Sept ans de réflexion
Un métrage, une image : Fanfan la Tulipe (1952)
Véhicule de vedette(s), bibelot
obsolète ? Que nenni, mes amis, car Christian-Jaque compose chaque plan, ne
perd de temps, semble boosté via la
vitalité sans faille du célèbre interprète principal. Ici, au sein de cette
association sudiste, ça ne sent le studio, en dépit de la post-synchro, de l’absence évidente de son classé direct. Même si
Gina Lollobrigida parle notre langue sans posséder sa propre voix, la caméra
mobile capture et immortalise sa douce sensualité, à l’instar de celle des
ombres et du soleil d’été, d’une nature dépourvue d’imposture, de décors qui ne
dénotent la mort. Photographié avec doigté par le fidèle et souvent inspiré DP
Christian Matras, alors collaborateur d’Audry (Olivia, 1951) &
Ophuls (Le Plaisir, 1952), incarné par un casting choral impeccable, mentions spéciales à l’aristocrate Geneviève Page, au toujours vert Noël Roquevert, Fanfan la Tulipe ne cesse de
séduire, de faire sourire, commence en modèle d’introduction, merci au récit de
Jeanson, que déclame Debucourt, « de la Comédie Française », c’est-à-dire
le Jésus de Duvivier (Le Petit Monde de don Camillo,
1952), doté de la distance idoine, ironie à sens unique, hiérarchique, en
effet, l’affirme l’officier, se termine presque en western, comme si soudain Boule de suif (Christian-Jaque,
1945) croisait La Chevauchée fantastique (Ford, 1939), logique symbolique. Dû
à un estimable tandem de scénaristes,
à savoir le René Wheeler de Jour de fête (Tati, 1949), L’Amour
d’une femme (Grémillon, 1953), Pardonnez nos offenses (Hossein,
1956), La Maison des bois de Pialat, et le romancier René Fallet, assez
adapté au ciné, proposons Les Pas perdus (Robin, 1964),
l’argument ne manque ni d’allant, ni d’élan, dépeint un dix-huitième siècle
champêtre, perçu, au propre et au figuré, à travers le « petit bout de la
lorgnette », dont la supposée, stylisée, légèreté, d’humeur et de mœurs,
correspond en réalité à celle de l’époque de (co)production, Hexagone déjà
sorti d’un conflit, mondial, pas encore coincé au creux d’un troisième, local,
sis cette fois-ci en Algérie. La France du film, pour ainsi dire mise en abyme,
en costume, en coutume, décrite en éden à peine dérangé à cause du « divertissement favori des hommes », boucheries héroïques, très répétitives,
hécatombes pseudo-géométriques et chorégraphiques, parmi les villages vite
allons recruter une nouvelle chair à canon, paraît désormais archéologique,
fantastique, utopique, elle exista toutefois, peut-être, conclurait
Houellebecq. Les « femmes faciles » s’y offrent au fond du foin, une fille de
sergent y gifle un roi envahissant, in
extremis, à deux reprises, de
pendaison, d’adoption, clément. Face à la « foutue garce et sacrée salope », mais
« qui mériterait d’être reine », amen,
cadrée d’abord en contre-plongée, après en plongée sur son plongeant décolleté,
point de vue bienvenu, Fanfan le formule, point malotru, le « Parisien » badin,
taquin, courageux, ingénieux, décide de dessiner le sien destin, d’accomplir la
vraie-fausse prophétie jolie de la vraie-fausse Bohémienne un brin malsaine.
Crédulité de l’individu élu ou du soldat forçat, il s’agit, en résumé, de se
dépasser, réaliser, dessiller, caser. Ni Hussard sur le toit ni Scaramouche
(Sidney, 1952), Philipe « du Théâtre National Populaire » surplombe
le monde, sous de vastes cieux, perd sa liberté, un peu. Le conte du
« pays charmant où l’on vivait alors heureux », s’exprimait inversé,
devient visage d’éternité.
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