Breaking News : Heroic Trio
Flash
spécial : le fin mot reviendrait in
fine au ciné…
En 2004, le cinéma de HK s’invita à
Cannes, bien qu’en dehors de la compétition à la con. Sans doute le
plan-séquence virtuose d’une fusillade over
the top – on peut se souvenir de l’autocar
criblé de balles dans L’Épreuve de force – expliqua-t-il
en partie cette présence, alors que Johnnie To s’en étonna lui-même, son
métrage s’avérant a priori moins
personnel que d’autres titres. En redécouvrant hier en double DVD – seul un
module sur Milkyway Image mérite l’attention, et encore –, je pensais à
l’immeuble pris d’assaut de Time and Tide, au huis clos d’hosto
de Three,
aux cellulaires de Connected, à la cuisine du Festin Chinois et, dans une
moindre mesure, au romantisme de The Killer. Moins lyrique que John
Woo, même si ses braqueurs savent similairement
se servir de leurs deux mains armées, moins hyperactif que Tsui Hark, en tout
cas à l’écran, moins mélodramatique (un compliment) que Benny Chan, To entendait
délivrer une parabole laïque sur le pouvoir médiatique, mais son film paraît
bien timoré par rapport à Redacted signé d’un Brian De Palma
notoirement épris, lui aussi, des plans qui durent, des effets de « temps
réel » transcendé par l’espace-temps du ciné. Breaking News alterne
ainsi deux régimes d’images, celles de la pellicule et celles de la vidéo. Aux
premières la vérité, aux secondes la manipulation ? Voilà, et cela nous
conduit en bonne logique réflexive à une dimension méta pas assez développée :
quand un cinéaste se charge du montage des bandes policières, auxquelles il
rajoute une musique afin de les rendre davantage spectaculaires – obsession du great show en anglais dans le texte oral
–, le scénario collectif adresse un clin d’œil significatif à la position du
réalisateur.
Adepte du réalisme, To ne verse à
aucun moment dans l’hystérie pyrotechnique, y compris durant deux ou trois
explosions générées en numérique. L’unité de temps, d’action et de lieu advient
dès l’introduction, ces huit minutes environ de gunfight dans une rue à sens unique, avec une grue prima donna
virevoltant de travellings latéraux
en mouvements ascendants et descendants. Trois jours de répétition, nous
dit-on, on le croit, oui-da. To cherchait à immerger ses acteurs, venus de la
comédie ou de la pop cantonaise, dans
un sentiment de réalité, de sensorialité, de durée. Il y parvient, il réussit à
capturer le regard du spectateur comme naguère Welles au début de La
Soif du mal ou Mikhaïl Kalatozov avec Soy Cuba, références
incontournables d’ailleurs citées par Jean-Pierre Dionnet déguisé en hôte
asiatique. Et les deux split screens
rencontrés au cours de la prise d’otage riment avec l’incendie du lycée de Carrie
au bal du diable… La « tragédie » politico-policière
s’autorise quelques scènes de respiration à base de pétomanie des forces de
l’ordre et de fraternité entre braqueurs et tueurs à gages, en cela pleinement
inscrite dans une cinématographie qui ne craignit jamais le mélange des genres,
l’union des tons, d’où sa vitalité, sa générosité (aujourd’hui, la Corée du Sud
prolonge l’héritage). Film énergique et souvent drolatique, Breaking
News se garde bien de prendre parti, de verser dans le manichéisme
américain. Les flics et les voyous séduisent par leur grâce, tandis que le père
célibataire (réjouissant Lam Suet) retenu contre son gré avec ses deux marmots
apporte à l’ensemble une jolie touche d’humanité. Le témoignage du policier aux
bras levés, à la casquette envolée, charme idem
par sa simplicité, son honnêteté (instrumentalisées), sa manière de néantiser l’héroïsme inoffensif
infligé généralement (il sauva sa peau, il élève désormais son minot avec sa
femme).
