Chicago
Un métrage, une image : Victor Victoria (1982)
En 1982, Dustin Hoffman se déguise en
femme (Tootsie, Sydney Pollack), tandis que Julie Andrews se grime en
homme. Nous voici, ainsi, dans le sillage polémique de Cruising (William
Friedkin, 1980), où Al Pacino se perdait au cœur des bars homos, au creux de
son miroir maso. Ici, point de trouble identitaire, d’enquête existentielle, l’hétérosexualité
ne vacille jamais, malgré les apparences, justement, et Blake Edwards magnifie
son épouse travestie, comme s’il éprouvait le besoin d’un costume masculin,
afin de mieux mettre en scène la sensualité de l’actrice guère androgyne,
jusqu’alors gentille Julie de Mary Poppins (Robert Stevenson,
1964), La Mélodie du bonheur (Robert Wise, 1965) ou du
Rideau déchiré (Alfred Hitchcock, 1966), estimable trilogie apocryphe
et familiale. Outre réussir en réponse à l’échec intéressant de Star!
(encore Robert Wise, 1968), Victor Victoria retravaille un item de la UFA, millésimé 1933, date
fatidique en Germanie, certes sympathique, mais aussi très limité, en dépit du tandem talentueux de Renate Müller & Adolf Wohlbrück (Viktor und Viktoria, Reinhold Schünzel). Bien entourée, accompagnée
(musicalement) par l’irrésistible Lesley Ann Warren (Cop, Chienne de vie, L’Anglais
puis Desperate Housewives à la TV), le solide James Garner (Maverick,
Space
Cowboys), l’altruiste Robert Preston (Junior Bonner, le dernier
bagarreur), Mademoiselle Andrews séduit sans cesse le spectateur, la
spectatrice, peu importe le sens du désir, vêtue de ses multiples tenues, mise
à nu (baignoire incluse), sinon sublimée, en sus primée, par un collaborateur amoureux, doublé
d’un réalisateur à la fois ludique et mélancolique, auteur de remarquables et
remarquées « comédies dramatiques », pour une fois, intitulé adéquat,
dénommées Diamants sur canapé (1961), La Panthère rose (1963)
ou The
Party (1968), je prise moins son Opération jupons (1959), ses La
Grande Course autour du mode (1965) et Meurtre à Hollywood
(1988).
Présage inversé du pareillement
transgenre Dans la peau d’une blonde (1991), ce Victor Victoria-là rend
hommage à Marcel Pagnol, affiche de Fanny a fortiori, présente un Paris de pauvreté, de paillettes,
s’interprète en mélodrame optimiste, en « comédie musicale » sociale
et sexuelle, dont l’élégance constante, naturelle, pas muséale, pas cireuse,
doit bien sûr sa part aux apports de Patricia Norris (Elephant Man, Scarface,
Blue
Velvet) aux costumes, de Rodger Maus (Le Village des damnés
selon John Carpenter) aux décors, de Dick Bush (Tommy, Le
Convoi de la peur, Natty Gann) à la direction de la
photographie, de Henry Mancini (La Soif du mal, Mirage de la vie, Lifeforce)
à la partition et aux chansons (lyrics
du bondesque Leslie Bricusse), à raison oscarisé. Moralité sur la virilité,
avec castagnes rassurantes, accessoirement cafards au restaurant, Victor
Victoria, tout sauf véhicule narcissique (reproche adressable au Yentl
de Barbra Steisand, 1983), émeut et amuse en mode méta, laisse la question du
« genre », désormais théorisée, instrumentalisée, à nos lobbyistes
universitaires contemporains. Plutôt film féminin que féministe, opus à moitié anglais, puisque tourné à
Pinewood, ouvrage autant classique que lyrique et (gentiment) satirique, Victor
Victoria se déroule en France, en 1934, par conséquent à l’ombre de
Daladier, de l’extrême droite, d’une manifestation de saison. Et cependant, Blake ne remake pas Stavisky (Resnais, 1974), il signe
un divertissement brillant, l’écrin serein d’une chanteuse valeureuse, d’une
muse amoureuse. Quant au numéro Crazy World, il constitue
toujours, en 2018, une leçon de cinéma, une superbe manière de filmer, en travelling circulaire à 360 degrés, le
visage, la voix, la mélodie, la solitude et le public, la douleur et l’envol. Vacciné
contre le militantisme manichéen, la reconstitution à la con, Victor
Victoria dit (chante) oui à la vie, opte pour la concorde, bouleverse avec
le sourire.
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