La Petite Fille au bout du chemin : A French Letter for Jodie Foster


Portrait épistolaire d’une femme fréquentable.


Dear Jodie,

J’ignore si vous lirez un jour cette lettre, puisque francophone de bonne école américaine, comme chacun sait. Je vous l’écris sans chichis, je ne rédige pas votre biographie. Deux feuillets devraient donc suffire à vous dire mon admiration, non ? Ne croyez pas, loin de là, que je me fiche aussi de votre filmographie, mais j’aime avant tout y retrouver votre voix, y compris en VO, votre visage, votre jeu précis, intense, sincère, peu importe votre âge, ma chère. Cette fraîcheur naturelle, pérenne, vous l’affichez depuis vos jeunes années. On vous vit ainsi grandir puis vieillir avec nous, à l’instar de notre star nationale, Sophie Marceau, point trop n’en faut, qui partage avec vous le privilège discutable d’avoir poussé la chansonnette suspecte au côté de vocalistes hexagonaux, citons Claude François & François Valéry, par ailleurs estimable compositeur pour le saphisme soporifique de Joy et Joan (Saurel, 1985), passons. Belle et sereine, vous semblez survoler la jungle hollywoodienne, accomplir votre carrière avec indépendance et persévérance. On connaît votre amitié avec le pestiféré Mel Gibson et telle fidélité désintéressée vous honore, a fortiori au royaume terni des trahisons, des étreintes ou scandales de saison. Je ne reviens pas ici sur Le Complexe du castor (The Beaver, 2011), votre réussite en tandem avec l’acteur-réalisateur de valeur, parfois de bruit et de fureur, je me permets de renvoyer le lecteur et peut-être vous-même vers ma prose tout sauf en peluche, ni éprise de psychanalyse. Je voudrais juste me remémorer quelques-uns de vos rôles, saluer votre personnalité à chaque fois reconnaissable sous la persona, tant les masques nous démasquent, même les actrices dites, à raison, « de composition ».




En effet, l’autobiographie ne paraît point vous affoler, sinon de façon diffractée, je pense au Petit Homme (Little Man Tate, 1991), votre premier effort d’enfance et de différence derrière la caméra, cette fois. D’accord, vous fîtes récemment un coming out assez superflu, dévoilant un secret très éventé, confirmant une rumeur guère de malheur. Aux USA, apparemment, on aime cela, médiatiser son orientation sexuelle, en tirer une fierté affirmée, réflexe d’opprimé(e)s ou niche de marché spécialisé. En bon hétéro rétif à l’exhibitionnisme, je préfère la discrétion, je prise l’émotion, je ne me soucie pas de savoir qui baise qui et comment, avec ou sans enfants (psychodrame du « mariage pour tous »). En matière d’homosexualité, en tant que lecteur et spectateur, aimable Mademoiselle Foster, j’en reste à Proust & Burroughs, à Visconti & Fassbinder, je laisse son militantisme pasteurisé au lobbyisme LGBT, dont les membres bruyants détestèrent, évidemment, stupidement, l’inoffensif Le Silence des agneaux (Demme, 1991), illico transformé en modèle d’homophobie, ah oui. Tout ceci pour vous certifier ma sympathie, vous souhaiter, à vous et votre épouse, votre progéniture, le meilleur des bonheurs, pour souligner en outre que l’important, selon ma cinéphilie, en tout cas, ne se situe pas là, seulement sur l’écran, un peu au-delà, lors de passages dans la presse ou à la TV, charme, intelligence et humour intacts, conservés. De Alice n’est plus ici (Scorsese, 1974) à Money Monster (Foster, 2016), je vous suivis, de près, à distance, vade retro John Hinckley, tout au long de Taxi Driver (Scorsese, 1976), Bugsy Malone (Parker, idem), Les Accusés (Kaplan, 1988), The Silence of the Lambs, Little Man Tate, Maverick (Donner, 1994), Nell (Apted, pareil), Contact (Zemeckis, 1997), Anna et le Roi (Tennant, 1999), Panic Room (Fincher, 2002), Un long dimanche de fiançailles (Jeunet, 2004), Flight Plan (Schwentke, 2005), Inside Man (Lee, 2006), À vif (Jordan, 2007), Carnage (Polanski, 2011), Elysium (Blomkamp, 2013).




