La Femme bourreau : Les Triplettes de Belleville
CRS ou SS ? Faux cils ou faucille ? Outrage ou ratage ? Comme un anniversaire amer.
Film unique à plus d’un titre, La
Femme bourreau cristallise 1968 et Dieu merci s’en émancipe. Avant
visionnage, votre serviteur apprend qu’Anatole Dauman le produisit en partie,
qu’il ne trouva aucun distributeur, voilà son malheur, que son auteur, Jean-Denis
Bonan, enseigna le cinéma – ne riez pas –, qu’il bossa au côté de Boutang,
qu’après un premier court intitulé Tristesse des anthropophages (1966),
interdit en compagnie de contemporains baptisés La Bataille d’Alger, La
Religieuse, puis un passage par l’ARC, par les cinétracts, il s’orienta
vers la vidéo, vers une carrière de documentariste culturel télévisuel, signalons
un Marcel
Carné (1994) commis pour ARTE. Contexte objectif de box-office oblige, ce métrage dans la marge, long d’à peine
soixante-dix minutes, par ailleurs dû au monteur amical du Viol du vampire, au même
moment exactement, ne pouvait certes rivaliser avec des concurrents hexagonaux plutôt
préoccupés de mariage à la gendarmerie, de baigneur petit, de Gabin tatoué,
d’ami salué, de Benjamin dépucelé, de Constantine à tout casser, surtout les
testicules de Johnny Hallyday, de Catherine Deneuve à Mayerling, de Noiret
renommé bienheureux Alexandre, de big
lessive selon Mocky, de Pacha chanté par Gainsbourg et de sauvages canards en
mode Audiard. Cinquante ans plus tard, on comprend à moitié l’indifférence des
passeurs professionnels, car s’il séduit souvent – beau boulot du DP Gérard de
Battista, bientôt partenaire de Miller –, s’il amuse assez, La
Femme bourreau emmerde quand même, échoue à déployer au futur
antérieur, à la Marker, sa singularité paupérisée, a priori sympathique si comparée aux pachydermes et outsiders précités.
Hélas, heureusement, le cinéma ne se
réduit pas à un assemblage de clins d’œil adressés disons à Demy, Chabrol,
Breton, Godard, Ed Wood, Vigo, Kubrick, Feuillade, liste impressionniste non exhaustive, of course. Bonan filme joliment de
jolies femmes, dont Jackie Raynal, déjà monteuse du lyrique Méditerranée
(1963) de Pollet, de La Boulangère de Monceau (idem) + La Collectionneuse (1967)
de Rohmer. Il inclut dans son rêve éveillé, mâtiné de film noir, de polar
psycho(logique/tique), à la bande-son travaillée, musique de Bernard Vitet,
accompagnateur renommé, spécialiste de l’accompagnement du muet, aux chansons
idoines chantonnées par le compositeur Daniel Laloux, croisé en légiste dans le
beau Poussière
d’ange (1987) de Niermans, les caméos de Rollin
en flic, de Moati en... inspecteur Mattei – personnellement et homonymement, j’en
reste au commissaire pas vraiment corse de Bourvil chez Melville, cf. Le
Cercle rouge (1970). Il suit l’odyssée simplette d’un bourreau parano,
déguisé jadis en fifille par sa maman pas marrante, de quoi vous transformer à
l’âge adulte en tueur en série de prostituées au ralenti, en travesti
meurtrier, sans pitié, propre à provoquer désormais l’ire égalitariste des militants
bien-pensants de la communauté LGBT. Apprécié par ses supérieurs durant la
guerre d’Algérie, pardi, notre exécuteur officiel s’amourache d’une policière
point austère, vite au lit, à la diction et au comportementalisme mine de rien
bressoniens. En coda de poursuite parmi des ruines guère palpitante, de
perruque sanglante, il nous gratifiera d’un second monologue explicatif,
justificatif gentiment anarchiste. Tout ceci, à vrai dire, laisse sur sa faim le
cinéphile même magnanime, démuni de guillotine, malgré des POV à la Carpenter
période Halloween (1978), une abstraite cellule liminaire enfumée à la Un
condamné à mort s’est échappé (1956), le parc des Buttes-Chaumont revu
dans Love
(2015) de Noé, rime de couple dépressif, un sommier à la Delicatessen (1991), saisi
en contre-plongée de nudité, une ironique conclusion postérieure de dix ans, en
voix off factuelle, où l’héroïne
intrépide devient mère par trois fois, voilà, voilà, s’inscrit au PC, se trouve « encore
utile, encore belle », amen.
En résumé, La Femme bourreau
constitue une sorte de rendez-vous dissident manqué, presque un pétard psychédélique,
voire expressionniste, mouillé, une curiosité pas déplaisante, peu convaincante, aujourd’hui disponible en ligne, dans une version DVD
scrupuleusement restaurée, de surcroît sous-titrée en anglais. Ni chef-d’œuvre
obscur ni purge arty, l’effort de Jean-Denis
Bonan ne le hisse jamais au niveau d’un guérillero ou d’un thaumaturge, dommage.
On y respire un brin l’air parisien et conflictuel de l’époque, mais l’item ne révolutionne rien, n’ambitionne
pas grand-chose, ne sait donner à ressentir la violence sociale, le
consumérisme sexuel et la solitude urbaine en germe, en démonstration, promis à
éclore la décennie suivante via les
fleurs très maladives du terrorisme, du X, de l’hypnagogique Un homme qui dort (1974) de Perec & Queysanne, similaire et
différencié OVNI filmique davantage adulte, littéraire et stimulant, les
enfants, avec le ramage doucement enragé de Lumila Mikaël en Eurydice
invisible. Restons sur la plage, sous les pavés, dans les interdictions
d’interdire et autres célébrations de saison à la con, de non-événement
désolant ripoliné en passage obligé du roman national : en 1968, outre-Atlantique,
La
Nuit des morts-vivants réinvente le cinéma dit d’horreur, fait
s’enraciner la terreur au cœur du réel, du matériel, repeint l’Amérique d’alors
en rouge sang de noir et blanc, paie son indépendance de financement et
d’esprit du prix d’un triomphe argenté confisqué, merci aux arcanes du copyright. Entre Bonan & Romero, pas
photo, en effet.
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