La Maladie de Sachs
37°2 l’après-midi + un regain de sursis.
La maladie ramène à soi-même. Même un
rhume merdique, maté à coup de médocs médiocres et de système immunitaire
supérieur, l’arme la meilleure, la plus impitoyable, surtout lorsqu’elle se
retourne contre son propriétaire, ramène au monde. Chaque convalescence devrait
s’éprouver ainsi, en modeste renaissance. La machine vivante, émouvante, puise
en elle ses propres puissances, se purge par la sueur, éprouve à nouveau la
douceur, du soleil et de l’air, durant la marche presque printanière. Le
diagnostic définitif, nul ne guérit à l’infini, malgré les rémissions de saison,
tu finiras dans un trou, dissous, cosmique et comique, n’assombrit pas le
sujet, ne parvient à lui voler sa lumière intérieure, à troubler sa respiration
retrouvée. Quel rapport avec le cinéma ? Il va de soi, en tout cas pour moi,
peu préoccupé de publier mes bulletins de santé. Les pellicules pullulent,
virtuelles et virales. La cinéphilie se classe comme forme bénigne de
nécrophilie. Les films adorent les malades, puisque les acteurs ne résistent
pas à l’idée d’imiter des mal-portants, récompense de performance à la clé. La
vie en société de la modernité souvent s’apparente à une expérience de
psychopathologie et les maux du corps social s’étalent dans le journal.
Relookées par l’imagerie appliquée, médicale, banale, nos anatomies intimes se
voient maintenant retournées comme des gants, territoires à la fois merveilleux
et monstrueux, cartographiés par le scan
assourdissant de l’IRM. La vie déduite en maladie d’après les derniers mots
triviaux de Socrate, débiteur de coq à Esculape, ou alors la « grande
santé » des hommes caractérisés par leur nouveauté, « sans cesse à
conquérir et à sacrifier » : l’alternative nietzschéenne, davantage
exigeante que sereine, demeure un digne défi, un traitement toujours stimulant.
Dès le passage au parlant, les cassandres critiques et/ou corporatistes enterrèrent le ciné ; idem pendant les années 50 puis 80, à
cause de la TV, de la publicité, du clip. En 2018, le patient se maintient, se
dématérialise, se fait un fix chez
Netflix. Et le X, désormais disponible sur cellulaire prépubère, suscite à l’occasion
l’addiction, tandis que disons six
décennies plus tôt, l’aventurier Antonioni dissertait à propos d’Éros maladif,
diantre. Tous malades ? À l’évidence, à sa manière. Tous incurables ? Autant s’exterminer
aussitôt. Les anticorps des cinéastes, des citoyens, résistent encore et les
spectateurs peuvent se passer de docteurs, quitte à pratiquer une
automédication à la con, à s’infliger des laxatifs actifs de cynisme, d’auteurisme,
déguisés en divertissements grisants, en chefs-d’œuvre édifiants. Une
pharmacopée, pourquoi pas, mais à petites doses, pas pour tout le monde la même
chose. Quant à l’homéopathie de l’utopie, non merci. Le cinéma, toi, moi, ici, aujourd
hui, au sein d’un organisme unique et fantastique, plus renversant que tous les
voyages homonymes hollywoodiens, chirurgiens nommés Fleischer & Dante. L’épiderme
maltraité de la planète, les prodiges pour riches du transhumanisme, les
cancers réactionnaires, les infections fanatiques, la contamination croisée du
vide et de la nausée, mille et un symptômes monotones ne nous empêcheront pas
de (vouloir) guérir, de jouir, d’écrire, de mourir ni de percevoir, d’apprendre
à voir, enfin lucides, point morbides, la beauté des souffrants, la fulgurance
d’une résilience, l’éthique d’une séance cinématographique. Jadis éduqué à la
clinique de Cronenberg, votre praticien spéculaire préféré opère sans
anesthésie, délaisse les autopsies, ne suit pas la posologie de la doxa. Toubib
autonome, à ton tour rétablis-toi !
Commentaires
Enregistrer un commentaire