The Woods : Films et Forêts
Promène-toi dans les bois, au risque de t’y perdre-retrouver, d’y
jouir-périr.
La Nature est un temple où de vivants
piliers
Laissent parfois sortir de confuses
paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts
de symboles
Qui l’observent avec des regards
familiers.
Baudelaire, Correspondances, Spleen et
Idéal, Les Fleurs du mal
Sitôt filmée, la végétation boisée
cesse d’exister, existe d’une autre façon, pure représentation à l’orée de l’abstraction.
Au cinéma, la forêt se transforme en
fantasme, sinon en mystification, cf. les séquoias funestes de Sueurs
froides
(Hitchcock, 1958). Si La Forêt d’émeraude (Boorman, 1985)
et Princesse
Mononoké (Miyazaki, 1997) portraiturent la prodigalité d’une nature
verticale tamisée par l’écologie et l’animisme, A Touch of Zen (Hu, 1971)
en fait l’espace martial d’une chorégraphie-calligraphie et Rabies
(Keshales & Papushado, 2010) le cadre ironique d’homicides fratricides. À l’évidence
lié à Vendredi 13 (Cunningham, 1980), lui-même démarqué de La
Baie sanglante (Bava, 1971), le slasher
israélien reprend la trame arithmétique de soustraction, d’élimination en
série. Déjà Le Projet Blair Witch (Myrick & Sánchez, 1999) participait
d’un art minimal à base de found footage et de hors-champ inquiétant. Petit
budget ou grosse production, donc, repensons à la forêt de La Fille de Ryan (Lean,
1970) où Rosy s’envoie en l’air bien avant l’urbaine Rosie de Frears. Depardieu
quant à lui marche et se couche dans The End (Nicloux, 2016) tandis que
Mel Gibson pénètre littéralement, dès le premier plan de Apocalypto (2006), au
sein d’un univers végétal/sociétal en sursis. Dans L’Enfance d’Ivan
(Tarkovski, 1962), la forêt s’affiche en terrain de jeux dangereux, en cour
d’amour mortelle dont la picturalité arboricole héritée de Paolo Uccello se
verra ensuite reprise par le Patrice Chéreau de La Reine Margot (1994). Elle
reviendra, davantage diurne et cruelle, dans Requiem pour un massacre
(Klimov, 1985). On peut en ce lieu rencontrer des cannibales (The
Green Inferno, Roth, 2013), des poupées (Jukai, Lissot, 2016), des
amants d’antan (Les Amours d’Astrée et de Céladon, Rohmer, 2007), des armes
aériennes (Le Secret des poignards volants, Zhang, 2004), un Mur
invisible (Pölsler, 2012), un Animal (Pohjavirta, 2005), un Revenant
(Iñárritu, 2015), une Woman (McKee, 2011), un samouraï (Après
la pluie, Koizumi, 1999), une productrice (Abandonnée, Cerdà, 2006)
prisonnière d’une canopée en partie empruntée à Stalker (Tarkovski,
1979).