Le trio de To – la belle Kelly Chen,
le sympathique Richie Jen, le pugnace Nick Cheung – mène la danse d’une œuvre
chorégraphiée, filmée au cordeau par un géomètre travaillant au jour le jour
(et sur plusieurs films à la fois !) sur le terrain de jeux géant d’une
ville propice à tous les débordements physiques et cartographiques. Car Hong
Kong constitue bien sûr le quatrième mousquetaire du thriller, magnifiée en métropole urbaine, malsaine, sereine, bien
avant Accident, production itou du sieur Johnnie. Les
quatre-vingt-six minutes passent très vite, quand bien même la belle mécanique
pourrait parfois sembler tourner à vide, ne pas aller très loin ni très
profond, camoufler son manque d’originalité, de densité, sous une forme
constamment attractive, inventive. Le building
de Breaking
News, avec ses couloirs – quasiment un sous-genre en soi via le cinéma dit d’horreur japonais –
étroits ponctués de plongées, de contre-plongées, de perspectives en entonnoir,
de ralentis ravis, guère envahissants, cependant, spatialise la virtualité du
mur d’images de la régie policière, chaque appartement, dont ceux aux
occupants piégés, littéralement, lestés de grenades, bigre,
reproduisant-correspondant à un écran de surveillance et/ou de diffusion. En
effet, à l’heure d’Internet, la guerre des polices (départements indépendants)
et des gangs devient en outre une
guerre des images, la mise en ligne d’un repas tranquille déclenche la
délicieuse réplique (en sus musicale, petit air chanté enjoué inclus) de la
capitaine psychorigide faisant fissa distribuer des paniers-repas aux hommes en
uniformes et aux journalistes agglutinés alentour. Breaking News se termine par une course-poursuite en fourgon et
moto à la Chasse à l’homme, notre braqueur avant tout victime de son cœur
(d’artichaut), avouant volontiers qu’il donnerait le premier rôle à la
fliquette menottée (et semblablement single)
dans son propre picture sur le point
de finir en fondu au noir définitif.
Entre les deux morceaux de bravoure,
équivalents dans le temps, de l’introduction et de la coda, l’opus nous remémore un Fritz Lang – surtout celui du Testament
du docteur Mabuse, voyeur démultiplié à l’instar du Tony Montana de Scarface
– réinventé par la légèreté ludique du stakhanoviste To. Contrairement à celle
d’un Ringo Lam, je renvoie vers Full Alert, la violence de Breaking
News ne se caractérise pas par sa nature adulte, voire SM, et le
comptage des cadavres discrets n’occupera pas longtemps l’esprit, tel le film
lui-même, au final très habile divertissement intelligent bien plus que charge
philosophique à la Platon sur les illusions et les désillusions d’hommes et de
femmes enfermés dans leur avatar chinois de caverne grecque. Je ne répéterai
pas ici ce que je pense de Johnnie et de son pitoyable Three, je me contenterai
de recommander le visionnage de son ouvrage élégant, amusant, en permanence rythmé, maîtrisé. Certains préféreront la folie ou la calligraphie des années
80, lorsque le cinéma hongkongais brillait à l’étranger, on ne le leur
reprochera pas, d’autant plus que ces items
bien-aimés participèrent de notre admiration pour une industrie immédiatement
amie, peuplée de francs-tireurs et de gens sans peur, ouverte sur des univers
inégalés, à l’exotisme heureusement familier. Néanmoins, Breaking News mérite
largement le détour (mortel), la redécouverte tout sauf suspecte, et il demeure
assurément l’un des fleurons de la filmographie disons graphomane de Mister To.
Treize ans après, je vous conseille par conséquent sans peine d’aller courir
dans les rues de HK avec Kelly, Richie et Nick (mentionnons l’aimable caméo de
Simon Yam) à la poursuite de leur réputation, de leur renommée, de leur salut
professionnel, corporel et in extremis amoureux.
Ultime ironie du métrage : il se
conclue par un double échec d’échange de rôles, improvisation létale et neige
cathodique – là-bas ou n’importe où, le scorpion ne saurait se prendre pour une
grenouille, et inversement. Johnnie To, réalisateur rieur au cigare de
stratège, se marre de sa moralité, en propose l’exact contraire avec son film primé, délicat, pas didactique, fougueux, un peu creux et ingénieux.
salut jean pascal, j'ai revu P.T.U de TO et il a bien un style à lui surtout quand il tourne sans scénario pour certains de ses films alors B.N peut-être aussi. Ceci explique peut-être cela.
RépondreSupprimerBonsoir Jamel, ravi de te relire ; oui, une errance nocturne en effet stylisée, sinon improvisée, plus personnelle aussi, sans doute - à très vite, ami "asiatique" !
Supprimer