En 2018, vous (re)voici au générique du Hotel Artemis de Drew Pearce, infirmière futuriste. Mary Lambert, Allen, Chabrol, Hopper, Richardson, comptent au nombre des cinéastes qui vous dirigèrent, qui collaborèrent avec vous, nuance de confiance. Malgré des titres incontournables, des réussites sympathiques, des salaires de millionnaire, des diplômes universitaires, en dépit des multiples prix cosmopolites, reçus à bon escient, de l’ensemble, pourquoi le cacher (je célèbre, je ne cire pas les bottes, dommage pour les vôtres), émane presque un sentiment d’inachevé, imputable en partie à des choix personnels, à un contexte industriel. Pas de nostalgie jolie sous ma plume numérique, rien qu’un constat, accordez-le moi, celui du quinquagénaire Hollywood, où vous débutâtes à dix ans, chez Disney, drivée par une mère célibataire, publicitaire, désormais atteinte d’un Alzheimer. Après la nouvelle vague aventureuse et dépressive des seventies, les choses rentrent vite dans l’ordre, dans les blockbusters à la con, les colonnes d’astronomes de l’effroyable box-office. Comment continuer à faire du ciné, du vrai, différent, stimulant, au cœur d’une vraie-fausse capitale des images audiovisuelles occidentales, dorénavant peuplée de pantins en collants navrants, pardon à Patty Jenkins (Wonder Woman, 2017), sinon à la télé, où vous signez des épisodes de Orange Is The New Black, House of Cards, Black Mirror ? Moins optimiste que vous, je ne considère pas la plate lucarne en panacée, globalement, je me fiche de Netflix ; moins manichéen, l’ancienne expression « domination masculine » me fatigue, et la victimisation univoque, généralisée, me file la nausée.


Jamais je ne perçus dans la prostituée adolescente de Scorsese, la femme violée (à plusieurs, sur un flippeur) de Kaplan, l’éducatrice étrangère de Tennant, l’emmurée à fifille de Fincher, la fiancée endeuillée de Jordan, des victimes résumables à ce sacro-saint statut, unidimensionnelles dans leur douleur, of course causée par des mecs abjects (relisez ou pas mon Trauma consacré à la thématique/imagerie du crime sexuel). Sans doute y voyais-je en filigrane une femme forte (pléonasme) et résiliente à sa mesure, dénommée Jodie Foster, actrice d’abord à contrecœur, constamment à contre-courant, la légitimité de son métier révélée par un certain Robert De Niro, le projet peu politiquement correct d’un biopic sur Leni Riefenstahl hélas abandonné. Résumons cette missive un brin divergente, pas aussi élégante que sa destinataire, tant pis, par une moralité de gratitude, non de déception. Votre parcours, délicate et déterminée Jodie, demeure enviable, témoigne en soi que l’on peut escompter le succès sans se renier, se déguiser, se faire exploiter, sans cesser de se respecter. S’il fallait vous rapprocher d’une consœur, de surcroît française, je pencherai vers Isabelle Huppert, au CV certes davantage auteuriste, voire doloriste. Et cependant votre lumière, votre énergie, votre talent, votre singularité, n’appartiennent qu’à vous-même, parviennent à dépasser un corpus, à s’y incarner, de manière remarquée, à travers les années. Je vous en remercie, je m’en souviens maintenant, demain. Prenez soin de vous et restez rigoureuse, claire et non austère, fraternelle et dissemblable Jodie Foster...


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