Bagarres au King Créole : Quand j’étais chanteur
Play it again, Mike…
King Creole commence et finit par deux
réconciliations, collective et individuelle. Kitty White chante avec Elvis et
Danny chante pour son père. Ce double/beau duo de couleurs de peaux, de
générations, ne pouvait peut-être se dérouler qu’à La Nouvelle-Orléans. Si, dans
Obsession,
Brian De Palma fit de la ville métisse et musicienne un incestueux écrin
proustien, Michael Curtiz la cartographie en annexe de Casablanca. Depuis
l’ouverture matinale, calme, solaire, solitaire, jusqu’à la coda nocturne,
urbaine, animée, en huis clos, le métrage assemble avec aisance le réel et le
studio, la perspective et la frontalité, le désir et la chasteté, la biographie
et l’autofiction. Récit de réussite mélancolique, film noir aux faux airs de
comédie musicale, mélodrame familial et social, King Creole s’avère en
outre un hommage à nos mères aimées, regrettées, transposées, blessées,
maternelles, sacrificielles. Ronnie pourrait même devenir une amante à la Paul
Schrader, la consommation taboue, plaisamment appelée « accident », à
deux reprises compromise par l’arrivée de Walter Matthau, maquereau d’affaires
et paternel pervers, par procuration. Tout ceci, a priori, rimerait assez
avec la pénible psychanalyse d’un Kazan, et James Dean précédait le King sur le
projet avant de se crasher. Heureusement, le papounet ne subit plus les
sarcasmes de sa matrone, il doit plutôt s’humilier devant son employeur à la
pharmacie, la misère de la Grande Dépression du roman original de Harold
Robbins troquée contre la transition de rébellion des années 50, le consumérisme de la
décennie suivante annoncée via le
magasin à prix réduit et unique dévalisé par les pieds nickelés accompagnés de
leur « rossignol » à la guitare. Presley obtient un sursis militaire,
il incarne un fils orphelin, il perdra vite sa propre maman, tant le cinéma
constitue un art à la fois funéraire et prémonitoire.
Médiocre élève mais bon chanteur, le
voici propulsé du lycée illico sur la
scène du Blue Shade, tant pis pour le diplôme de fin d’année loupé une seconde
fois, because castagne. Maxie/Matthau
ou Charlie/Paul Stewart, familier de Welles, Minnelli, Cassavetes, caméo de Val
Avery inclus, proprio du Creole concurrent, indépendant, accessoirement tombeur
de la sister aussitôt ?
Opération vitale, pacte faustien, chantage d’agression et de vol de recette,
traque jusqu’à une maison sur pilotis au bout d’une radieuse jetée à la Dark
City,
coup de main d’un muet précédemment lésé lors d’un partage, coup de feu parti
en deus ex machina immergé, puis
consécration à l’occasion d’un CDI en chansons, les péripéties nous parlent du
passé qui ne passe pas, ne s’efface jamais vraiment, appelez cela fatalité, de
la seconde chance illusoire, Ronnie meurt dans les bras de Danny, pour un
baiser de virginité, pour un peu de bonheur accordé à la prostituée rédimée, du
souvenir transcendé par un titre d’antan. Les Jordanaires font les chœurs,
Jerry Leiber, Mike Stoller, Fred Wise, Ben Wiseman composent des tubes ou non, Walter
Scharaf arrange, harmonise l’ensemble, tandis que la charmante Liliane
Montevecchi, danseuse étoile à l’accent français délectable, aperçue dans Les
Contrebandiers de Moonfleet ou Le Bal des maudits, se désape de ses
bananes à la Joséphine Baker ou Jean-François Davy, bien trop explicites en
1958, par conséquent coupées, désormais réintégrées dans la version
remastérisée sur DVD. Carolyn Jones & Dean Jagger, improbables amateurs de
sauriens (Le Crocodile de la mort de Tobe Hooper + L’Incroyable Alligator de
Lewis Teague), émeuvent, Dolores Hart, candide, pas insipide, en attendant
d’entrer au couvent, se trouble à la vue d’une chambre d’hôtel de plan cul, Jan
Shepard dorlote son frérot, Vic Morrow joue les frères apprentis gangsters.
Quant au grand Russell Harlan, maître
du noir et blanc (La Rivière rouge, Ruby Gentry, Du silence et des ombres)
et de la couleur (La Vie passionnée de Vincent van Gogh, Rio Bravo), il éclaire et
obscurcit avec brio la maturité acquise au prix d’une perte en replay, sortie la même année que Sueurs
froides.
Découvrir King Creole en décembre 2017 donne envie
de saluer le chanteur-acteur prometteur, de regretter son parcours à venir,
surtout au ciné, cristallisation et caricature du rêve américain, pas étonnant
qu’un John Carpenter, observateur sans peur des grandeurs et des inepties de
son pays, en vint à s’en faire le biographe télévisé. Disons-le en
conclusion : la filmographie prolifique de Michael Curtiz demeure largement à
explorer, qui sait à célébrer, à l’instar de cet item-ci, en tout cas irréductible aux sommets en tandem nommés Les Aventures de Robin de Bois
et Casablanca, diptyque idem produit par Hal Wallis, même si Elvis donne du kid à Miss
Hart, en écho à Bogie & Lauren Bacall chez Hawks. Chaque plan du film,
pensé, pesé, superbe et sincère, démontre un vrai regard de cinéaste, n’en
déplaise à l’auteurisme franco-français ou anglo-saxon désarçonné par la
variété des registres abordés, par le classicisme de caméléon. Homme discret,
directif, voire hyperactif, Curtiz signe la moindre image, le moindre visage,
hante le décor et les dialogues, nous offre sa vision du monde, technique,
esthétique, politique, poétique. Ainsi, ne redoutez pas de fréquenter le
cabaret de Mike où se produit le convaincant Elvis ; vous y entendrez de
bonnes chansons, vous y verrez une valeureuse distribution, vous apprécierez
les deux heures ou presque passées en compagnie de tous ces morts suffisamment vivants
pour se rendre attirants, attachants, bienveillants,
voire brillants.
Me doing Tom Waits doing Dave Carter's Elvis Presley :https://www.youtube.com/watch?v=tXJsVh1djmU
RépondreSupprimer«L'action se passe dans le quartier français de La Nouvelle-Orléans. Atmosphère sensuelle et décadente.» Ainsi débute Un tramway nommé désir, ?uvre d'un enfant adoptif de la ville: Tennessee Williams, natif de Columbus, Mississippi. Quand il écrivit sa pièce torride, en 1946, le dramaturge résidait Saint Peter Street, dans le Vieux Carré, autrement appelé French Quarter. Vingt ans plus tôt, de l'autre côté de la rue, au pied de la cathédrale Saint-Louis, William Faulkner, alors journaliste au Times-Picayune, rédigeait son premier roman, Monnaie de singe"
Presley par Carpenter (& Russell) :
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=UBDRgrQwoe8
Autre désir in situ, sans tramway mais avec panthère :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/05/les-griffes-de-la-nuit-sur-la.html