La Ruée vers l’or : Demain le cinéma
Pépites qui périclitent ? Avenir d’un empire, d’une illusion de
saison.
À la mémoire de Liliane Montevecchi (1932-2018)
Le ciné sauve et désole. Survivant
centenaire, il persiste et piétine. Naguère, il excitait en prélude les maisons
de passe ; désormais, le voici consacré au musée. Même si la majeure
partie de ce qui se produit aujourd’hui s’apparente à des téléfilms misérables,
se décline en supposé spectaculaire paupérisé, relève de l’auteurisme européen subventionné,
singe le jeu vidéo davantage lucratif, le cinéma ne périt pas – pas encore. En
vérité, ce terme unique désigne une réalité protéiforme. Les films se
différencient par leurs imageries, leurs industries, leurs ambitions, leurs
réceptions. Et nonobstant, en Occident ou en Orient, ils demeurent, pour
résumer, une sorte de divertissement idéologique à visée commerciale et à
contenu culturel, au sens allemand du mot. Narratif plutôt que transgressif, conservateur
plutôt que novateur, peu porté sur l’abstrait, démultiplié sur les mille écrans
de la modernité, la projection de fait supplantée par le visionnage, le cinéma
vieillit vite, se consomme idem,
redoute de troubler, s’escrime à rassurer, les investisseurs autant que les
spectateurs. En 2018, la frilosité des films suffirait presque à renverser le
réchauffement climatique. Pourquoi, dès lors, continuer à écrire dessus, à
gloser à propos de l’insipidité du surgelé ? Parce que le désespoir ne
sied point, parce qu’il convient d’y croire, surtout en scribe subjectif d’une
cinéphilie pessimiste et athée. Assez de professionnalisme appointé, d’accord
de sponsors, de sermons humanistes,
de ressentiment sous pseudonyme. Que faire de la liberté d’expression
numérique, instantanée, surveillée ? En faire autre chose que ça, refuser les
jérémiades, la nostalgie, la stupidité généralisée, résister per se, au fil des titres, des articles,
des émotions et des formulations.
Lectrice, lecteur, ne prends pas, s’il
te plaît, cette poignée de lignes en petit plaidoyer pro domo sado-maso. Ton serviteur affranchi ne vaut pas mieux
qu’autrui, accorde-lui cependant la constance et la singularité de son regard,
de sa voix, distingue-les du dilettantisme, du grégarisme, du narcissisme. Une
soixantaine de texte sépare celui-ci du millier publiés sur ce blog et chacun, à sa façon, que tu
l’estimes bon ou non, représente une victoire contre la vie, contre le cinéma,
contre soi. La vie détruit, le ciné donne la nausée, le moi miroité insupporte,
pas seulement Pascal. Mais il s’agit aussi de matériaux premiers, sans lesquels
rien ne s’érige, ne se dépasse. Qu’il s’éternise, qu’il trépasse, le cinéma,
finalement, on s’en fiche, cela nous va, dans les deux cas. Exercice
profitable, chez Fritz Lang, dès l’enfance, au-delà. Passion à la fois d’isolation
et d’exposition. Moyen trop serein, devant ou derrière la glace, de relier les
régimes, d’ouvrir sur le champ des possibles, de l’éprouver en pleine
expérience poétique et politique, n’en déplaise aux éthérés assermentés.
Certes, la fatigue existentielle guette. Bien sûr, le mépris des produits
envahit la fovéa, voilà. L’incessante abondance dégoûte les partisans de
l’épure. Les remakes s’accumulent, de
sortie le mercredi. La grande famille incestueuse du cinéma français invite à
vomir, incite à fuir. Un brin orphelins, nécrophiles inoffensifs, les amateurs
de films, la plupart, précisons, ne rêvent pas de révolution, collectionnent
les disques audiovisuels à la maison, face à une fée, un magicien, assument la
pâmoison. On pourrait le regretter, à l’instar de l’actuelle pénurie de
radicalité du septième art, ainsi que l’appellent les bourgeois de SOFICA,
meilleurs ennemis des épiciers le dépeçant. En dépit du présent souvent
désolant, gardons-nous d’envisager un âge d’or (dé)passé, un pré radieux à la
Renoir, sur lequel verser en ligne des larmes de crocodile gérontophile.
