Veni vidi Fidji
Exils # 114 (26/06/2025)
Adaptation de Dick ? Mélodrame drolatique, où un « adulescent » découvre soudain que depuis sa naissance tout le monde de son petit monde lui ment. Il suffit d’une interférence à la radio d’auto, de la résurrection rapido du pseudo papounet trépassé en bateau, traumatisme et culpabilité de minot à trafiquée météo, pour que le simulacre se détraque, que la « star » décide de passer derrière le miroir (salut Alice), de monter l’escalier, de sortir du studio, réplique et révérence respectueusement insolentes en prime (time). L’agent d’assurance accomplit ainsi une seconde (re)naissance, quitte la matrice (sur)protectrice et « manipulatrice », petit paradis WASP pastel et pasteurisé, à rendre caduc celui du miston Burton (Edward aux mains d’argent, 1990). Point de pilule, de complot, de Néo (Matrix, les Wachowski, 1999), plutôt la révolte non violente (couteau écarté illico) et individuelle du héros de Seaheaven, toponyme explicite, sorte d’ersatz de banlieue résidentielle, de petite ville fraternelle, telle que décrite ou détruite en nordiste Amérique depuis des décennies, par Hitchcock (L’Ombre d’un doute, 1943), Capra (La vie est belle, 1946), Welles (Le Criminel, 1946), Sirk (Tout ce que le ciel permet, 1955), Cronenberg (Dead Zone, 1983) ou Lynch (Blue Velvet, 1986). Davantage insulaire (et trentenaire) que révolutionnaire, grand enfant et point père, Truman Burbank, doté d’un prénom et d’un nom très connotés, à l’image de Lauren/Sylvia Garland, coup de foudre inaccessible, activiste à domicile, tourne le dos et s’adresse à Dieu le Père, c’est-à-dire à Christof, qui lui-même porte (le Christ) sa croix, entre placement de produit intempestif chipé à Chaplin (Un roi à New York, 1957), acclamation collective, interruption du programme et loi de l’audimat.
Les 5 000 Doigts du docteur T (Rowland, 1943) remplacés par les « 5 000 caméras » de cette télé-réalité à succès, chacun suit dans son coin, dans son bain, les aventures surdéterminées de cet aventurier rêvé, au rabais, contrarié, conditionné. Prisonnier à l’instar du Prisonnier, bien moins mélomane et immoral que l’Alex de Kubrick & Burgess (Orange mécanique, 1971), film futuriste plus satirique et sarcastique, l’homme sans qualité(s) ni sexualité (sinon peut-être celle d’une épouse prostituée) étreint le père et pantin, laisse la mère, prend la mer, traverse la frontière. Au-delà du dôme itou muni de tonnerre, amitiés à Miller (Mad Max Beyond Thunderdome, 1985), s’avère un « sick » univers, en tout cas si l’on croit le réalisateur sélénite lunetté, à béret, en train de caresser sur un écran géant, clin d’œil direct et en direct à Persona (Bergman, 1966), le visage agrandi du vrai-faux fils endormi. L’avertissement reviendra au détour du Village (Shyamalan, 2004), autre item guère amusant de dessillement, d’affranchissement, comme si le ciné des États-(dés)Unis, ici hollywoodien, surtout dessiné par des cinéastes au pedigree d’Inde et d’Australie, savait mieux qu’un autre, au surplus européen, saisir le patchwork (l’utopique « melting-pot ») du pays, les bienfaits de la communauté, les risques du communautarisme. Les déclarations de l’introduction, face à l’objectif anonyme et complice, évoquent la vérité, des « professionnels de la profession » refusent la facticité, toutefois l’expérience privée de pénitence de gros labo, en vidéo et in vivo, n’aboutit qu’à la ruine de l’autarcie, à la victoire de l’invisible « vraie vie », tandis que l’exercice de style utilise et met en abyme le dispositif de la mise en scène rassurante (et routinière) mais malsaine.
Écrit et produit par Andrew Niccol (le regardable Lord
of War, 2005), saupoudré de titres classiques et d’un fameux morceau du
Mishima de Philip Glass en caméo, The Truman Show
(Weir, 1998) n’offense la filmographie d’un cinéaste souvent présent parmi
mes pages, dialogue à distance, au niveau thématique, avec les microsociétés
valeureuses ou viciées des Voitures qui ont mangé Paris (1974), Witness
(1985) et du Cercle des poètes disparus (1989), la douceur
dangereuse (sa variante Miller de « cauchemar climatisé ») de Pique-nique
à Hanging Rock (1975), l’amitié masculine de Gallipoli
(1981), l’aventure extérieure et intérieure de Mosquito Coast
(1986) et des Chemins de la liberté (2011), intitulé alternatif
de l’émancipation d’occasion d’un Truman tout sauf patraque. Il demeure
cependant un lucide divertissement jamais clivant, une démonstration et non une
déconstruction des pouvoirs de la fiction, une peinture d’imposture
consensuelle à la Norman Rockwell. Réponse solaire à l’obscurité, au propre et
au figuré, du contemporain et à peine prédécesseur Dark City
(Proyas, 1998), jetée partagée, muse mémorielle en commun, Marker put apprécier
(La Jetée, 1962), le métrage méta ne se soucie de philosophie,
son existentialisme soft ne défrise personne, la morale l’emporte
(parvient à vendre la condamnée camelote) et le script s’auto-félicite
(les téléspectateurs applaudissent), démuni de cynisme, à la limite de la
roublardise. La relation pirandellienne pouvait relever du tragique façon Frankenstein,
alors que Weir opte pour la lumière, du dévoilement, du firmament, en cela
cohérent, puisque ses opus peu portés sur la désespérance. De
Palma s’y intéressa, fit à la place Snake Eyes (1998). Autour
d’un Carrey convaincant, Linney (La Prophétie des ombres,
Pellington, 2002) & McElhone (Feu de glace, Chen, 2002) ne
font de la figuration, même au milieu d’un portrait désormais dépassé,
inoffensif, victime du narcissisme en ligne et de la mainmise du narratif.
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