1]
Moi, de mes onze ans d'altitude
Je découvrais éberlué
Des soldatesques fatiguées
Qui ramenaient ma belgitude
Les hommes devenaient des hommes
Les gares avalaient des soldats
Qui faisaient ceux qui n’s'en vont pas
Et les femmes
Les femmes s'accrochaient à leurs hommes
[Refrain]
On jouait un air comme celui-ci
Lorsque la guerre s'est réveillée
On jouait un air comme celui-ci
Lorsque la guerre est arrivée
[Couplet 2]
Et voilà que le printemps flambe
Les canons passaient en chantant
Et puis les voilà revenant
Déjà la gueule entre les jambes
Comme repassaient en pleurant
Nos grands frères devenus vieillards
Nos pères devenus brouillard
Et les femmes
Les femmes s'accrochaient aux enfants"
Le crieur du Populaire souligne d'ailleurs la "judéité" de son directeur nommé Léon Blum...
RépondreSupprimer"Drôle de guerre" tout sauf drôle...
Balayons oui ou non à la façon de Jim Thompson (puis Tavernier chez les colons) en manieur sans peur de Coup de torchon...
Comme un écho de tableau :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/12/du-tableau-la-terrasse.html
Et le pèlerinage en Allemagne dans le souvenir de la Bataille d’Iéna, alors que les chantres du nazisme sont déjà au pouvoir...
Supprimer"Qu'est-ce que la France de 1840 ? un pays exclusivement occupé d'intérêts matériels, sans patriotisme, sans conscience, où le pouvoir est sans force, où l'élection, fruit du libre arbitre et de la liberté politique, n'élève que des médiocrités, où la force brutale est devenue nécessaire contre les violences populaires, et où la discussion, étendue aux moindres choses, étouffe toute action du corps politique ; où l'argent domine toutes les questions, et où l'individualisme, produit horrible de la division à l'infini des héritages qui supprime la famille, dévorera tout, même la nation, que l'égoïsme livrera quelque jour à l'invasion. On se dira : Pourquoi pas le tzar, comme on s'est dit : - Pourquoi pas le duc d'Orléans ?
On ne tient pas à grand-chose ; mais dans cinquante ans, on ne tiendra plus à rien."Honoré de Balzac
Les personnages du métrage font allusion à un film avec Danielle Darrieux, qui en ce moment se joue, n'en parle pas à ton épouse...
SupprimerDD fit aussi un saut célèbre en Germanie...
Honoré paraît décrire notre médiocre modernité, mais il existe heureusement quelques motifs, même franco-français, de ne point désespérer tout à fait, moins encore de succomber aux tentations de saison, d'occasion, de la misanthropie, de l'ermitage, du terrorisme. Des Kirilov, l'Hexagone doit déjà en comporter assez, pas vrai ?
Contre tous nos démons, à domicile, à l'entour, à foison, votre regard, mon miroir !
Puisque c'est la saison... Marie-Octobre (1958) film de Julien Duvivier
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=GWXZD_QdY30
Vu durant l'adolescence :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/07/entre-ciel-et-terre-le-cinema-de-julien.html
Danielle plurielle :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/01/meurtre-en-45-tours-week-end.html
La tête d'un homme, un film de Duvivier d'après un roman de Simenon,
Supprimersi réaliste qu'il en devient par ombre portée interposée, celle de la figure de Radek fantôme halluciné hallucinant du Rodion Raskolnikov de Crime et Châtiment de Fiodor Dostoïevski, expressioniste ...
Joseph Heurtin tel un feu follet "fou ou innocent "condamné à mort et Maigret qui se heurte à un mur, tout comme tout ce qui emprisonne les êtres humains, triste vérité, même de l'apparente bonhomie de Maigret, il faut se méfier...Sombre Duvivier éclairant, l'ire, la colère intrinsèque de tout un chacun face à l'absurdité, la cruauté banalisée de la vie, qui fait que l'autre, le plus faible, peut finir corps perdu dans un terrain vague comme dans Panique...
Comme un écho, pas qu'à Dosto :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/05/pickpocket-i-confess.html
On trouve aussi une expressivité expressionniste dans Un carnet de bal, où Pierre Blanchar évoque un brin Conrad Veidt...
https://www.youtube.com/watch?v=Lr1wjR8Zcdc
Sur le superbe et acide Panique :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/12/monstres-et-fiancees.html
Serge Merlin a campé un Radek inoubliable dans https://fr.wikipedia.org/wiki/La_T%C3%AAte_d%27un_homme_(t%C3%A9l%C3%A9film,_1967), Jean Saudray un Joseph Heurtin émouvant, un pauvre diable victime des apparences, Jean Desailly un narrateur
Supprimersobre, ce qui souligne la noirceur maléfique d'un auteur de crime parfait qui se trahit lui-même par orgueil...
L'hubris + la police :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/02/enquete-sur-un-citoyen-au-dessus-de.html
https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-rue89-culture/20100721.RUE7622/l-assassinat-de-pier-paolo-pasolini-agite-toujours-l-italie.html
SupprimerLe point de vue disons apaisé de Marco Tullio Gordana me va, me semble le plus juste, en tout cas...
SupprimerBeaucoup (trop) de bruit, surtout en Italie, autour de ce "massacre" passé, sordide, sinistre, comme s'il fallait l'instrumentaliser, de tous les côtés, en effet, afin d'étouffer l'actualité scandaleuse des livres puis des films de Pasolini, grâce à eux toujours clairvoyant, vigilant et en vie...
Question balayage soigné qui est bon pour le moral de la troupe Michel Heim en connaît un rayon, un homme si drôle et si cultivé :
SupprimerExtrait du spectacle "Il était une fois Tatahouine" écrit par Michel Heim pour la Compagnie "Les Caramels fous". Captation réalisée en 1993 au théâtre Le Trianon à Paris par Françoise Maugueret et Eric Castaing.
https://www.youtube.com/watch?v=Xj3HiOoPWLc
L'original déjà drolatique, et Joëlle, ah...
SupprimerAvant ceux de Claire Denis (Beau Travail, 1999) :
https://www.youtube.com/watch?v=3U9YLLd4YgY&t=271s