Poussière d’étoile
Exils # 113 (18/06/2025)
Dans ses Souvenirs et Réflexions, l’estimable musicienne Mel Bonis affirme : « L’artiste n’est pas un moraliste, mais il se doit d’être une personne morale. » On ne saurait douter de l’éthique d’Anthony Mann, néanmoins cette « étoile d’étain » d’intitulé original mérite son titre. Western modeste, mineur et méconnu, cela explique en partie ceci, Du sang dans le désert (1957) ne réussit jamais à s’élever au-dessus du statut de bel exercice de style desservi par un script simpliste, signé du complice de Ford Dudley Nichols (La Chevauchée fantastique, 1939), « d’après une histoire » de scénaristes de TV, handicapé par un casting anecdotique, surtout du côté des dames, aux rôles en toc, doté d’un didactisme rédhibitoire rempli d’espoir, ce succédané stérile et laïc de l’espérance, précise le credo catho de la précitée compositrice. Un chasseur de primes en transit, pragmatique et presque cynique, transmet sa pratique à un juvénile et malhabile shérif peu porté sur la vindicte, plutôt adepte de la justice. Mal vu et malvenu parmi les notables du cru, notre veuf se loge au bord du décor, chez une veuve couseuse à défaut de joyeuse, sympathise vite avec le fils métis, déjà victime de racisme, accessoirement et en conclusion agent d’émancipation de symboliques pigeons. Tandis que Fonda patiente pour être payé, repense au cher passé, apprend à Perkins à temporiser, à tirer, du vantard adversaire à s’approcher, un tandem de frères patibulaires, eux aussi d’indien pedigree en dépit d’un patronyme a priori écossais, de Lee Van Cleef petite participation, détrousseur de diligence fissa fichu en assiégée prison, en écho à Rio Bravo (Hawks, 1959), dessoude le scribe lucide et toubib de la mini ville, accoucheur de ses habitants, acclamé à contretemps, se réfugie à l’entrée d’une grotte enfumée, technique militaire utilisée au siècle dernier en colonisée Algérie, désormais modèle des nazis, se lamente l’historien Jean-Michel Aphatie, Oradour mon amour.
Le dernier duel voit évidemment la loi, certes à main armée, de l’imagerie marronnier, triompher sans fanfaronner, Perkins de sa fiancée compréhensive accompagné, comme Fonda de sa famille recomposée, itou reparti en bonne compagnie. On le voit on le lit, rien de renversant ni de révolutionnaire ici, de surcroît comparé au dilemme de même thème du Train sifflera trois fois (Zinnemann, 1952), sur lequel je ne reviens pas, revoici Van Cleef & Auschwitz, le film préféré, chacun le sait, du Howard sus-cité, à l’éducation à la dure, crépusculaire et impure, d’Impitoyable (Eastwood, 1992). L’opus oscarisable aux personnages transparents, à la moralité aseptisée, permet au moins de rappeler aux cinéphiles amnésiques que le révisionnisme cinématographique ne date des seventies (Little Big Man, Penn, 1970), ni naguère du sacre de Kevin Costner (Danse avec les loups, 1990), même si l’œcuménisme ethnique n’en constitue le sujet, à l’opposé du représentatif La Flèche brisée (Daves, 1950). Demeure en définitive une leçon de réalisation en VistaVision, un an avant le brio des vertiges froids et chauds de Vertigo (Hitchcock, 1958), un objet maîtrisé, commencé et clos en boucle bouclée de travelling latéral et surcadrage à contre-jour. Bien épaulé par un doué DP, Loyal Griggs éclaira L’Homme des vallées perdues (1953) et trafiqua Une place au soleil (1951) de Stevens, Mann travaille en orfèvre le dehors et le dedans, voyez les vitres du bureau de l’édile, la profondeur de champ, le travelling avant. Quand le méchant du métrage, soudain esseulé, de dos filmé, succombe aux balles du bientôt Bates, le cadre tressaille, effet physique bien vu et bienvenu. Si Winchester ’73 (1950) n’existait, on dirait en résumé qu’il s’agit d’un item de transition, entre les polars puissants et dégraissés, par exemple La Brigade du suicide (1947) + Marché de brutes (1948), les westerns majeurs en couleurs, pourvus de violence et pourtant point dépourvus d’espérance, bis, par exemple L’Appât (1953) ou L’Homme de l’Ouest (1958).
Une vingtaine d’années après, Betsy
Palmer reviendra en mère amère d’un célèbre serial killer (Vendredi
13, Cunningham, 1980) ; Neville Brand incarnera le Capone des Incorruptibles
et John McIntire jouait le shérif de Je suis un aventurier
(Mann, 1954). Une œuvre à redécouvrir ? Une curiosité à moitié ratée.
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