Le cinéma de maintenant t’emmerde,
camarade ? Les sites spécialisés te dépriment, la presse similaire, tu la
laisses aux riches, aux oisifs, aux êtres experts assortis de cahiers
positifs ? L’agora te refile l’envie de dégobiller, te lassent les liasses
de billets, dollars, euros, yuans
main dans la main, entre les mains de gens malins, mesquins ? Ne baisse
pas les bras, ressaisis-toi, écoute de la musique, écoute le silence de ta
conscience, médite au milieu du fric, apprends l’absence. S’écarter, se taire.
Reposer sa cornée, vadrouiller loin de l’adversaire. Les démons, de Macron, de
Besson, de Berlusconi, de Lamberto Bava, vade
retro, sinistres saligauds, damnés idiots. La beauté, d’un visage, d’un
paysage, d’un métrage, va vers elle, autorise-la à revenir vers toi. Le hasard
constitue, tu le sais, une correspondance de nécessité(s). L’individualité, tu
t’en doutes, te connecte à n’importe quel quidam.
Les dames, en photo, en réseau, spectrales, vocales, qu’elles deviennent des
sirènes sympathiques selon ton odyssée à domicile. La forêt de Dante franchie,
la rivière du mitan traversée, il te reste, peut-être, quelques années avant de
crever, avant que la pellicule ne se casse, final
cut définitif. Comment caractériser un journal intime thématique, un carnet
de bord cosmopolite ? En œuvre collective, en parcours à partager. Oui, le
cinéma stimule toujours, malgré le désamour. Oui, son mystère mécanique
transcende l’économique, participe de l’alchimique. Alors peu importe si la
promesse déçoit, si le sublime ne survient pas. Les orpailleurs ne pinaillent,
ils manient le tamis, ils respirent au risque de l’imposture, de l’usure.
L’idée de l’or dévalue l’or lui-même, se substitue aux revenus, par définition
quantifiables, épuisables, sinon épuisants, pardon à tous les innombrables
pauvres de la planète se foutant du ciné aisé, de mes réflexions suspectes.
Le trivial, à l’horizontale, conduit
à la verticale de l’idéal, insaisissable, déjà là, comme le cinéma. Des
séquences afin d’apprivoiser le spleen.
Des mythologies afin de magnifier la mélancolie. Des corps et des décors, du
sang et du néant, du sperme et du suprême, histoire de tisser une histoire à la
Pénélope, d’attendre en s’activant, de cartographier le firmament de
l’intériorité, tombeau et marteau, niche à Nietzsche. Les films ? Un art
artisanal de l’espace et du temps, un piètre passe-temps. Le réalisateur ?
Un démiurge pour moutons de Panurge, un homme d’une honnêteté propice à la
fraternité. L’actrice estampillée tout public, ou la performeuse classée
X ? Une pythie pitoyable, un simulacre essentiel, une femme fréquentable,
défunte, fragile et farouche, pas touche. Que vous vous en souciez ou pas, le
cinéma mue, émeut, rend joyeux et malheureux. Au cours de trois siècles, en
écho à l’écran en trio d’un Gance napoléonien, il déploie son panorama, il nous plonge dans son monde,
il immerge notre imaginaire, il nourrit notre fibre contestataire. Tant pis
pour les corbeaux, il ne dit pas son dernier mot, il surnage au naufrage, aux
hommages, aux radotages. Super-héros démasqué, le ciné accomplit des mirages,
dissipe des miracles. Ouvre les yeux, essaie d’y voir mieux, éclairé(e) par la
nuit, indocile au désir. Le pire ne surprend plus, à rebours d’un récit. Le
familier effraie, merci à la défiguration. Le langage des images se fige, se
fixe, ou s’agrandit, désobéit. Et l’écriture, ni rature ni armure, permet de
pénétrer un esprit peu épris de peur, de mettre en valeur des créateurs, de
célébrer des inspiratrices. En matière d’impératrice, je préfère Marlene
Dietrich à Romy Schneider, viva Visconti, et toutefois, l’important c’est
d’aimer, pas vrai ?
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