Alors on danse
Un métrage, une image : Carmen (1983)
Sur le papier, à cigarette, ça
fonctionnait, enfin peut-être ; sur un écran, ça sent l’antan, l’essai
raté, le « pas marqué ». Co-écrite et chorégraphique, cette vaine
version de l’increvable création de Mérimée puis Bizet nous refait fissa le
coup relou des (en)vies et de l’art en miroir, du psychodrame avec dame, de
l’autarcie assortie d’essorés soucis. Commencé in media res, on danse ensemble, on s’observe de
conserve, terminé en toute inconscience, indifférence, Carmen selon Saura
carbure à la relecture, sinon à l’imposture, sa mise en scène de mise en scène,
sa mise en abyme du fameux féminicide, relèvent presque du piètre post-moderne, du recyclage d’un autre
âge. Disons-le d’emblée, en termes modérés : Carlos recase ses
castagnettes et nous casse les coucougnettes. Une comédie musicale classique,
assurerait un structuraliste, respecte un déroulement en trois temps –
présélections, répétitions, représentations. Ici, il manque l’ultime partie,
puisqu’il s’agit, en réalité, d’un drame musiqué, vous comprenez ? Si la
troupe compte ses pas, le spectateur décompte quatre trépas, dont les trois
premiers, celui de la rivale, celui de l’animal, celui du mari, relèvent de
l’artifice, du factice, du couteau pour de faux, du jeu peu dangereux, de la
canne simulacre. Quand l’incarnation, au carré, à la con, de Carmen, elle-même
prénommée idem, Godard se marre (Prénom
Carmen,
1983), se rétame sur la lame du gourou jaloux, la bienséance n’autorise le
sang, l’itératif facilite l’inoffensif. Carmen date en vérité du début des
années quatre-vingt, il semble cependant issu de la décennie précédente, pas
seulement à cause du décor, des costumes, des capillarités, de la collective
sacralité d’un ballet en train d’être travaillé, aussitôt balayé, en (dé)raison
d’un esprit de possession hors de saison. Libre et libérée, retardée,
poignardée, l’Espagnole fière et frivole possède les traits tendres et
déterminés de Laura del Sol, ses seins jamais malsains, beau duo, « comme les cornes d’un taureau, mais doux
et chauds », qui allaient éclairer la corrida masculine et ironique de The
Hit
(Frears, 1984), voire à la TV les (més)aventures du Camarguais, une pensée pour feu Jean-François Stévenin, il le valait bien. Certes certains préféreront à sa
poitrine féline, à son visage juvénile, à son regard blanc et noir, les cuisses
lisses de Mademoiselle Migenes, sa sensualité ensoleillée, ses bras bronzés,
ses roucoulades à succès (Carmen, Rosi, 1984), néanmoins la cara et
cambrée Laura ne démérite pas, loin de là, figure fidèle et infidèle à la fois,
au féminisme soft, mythe démythifié,
moins femme fatale, du calme, du calme, demande-t-elle, indulgente, à l’amant
impatient, de la diriger, de la recadrer, de lui appartenir, de la punir, que
femme de fatalité, quasi victime
collatérale du franquisme patriarcal, pardon du pléonasme. A contrario du
documentaire Beyond Flamenco (2016), Carlos Saura ne
congédie donc la narration, décalque de manière patraque le célèbre modèle,
pourtant il pratique itou le plan-séquence, la proximité, la plongée, la
latéralité, la frontalité, les reflets. Porté par d’impeccables interprètes
appelés Antonio Gades, Paco de Lucía, Cristina Hoyos, vrai-faux making-of, récompensé à Cannes, au Royaume-Uni, applaudi aux États-Unis, Carmen
hélas à aucun moment ne décolle, n’affole, trop linéaire, trop scolaire, pas
assez audacieux ni irrespectueux, rajeuni et déjà, patatras, poussiéreux.
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