La Chambre claire : Note sur la photographie : La Pitié dangereuse
Barthes, Bazin, l’air de rien, l’aura du macchabée,
l’identité de l’aimé(e).
Clair et court, modeste et illustré,
l’essai dématérialisé, lu en ligne, hier soir, s’avère une conversation avec
soi-même, une quête à la fois subjective et objective, à l’instar de l’être
photographié lui-même, conscience réifiée. Barthes cite Sartre, hommage
liminaire à L’Imaginaire (1940) inclus, Baudelaire, Blanchot, Kafka ou
Nietzsche. Il écrit, il décrit, il se souvient, se suppose un destin, use du
subtil latin, afin de formuler sa typologie jolie, sa théorie tressée à
l’intériorité. Il se moque du mode d’emploi, ça ne l’intéresse pas, il laisse
la sociologie aux psys, Dieu merci, il refuse les surprises de l’artifice et il
manie le mystique, cf. l’extase de coda. La présence insistante, pénétrante et
rayonnante de sa mère, morte, minote, rapproche La Chambre claire (1980)
du Livre
de ma mère (1954) d’Albert Cohen et de Ma mère du Nord (2015) de
Jean-Louis Fournier. Ainsi davantage originel qu’original, l’ouvrage sage
associe photographie et folie, amour et retour, réalité et vérité. Roland,
réaliste à la eXistenZ (Cronenberg,
1999), ou presque, fait fi du scepticisme mais pas de l’idéalisme. Au final, il
aborde les rivages de l’âme, d’une pratique, d’une personne. À son meilleur
aventure antonionienne, l’image fixe, factuelle, référentielle, fonctionne en
faire-part de décès du réel, autant qu’en embaumement de Maman, femme
supérieure, irremplaçable. Prendre la pose revient toujours à prendre le risque
de gésir – la Mort, encore, shoote et tue. Et la grande rejoint la petite,
moralisme assumé, lorsque la mauvaise lourdeur du pornographique, explicite,
s’oppose à la bonne légèreté de l’érotique, suggestif. Si l’Histoire éloigne,
le visage rapproche et délivre, in
extremis, au commencent, sa justice, sa justesse, gare à Godard.
Le produit photographique, jamais
nostalgique, de facto métaphysique,
guère proustien, s’apparente au suaire de Turin. Un art ? Une magie, par nature
analogique et pourtant émancipée de l’analogie. La modernité se passe de
monument, dépasse la durée. Le témoignage de l’image disparaît au sein d’une
société imagée, son scandale s’assourdit sous le bruit constant des signes
inaboutis, mythiques, imitateurs de malheur, de théâtre porno, sado-maso, ou
point. Plate et complète, contingente et concomitante, la photographie réussie
résonne à l’intérieur de l’observateur, provisoirement en vie, parvient à
immortaliser, même de manière éphémère, trépas programmé du papier, via son processus chimique, alchimique,
l’ombre claire de la mère, des morts qui s’ignorent ou se savent condamnés, à
mort, justement. Temps scellé tarkovskien du passé indéterminé, elle dialectise
le regard et le voir, elle donne à ressentir la pitié, ou alors elle déréalise,
elle participe de l’inauthentique, de l’ennui, aussi, dans le sillage presque
évanoui du religieux. Le cinéma, dans tout cela, commande des Cahiers
contournée ? Une illusion normale, un glissement sans cesse progressif, du
désir, rajouterait Robbe-Grillet, une fiction à côté de celle du langage, de
son insignifiance, dotée d’un hors-champ onirique, incapable d’être
mélancolique, dépourvue de rencontre oculaire. En définitive demeure une
alternative, pour le lecteur enfin dessillé, pour l’auteur fissa renversé, par
un camion à la con, deux mois après la publication : le spectacle
civilisé, l’intraitable réveillé.
