La Vue et Louise

 Exils # 112 (12/06/2025)


Plus de petit ami, charme de Hicham et trahison d’omission, CDD terminé, merde aux indemnités, mais l’héroïne ne déprime, les événements ne lui en laissent le temps. Tout autour d’elle se détraque le réel, les choses et les êtres se comportent de manière suspecte : le distributeur de café, à la voix veloutée, féminine et métallique, dysfonctionne façon Le Démon dans l’île (Leroi, 1983), les employés et les passants se voient soumis à d’invisibles assaillants. Tandis que des ouvriers travaillent, que le reflet d’une autre tour et d’un autre chantier sur une fenêtre apparaissent en reflet, le visage de la jeune femme en fragile filigrane, prend place et possession de l’efficace fiction une apocalypse de poche, il y a quelque chose qui approche, résume la chômeuse anxieuse à son ex en train de déménager, sur le point de succomber. La nuit venue, la fin du monde semble advenue, des sirènes retentissent, des types prennent la fuite. Le lendemain, au matin, le chat de la nana, fissa réfugiée derrière le verre, terrassée sur sa terrasse, s’extrait parmi l’appartement saccagé. Au boulot, au bureau, les survivants ne le restent longtemps et nul ne doute du sort sinistre de la DRH sidérée d’angoisse, car l’exploratrice d’escalier vide, de couloir mouroir, éclairé au stroboscope, à la réplique rhétorique, fameux « Y a quelqu’un ? » moqué par les cinéphiles cyniques de Scream (Craven, 1996), à la cheville virale, surgit soudain, égorge un homme au sol, arrive au ralenti, aussi sanglante et inclémente que naguère La Louve sanguinaire (Di Silvestro, 1976). Proie devenue prédatrice, vers sa nouvelle victime la belle bête se dirige, auparavant tourmenteuse à distance et désormais cadavre en attente. Fable affable de concurrence et de transparence, de violence et de revanche, Invisibles (Salmon, 2022) associe catégorie sociologique du titre, cascades chorégraphiques et portrait psychologique d’une dame de dangereux mélodrame.

Pour Polanski, Catherine Deneuve, idem esseulée, perturbée, éprouvait une épouvantable Répulsion (1965) ; au côté de Tourneur, La Féline (1942) Simone Simon matérialisait le mystère d’une mortelle animalité. Ici, couteau compris, la convaincante Pauline Lorillard (Les Garçons sauvages, Mandico, 2016 ou Garçon chiffon, Maury, 2020) dévie vite du réalisme social et sentimental vers le fantastique horrifique, sa familière imagerie à la fois féministe et fatidique, masochiste et sadique. Petit précis d’architecture collective et de chaos domestique, l’item amène laisse le sperme et la piscine à ses puissants prédécesseurs et illustrateurs du désordre intime, congédie la pathologie et in fine se fiche du suggestif. Il s’écarte ainsi du stérile pré carré d’un certain cinéma français, supposé préoccupé d’amoureuse intériorité, d’engagement militant. Démuni de moralisme et doté d’ironie, cf. les confidences et les reproches chuchotés sous le lit, délesté d’explication à la con et attentif à la forme, le court métrage à sudistes soutien et tournage concentre donc durant ses vingt-trois minutes – chiffre ésotérique de menace numérologique, en tout cas si l’on en croit Bill Burroughs et le sieur Schumacher (Le Nombre 23, 2007) – un calme tumulte, dont l’incipit prosaïque et prophétique implique un clébard noir et du vent vivant, presque issus de Twin Peaks: Fire Walk with Me (Lynch, 1992), où les alarmes des voitures à l’improviste se déclenchent, tels des appels à l’avide vengeance. Louise en vain descend un volet roulant, le rideau immaculé ne saurait masquer la réalité, celle du corps, celle de la mort. Sa visibilité de vêtement déchiré, de chasseresse en majesté, d’anonyme transformée, manifeste in extremis, au-delà du « retour du refoulé » des pénibles psychanalystes, le darwinisme de la loi dite du marché, l’appétit dépourvu de pitié d’une froide et furieuse féminité, dévorante et dévorée.  

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