La Fin des temps : L’Élue


Vingt ans et toutes ses dents, disons deux décennies de ciné + le désir du pire.


Souvenez-vous et/ou relisez-moi : l’illusionnisme spatial de Capricorn One servait à redonner foi à/dans l’Amérique grâce au cinéma. Le messianisme religieux de La Fin des temps agit de la même manière, « mes bien chers frères ». Schwarzenegger, flic aussi suicidaire que Mel Gibson chez Richard Donner, y joue un ange déchu, littéralement suspendu dans les airs, qui va devoir protéger une désignée dépitée en sus de sauver le monde sur le point de passer à l’an 2000, et non au nouveau millénaire, disons celui de Kubrick sis en 2001, car même un littéraire rétif à l’arithmétique remarque l’erreur numérique, peu fatidique. Une juvénile et gracile Robin Tunney interprète une sorte de Rosemary’s Baby grandi, nanti, promis au sacrifice de la défloration et à l’enfantement du néant. Désormais, le Diable réside à Wall Street, François Hollande confirme, et le mal prénommé Gabriel Byrne, curé catho selon l’unisson de Stigmata, ah, ah, se délecte à incarner ce mauvais messie porté sur la bagatelle, cf. la scène du restaurant où il se saisit du sein d’une convive sidérée, lui roule un patin diabolique en public, la laisse extatique. La Fin des temps oppose ainsi un père doublement endeuillé à l’Adversaire voulant se reproduire et « changer la direction » métaphysique, on le cite. L’assemblée liminaire au Vatican, la crypte de l'église new-yorkaise aménagée en salle de travail et laboratoire de stigmates, lit bâché de L’Exorciste inclus, riment avec leur consœur de La Nuit des juges, espaces de sociétés secrètes et de stratégies obscures en parallèle de nos vies quotidiennes, circonscrites à la surface de la ville et des apparences. Peter Hyams, nous le savons, ne se contente pas de réaliser, il éclaire en low key une pleine parabole populaire sur la filiation et la rédemption, parfois tendue vers l’abstraction, cf. la salle d’accouchement et remember celle, cérémonielle, de Faux-semblants avec ses cardinaux écarlates.



Tandis qu’elle se déroule en plein jour, la séquence spectaculaire de poursuite sur les toits avec hélicoptère paraît nimbée de ténèbres, métaphorise la situation très instable du protagoniste policier, s’impose en leçon de découpage et de montage. Jericho cherche à choper Thomas d’Aquin, admirez l’usage de patronymes très connotés, au moins pour un cinéphile athée muni d’un minimum de culture biblique, et le garde du corps découvrira vite que son client capitaliste anonyme, cible loupée du vieillard éloquent bien que mutique à cause de sa langue coupée conservée en bocal, s’avère l’avatar de Satan, son essence manifestée, belle idée visuelle, par une élégante déformation liquide-quantique du plan. En bon tentateur de malheur, le brun bouclé, taquin, tentera notre pauvre incroyant traumatisé par un bain de sang domestique, démonstration de corruption (financière, spirituelle), représailles de funérailles, où périrent sa femme et sa petite fille, les lui montrera, instant méta, à portée de main, mise en scène obscène pour le convaincre de lui livrer la vierge à féconder, suivie par un psy auquel l’inoxydable Udo Kier prête ses traits trop suaves de mannequin aryen. Dans La Fin des temps, voir équivaut à croire, une pomme, édénique ou non, peut abriter des vers puis des damnés, mais l’officier baraqué ne se laisse pas impressionner, cède le marché de dupes, préfère se faire empaler par l’épée argentée de saint Michel (ou d’un collègue) dépourvu de son dragon, courageuse façon de remporter la bataille puisque le démon l’investit à la Friedkin. Ce trépas de transpercement phallique, écho au ravissement angélique-onaniste de Thérèse immortalisé par Le Bernin, constitue donc une victoire à la Pyrrhus, une coda douce-amère, pas spécialement de pietà, les chères disparues une dernière fois apparues, présage de félicité céleste, Christine remerciant son sauveur trépassé, apaisé, réconcilié avec sa meilleure part lumineuse, en posant tendrement sa propre joue contre sa main massive, immobile, reprise du salut papal de génuflexion.



