La Quête corse
Exils # 111 (03/06/2025)
« Aucun sanglier n’a été blessé durant le tournage » : à notre connaissance, la mention ne figure ni au final générique ni sur IMDb sous la rubrique crazy credits. Après le prélude programmatique, crescendo sonore de cigales infernales tu(é)es net, la première séquence associe Dardenne et dépeçage, puisque l’héroïne, de dos filmée, sa chevelure dévoilée, s’attaque à un cadavre illico, reçoit sur le visage quelques gouttes de sang et l’accolade baptismale d’un parent. Elle annonce aussi et ainsi la conclusion d’exécution, avec perruque et teinture, eau minérale locale et mansuétude létale. Déjà séparée à l’insu de son plein gré du petit ami, Lesia, pas Rosetta, une pensée pour Émilie partie, demi-orpheline docile, perd donc en plus le papa, qui mit une vingtaine d’années à venger le trépas tout sauf naturel de son propre paternel, tandis que l’un des tueurs à moto apprécie sa paternité presto, avant de se faire dessouder, peluche première touchée, par l’experte Électre, némésis de père en fille, malédiction à la con de mélodrame familial au fatalisme Netflix. Sur fond d’autodestruction autarcique et clanique, tout le monde se connaît, se soupçonne, se massacre entre meilleurs ennemis, au rythme du maquis, des décennies, Le Royaume (Colonna, 2024) se soucie en sus d’une adolescente (pré)occupée de soupe et d’entourloupe, de saladier davantage que de pitié. Les cinéphiles du « continent » devraient être contents, en tout cas rassurés, car chaque être et chaque acte sacrifient ici à un exotisme macabre, Astérix de jadis flanqué du fait divers d’hier. Pas de portables repérables mais des cabines téléphoniques, pas de cryptomonnaie mais des billets français, pas de polyphonies jolies mais Ace of Base, Julien Clerc & Serge Reggiani, l’incontournable Tino, l’Africain Toto et les Brésiliens Tom Jobim & João Gilberto.
Le chauve barbu, ensuite insolite chevelu, campeur sans Dubosc et déguisé belge ou breton, allons bon, se fend en effet d’une longue confession qui malmène la fameuse règle des 180°, au cours de laquelle il évoque un éden sentimental et nostalgique de sudiste Amérique, déclenchée via l’increvable Desafinado. La bossa reviendra en coda, le film n’en finit de finir et se termine enfin sur la fifille, en compagnie d’une mère disons adoptive. Co-écrit en compagnie de Jeanne Herry, elle-même héritière, presque au sens bourdieusien du terme, d’une actrice célèbre, certes plus adepte des « valseuses » que des tueuses, tout ceci macère dans un naturalisme soigné, policé, pasteurisé, caractéristique depuis de nombreuses années d’un certain cinéma français, voire francophone, en surface social et concerné, en profondeur bourgeois et moralisateur. N’en déplaise aux psychanalystes pervers, pléonasme, la relation du couple ne dévie vers la relation de couple, point de zeste d’inceste, ouste Gainsbourg, malgré deux scènes de (au) lit, dont l’une de cauchemar coupable et d’homonyme pipi. Colonna, au patronyme très connoté, au pedigree explicité, tisse une trame impressionniste aux prémices autobiographiques, laisse la salacité de minorité au Berri garnement de Un moment d’égarement (1977), comédie de mœurs anecdotique à faire désormais défaillir les néo-féministes. Illustration de locution, en l’occurrence « bandit corse », Le Royaume ne semble jamais avoir conscience qu’il ne suffit de rassembler de passables interprètes estampillés non-professionnels afin de produire un premier long métrage sis sous le signe du néo-réalisme. Surdéterminés par le passé, l’accumulation des meurtres, par la doxa de la modernité, vade retro « virilisme » et mort à la « masculinité toxique », les personnages errent en bord (Brise) de mer, se désarment entre rire et larmes, marionnettes simplettes de sorcellerie traditionnelle et de « tragédie » rassie, Colonna dixit, transparent et amène tandem d’exercice inoffensif, de sincère et crépusculaire poussière.
Prometteur sur le papier, l’opus par la presse franco-française acclamé diffuse en définitive un ennui poli, s’étire sur cent dix minutes de prévisible tumulte, s’ajoute sans déroute au conformisme dramatique, double sens, d’une sous-imagerie dite indigéniste à destination des supposés « pinzuti ». À l’écart des « canaux » du nationalisme cagoulé, itou territoire funèbre et fratricide, d’une « voyoucratie », Colonna dixit, bis, transmise tel un vilain virus de pères en fils et filles, demeure un film à faire au sujet de la réalité insulaire, d’une île irrésistible et terrible, consacré quelle audace à des hommes et des femmes anonymes, exclus des « scènes de crime », qui travaillent et bataillent, qui respirent et ne conspirent, plus près de l’éternité d’une terre altière que d’une fierté discutable et délétère.
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