Découverte par votre serviteur
environ quarante ans plus tard, La Chambre claire mérite que l’on y
pénètre. Barthes, dédoublé, fait une brève allusion à Blow-Up (Antonioni, 1966)
et, revigoré, refait Fellini, l’épiphanie privée, musiquée, du pantin féminin
de son Casanova (1976), en tout cas. Tandis que l’image maternelle relève
de l’angle mort, présence-absence en cristallisation des notions traversées,
développement d’une praxis qui ne développe rien, qui fige, qui fustige, le
texte stimulant, pertinent, précis, limité, à la sobriété racinienne, au
sentimentalisme issu de la soixantaine, à l’humour aimable et à l’auto-ironie
polie, intègre des reproductions de saison, du Polaroïd inaugural de
Daniel Boudinet, pris en 1979, au Petit Chien d’André Kertész, capturé
en 1928, en passant par des items notamment
d’Alfred Stieglitz, William Klein, Richard Avedon, Nadar, Robert Mapplethorpe,
Nicéphore Niepce et même un cliché de collection personnelle, de lignée
désormais sectionnée. Hasard ou nécessité, Roland Barthes, homosexuel, et Susan
Sontag, lesbienne, son amie, accessoirement la compagne d’une certaine Annie
Leibovitz, rédigèrent donc deux livres d’images, au propre, au figuré, Sur
la photographie précédant La Chambre claire de trois ans. Que
les théoricien(ne)s du « genre » s’astiquent avec ceci, qu’ils ou elles glosent sur l’homoérotisme du jeune homme jim morrisonien décadré par Bob
Mapplethorpe, probable autoportrait. L’opus
on line arbore en outre des canassons
new-yorkais, des nonnes, des soldats et un cadavre d’enfant, sous drap blanc,
au Nicaragua, des Moscovites de Premier mai, un notaire honni des nazis, une
piaule à l’Alhambra, des gamins américains de quartier italien, des débiles
d’institution, Phil Glass & Bob Wilson, une reine victorienne, une poétesse
en faiblesse et un peintre pénétré.
Concluons cette recension, à ranger
au côté de ma prose à propos de L’Œuvre d’art à l’époque de sa
reproductibilité technique (1955) de Walter Benjamin, par une série de
dissensions adressées à un titre estimable et discutable. Le regard caméra
existe. Le cinéma constitue un art funéraire. La pornographie, a fortiori filmée, cartographie un
empire de la tristesse, fesses pour cinéphile hétérosexuel en sus, please. La mélancolie, carburant du
corps et à celui-ci, irrigue la prise de vue(s) et la caméra, de photographie
ou de cinéma, ressemble à un cyclope impitoyable cadrant toujours, à chaque
instant, à chaque plan, une incessante descente au tombeau. L’électronique et
le numérique rebattent les cartes de la mimesis, multiplient les simulacres. Le
selfie affirme un narcissisme de
surface et dresse un PV d’adulescence. À la vérité, marotte mensongère de
dictateurs et de fanatiques, il faut préférer la beauté, singulière,
singularisée, signifiante dans sa sincérité de facticité. Les mères imaginaires,
aplaties par l’imagerie, amoindries par la maladie, enterrées, incinérées, ne
ressuscitent pas, elles persistent à peine, dans des lignes sanguines, sur des terres
littéraires. Et les pères, de sperme, de ciné, imparfaits, partie prenante, ni
héros ni salauds, valent mieux que le mépris féministe d’une misérable ministre, du gouvernement Macron, à la culture de feuilleton mormon. Oui à la photographie, oui à Weegee, à Evgen
Bavcar, fascinant photographe aveugle, vive le point de vue documenté,
transcendé. Que vivent longtemps, sur l’écran bruyant, au creux de recueils
silencieux, nos morts-vivants désarmants, qui nous attendent patiemment, qui
nous sourient depuis l’aboli. Lorsque la photographie se fond dans le cinéma,
ou l’inverse, on aboutit à l’épilogue ouvert de Shining (Kubrick,
contemporain de 1980), lent travelling
avant vers l’image d’un autre âge, bal national à l’Overlook, fossilisé en
fondus enchaînés par un ancien stagiaire de Look – regard, retard,
réincarnation, renaissance, spectres de spectrum
et redrum méta, voilà.
LA CAMERA OSCURA LA CHAMBRE NOIRE NOTES DE ROLAND BARTHES SUR LA PHOTOGRAPHIE j'adORe IRINA OLIVIER DE BOURLAS
RépondreSupprimerPlutôt lucida, ici ; merci du passage, lectrice au presque prénom de féline fantastique...
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