Au-dehors, les festivités se poursuivent, la foule des fêtards décidément indifférente au drame pyrotechnique et eschatologique dissimulé dans des abysses de métro quasiment désaffecté, à peine dérangée par une poignée d’explosions de saison de bagnoles en vol. Les contre-jours, mon amour, permettent et attirent l’embrasement final, attisement dément précédé par une figuration risquée de Sa Majesté des mouches, que Rod Steiger, lecteur de Baudelaire, connaît bien et combat depuis au moins The Amityville Horror (économique), premier chapitre d’une épuisante série sorti en 1979, année du prologue de End of Days, vous suivez ? Hyams risque de basculer dans le risible imposé (par les producteurs) du Rendez-vous avec la peur de Tourneur, autre fable sceptique, il se rétablit cependant et ne lâche rien de son classicisme serein, attentif, précis, jamais paresseux. Outre fournir à sa star faisant frissonner les assureurs un rôle assez intense, porté avec une conviction et une sensibilité presque passées inaperçues, La Fin des temps bénéficie de la partition évocatrice de John Debney, de l’apport de Stan Winston et du studio KNB aux maquillages/effets spéciaux, d’un sérieux assumé s’autorisant un soupçon bienvenu d’ironie réflexive, notamment quand « Schwarzy » se fait rétamer par une mégère guère apprivoisée, belle-mère traîtresse en mode La Malédiction. À partir du scénario solide et surprenant d’Andrew W. Marlowe, collaborateur de Verhoeven sur L’Homme sans ombre et bien sûr créateur de Castle à la TV, notre cinéaste parvient à créer un réel climat de paranoïa, pensons à l’opportunisme sinistre, sataniste, de l’aimable CCH Pounder. Succès commercial à l’international, accompagné d’un échec critique généralisé, titre à moitié renié par Arnold, pour le coup peu généreux envers le réalisateur, tant pis pour la recommandation d’un certain Cameron, une pensée pour Marcus Nispel remplacé, olé, La Fin des temps mérite vraiment sa résurrection d’un soir, son exhumation de hasard (providentiel).



Il cultive les trouvailles, à l’instar de la faction intégriste (un salut au Carpenter de Vampires), dotée de l’insigne d’un cœur sacré, qui voudrait résoudre le problème posé par le retour programmé de l’Antéchrist en supprimant tout simplement Christine, nouvelle Marie baptisée d’un vocable christique, orpheline maternelle et italophone en sueur sur sa piste d’appartement. Cane, davantage Abel que Caïn, alcoolique devant boire la lie de la douleur, de la déréliction, de la colère, ne pourra empêcher le sniper de succomber à sa crucifixion à l’horizontale sur un plafond d’hôpital. Toutefois, telle jadis la gamine Regan, sa peau parlera pour lui, martyre d’indice. Certes, Satan sait ranimer les morts, supérieure descendue ou comparse incinéré, il doit malgré tout se conformer au sablier, respecter la fenêtre spermatique, ouverture chronométrée d’accès à l’origine du monde déposée sur un autel de blasphème (on y arrive via un ciné fermé, eh ouais), de messe noire souterraine, incestueuse, reprise du triolisme cauchemardé impliquant l’épouse et la fille de Kier, troublant ménage à trois en plan-séquence virtuose et autant souple qu’un serpent sournois de Paradis perdu. Conan, opéré cardiaque dans la dite vraie vie, se retrouve ici (encore) crucifié dans la rue, écoute une boîte à musique à la Leone, se moque d’abord de la numérologie inversée, 666 = 999. Byrne supprime l’équipier au moyen de son urine inflammable, noire comme la mélancolie, mais La Fin des temps n’incite pas au désespoir, au découragement. Au contraire, à sa mesure modeste et sincère, il s’avère un blockbuster vacciné contre le cynisme et le crétinisme, un film de croyance dans les puissances du cinéma, dans sa capacité à interroger sans rebuter, un film non pas terminal, une assurance de renaissance, au bord de l’épiphanie et de la transcendance. Hollywood, territoire infernal et commercial du motif démoniaque ? Oui-da et pareillement terrain de jeux ludique, cosmique, parfois pourvu d’une âme, d’une palpable passion, acception chrétienne ou non.



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