Décor de conte de fées horrifiques,
la forêt parfois héberge des sorcières et des ogres modernisés dans La
Nurse (Friedkin, 1990) puis Twin Peaks: Fire Walk with Me
(Lynch, 1992). Murnau au cœur des Carpates (Nosferatu le vampire,
1922), Curtiz au creux de Sherwood (Les Aventures de Robin des Bois,
1938), Kurosawa en Asie russe (Dersou Ouzala, 1975), Hough avec Bette
Davis & Walt Disney (Les Yeux de la forêt, 1981), Lang en
mode mythologique (Les Nibelungen, 1924), Goddard en mode méta (La Cabane
dans les bois, 2011), Loznitsa ramolli Dans la brume (2012),
Hosoda animé (Les Enfants loups, Ame et Yuki, idem), Na possédé (The Strangers, 2016), Glazer aliéné
(Under
the Skin, 2013), Burton décapité (Sleepy Hollow, 1999) : chacun
explore le corps forestier, à travers un regard primitiviste (Rambo,
Kotcheff, 1982), panthéiste (Le Nouveau Monde, Malick, 2005),
fataliste (Le Cercle rouge, Melville, 1970), symboliste (Fear
and Desire, Kubrick, 1953), merveilleux (Excalibur de Boorman,
1981 + Legend de Ridley Scott, 1985) ou malheureux (Into
the Wild, Penn, 2007). Evil Dead (Raimi, 1981) et Essential
Killing (Skolimovski, 2010) constituent un tandem de survivals,
sous-genre non homologué par l’ONF, certes, jadis immortalisé par le
récidiviste Boorman de Délivrance (1972). Le
Pacte des loups (Gans, 2001) et Le Territoire des loups (Carnahan,
2012) ne déploient pas les mêmes spécimens lupins. La Compagnie des loups
(Jordan, 1984) relit Perrault et Grimm via
une optique féminine et Heimat (Reitz, 2013) s’inscrit dans
le sillage du romantisme allemand. Le début de L’Enfant sauvage
(Truffaut, 1970) dialogue avec la coda de Fahrenheit 451 (Truffaut, 1966). Le
Conte de la princesse Kaguya (Takahata, 2013) corrige en quelque sorte La
Forteresse noire (Mann, 1983). Enfin, finissons notre énumération tout
sauf exhaustive, objectivement subjective, le lecteur le devine depuis la
première ligne, sur une note plus légère, Les Randonneurs (Harel, 1997) balade
le spectateur sur le célèbre et insulaire GR 20.
La forêt se différencie de la jungle à l’exotisme d’enfance, voire au
colonialisme WASP, et de la montagne au terrible sublime kantien, à l’alpinisme
riefenstahlien, des films afférents. La forêt effraie, défait. Dante la
traversa au milieu de son CV, frissonne de chanter sa férocité infernale. La forêt
sert à perdre des enfants, pas vrai Petit Poucet relooké par
Hisaishi & Dahan ? Entre les troncs, à l’horizon, point de gorille
géant épris pour de vrai de Fay Wray, pas de tigre du Bengale de pierre
tombale, pas de serpent pour étreindre les Blancs botanistes, bestiaire zoophile,
nécrophile et teinté de Brésil sis parmi des contrées arpentées par qui vous
savez. La forêt ravit les cinéphiles citadins sidérés par les arbres
tarkovskiens. La forêt frémit d’un silence infini, de la sensorialité d’une
tapisserie sonore à domicile, à saisir entre les pins guère sereins du village
de Laura Palmer ou du conservateur Shyamalan. La forêt affole l’imaginaire et
surtout celui des frontières. Quoi, au-delà du bois ? Nous ne le savons
pas, nous redoutons de le découvrir. Sas d’extase ou de mise à sac, refuge de
résistants et cimetière de partisans, spécialement en Pologne, la forêt nous
enracine à nos origines et nous permet d’entrevoir la lente durée de
l’éternité. Tout autour du voyageur éphémère, de la victime sexuée du guignolo
à couteau phallo, de l’ado violée par une caméra véloce, se dressent des orgues
remplis de sève et de trêve, propices à la rêverie éveillée du ciné. Ici, la
solitude respire, s’ouvre au réel, s’éprouve plurielle. Nul ne part jamais seul
en forêt puisque la forêt accompagne chacun de vos pas, voilà. La forêt
familière et cependant radicalement différente de la vie en ville s’offre aux
tournages paupérisés, éloigne des huis clos perfusés à l’argent public de
l’auteurisme si chic. La forêt se fiche de nous, de tout, hautaine et sereine,
dérangée, en danger. Dans la forêt il faut fuir, s’enfouir, défaillir, se
refaire, se mettre au vert, au Scope contradictoire. Et se taire, ô ma Mère.
Très beau billet !
RépondreSupprimer"Il a une mère ce petit ? - Oui, moi ! "répondait le fantastique tragique Guillaume Depardieu au travers de son rôle de forestier rebelle au grand coeur perdu dans le film Versailles de Pierre Schoeller (2008) https://www.youtube.com/watch?v=Ui5Z2il9zQc
https://vimeo.com/77333464
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=2rjI6vDPxLM