Knock Knock : Adieu à Sondra Locke
Décembre merdique, funérailles différées…
On a survécu à tout ça et aujourd’hui
tu es partie
Comme quoi on peut survivre à tout et
ne pas survivre à la vie
Dominique A, Le Ruban (2018)
Que reste-t-il d’une actrice ?
Des films. Que demeure-t-il d’une femme ? Des parfums. Comment se souvenir
de la dear Sondra Locke, son décès du
mois dernier médiatisé hier, découvert aujourd’hui, par hasard inexistant ?
Surtout pas via des histoires de procès,
d’hôpital, please. Laissons ceci à
autrui, laissons-lui plutôt la parole, en version anglophone, puisqu’elle
savait parler, avec sincérité, lucidité, subjectivité, voire partialité, de son
parcours, de ses amours, de la magie au-delà du cinéma, qu’elle exerça sur moi.
De Sondra, je voudrais évoquer la lumière, le mystère, la séduction et la
tension, le sourire à proximité du pire. Je ne reviens point à présent sur mes deux
textes consacrés à Bruce Surtees, le directeur de la photographie du Retour de l’inspecteur Harry (Clint Eastwood, 1983), aux muses de trois
cinéastes, Sondra Locke bien entourée par Gena Rowlands & Theresa Russell. Je
ne commenterai pas non plus les items
de sa filmographie que je connais, que j’apprécie, je cite et renvoie vers Josey
Wales
hors-la-loi (Eastwood, 1976), L’Épreuve de force (Eastwood, 1977),
Doux,
Dur et Dingue (James Fargo, 1978), Bronco Billy (Eastwood, 1980), Ça va
cogner (Buddy Van Horn, 1980), Vanessa (Eastwood à la TV, idem). Je recommande quand même, à
nouveau, de visionner Ratboy (1986) et Impulse
(1990, aka Double Jeu), boucle joliment
bouclée avec Mademoiselle Russell, beau duo d’une réalisatrice prometteuse,
hélas peu productive, pour les raisons que l’on sait. Carson McCullers, Clint,
le cancer – je me refuse à réduire le tracé de cette actrice talentueuse,
chanteuse, de cette femme vaillante, vraiment survivante, à cela, en partie
trilogie du dollar en mode Leone.
Maintenant, ce soir, au sein du
silence, de l’obscurité, je me remémore sa persona,
salut en stéréo à Bibi Andersson & Liv Ullmann, toujours parmi nous, Dieu merci,
sa blondeur, sa douceur, sa légèreté, sa vivacité, sa « fêlure
profonde », dirait le détective Dee, « radieuse à l’extérieur et
dévastée à l’intérieur » rajouterait David Lynch en décrivant Laura Palmer,
sa résilience évidente. Exilée des écrans, du petit et du grand, celle qui
pouvait interpréter la Carrie au bal du diable de Brian
De Palma (1976), s’y intéressa, s’en éloigna, trentenaire dissuadée par son manager à cause du montant de son salaire,
qui débuta dans sa vingtaine selon Le cœur est une chasseur solitaire
(Robert Ellis Miller, 1968), nomination à un Oscar-accessit à la clé, succomba donc au sien, sans doute trop fatigué
par son CV cependant avorté. Sondra n’enfanta pas, Clint lui conseilla de se faire
opérer pour ça, dixit l’intéressée, elle
fit des films, devant et derrière la caméra, durant disons une décennie et
demi, ils lui survivent désormais, cimetière de miroirs, mausolées de
réminiscences où la retrouver vivante, attachante, troublante, femme forte et
friable, femme fréquentable, victime combative, individu et non faire-valoir.
Elle estimait, à juste titre, ne pas être allée au bout de ses puissances, elle
regrettait de n’avoir pas pu développer ses potentialités. Chaque vie
s’achèverait ainsi avec un goût d’inachevé, des désirs non réalisés, a fortiori à Hollywood, royaume des
leurres et du haut-le-cœur. Haut les nôtres, néanmoins, car s’il ne persiste
rien de Sondra, sinon des cendres, un piètre squelette, mon pauvre cœur souvent
cassé, écœuré, lui sert d’écrin, lui tient chaud, la berce de ses mots,
immortalité fragile, en ligne.
Certes, on peut enquêter sur une
passion, Nicolas Roeg, récemment disparu, what
a pity, ne me contredira pas, et toutefois il semble vain de vouloir
expliquer un envoûtement volontaire, qui n’asservit pas, qui au contraire
éclaire, y compris sur ses propres ténèbres. L’analyse possède sa place,
dépasse la surface, je ne cesse de la pratiquer à ma manière, guère
universitaire, austère, je l’espère, bien qu’en définitive, les liens qui nous
unissent à des personnes, à des œuvres, conservent leur nature énigmatique,
ésotérique, politique et poétique. Je ne connaissais pas Sondra Locke, je ne la
rencontrerai jamais, qu’importe, elle sut résonner en moi, me réjouir, me
bouleverser, en rime, à sa mesure, avec, allez, Romy Schneider, elle-même
familière du service oncologie, eh oui. L’aura
de Sondra excède la cinéphilie, elle donne envie de vivre, de résister, de se
raconter, quitte à se confronter à la censure d’un totem autrefois amoureux,
elle n’incite pas à la désespérance, à l’indifférence, aux jérémiades et aux
galéjades. Et même si je sais qu’elle ne me lira pas, je lui adresse quelques
lignes rapides, rétives à la nécrologie jolie, au dommage de l’hommage,
salutations d’un Sudiste de Marseille à une Sudiste du Tennessee. Lorsque la
peine oppresse, lorsque le monde encombre, lorsque le cinéma se renie, parfois
surgit une fée fatale, un fantôme miraculeux, un spectre concret : chère
Sondra, sachez que vous vivrez en moi, que vous me montrerez la voie, que je ne
vous oublie pas, que je vous rejoindrai à mon tour, davantage anonyme, un autre
s’en chagrine. Comme à la fin de Simetierre (1983), l’éprouvant roman
de Stephen King, j’entends que l’on frappe à ma porte, il ne s’agit pas d’Eli
Roth.
Depuis longtemps, depuis
l’adolescence, je vous invite dans mon intimité, je vous admire et je vous aime ;
entrez de votre plein gré, venez enfin vous reposer, car te voilà chez toi, singulière, précieuse et irremplaçable Sondra.
Découverte en Gus Mally dans 'The Gauntlet', je garde un souvenir affectueux de cette actrice trop souvent réduite ou présentée à tort seulement comme l'ex compagne de Clint Eastwood....
RépondreSupprimerR.I.P Madame.
Prénom androgyne de témoin féminin ; étiquettes toujours suspectes, au cinéma et au-delà.
SupprimerAu physique une fille du Sud américain comme j'ai pu en rencontrer en Alabama, frêle et romantique, un peu fleur bleue et fraîche, éduquée souvent à l'ancienne et perdue parce que ayant grandi dans une famille éclatée, et faire face à ce milieu du cinéma quand on est née dans un environnement pareil... une figure type en mal de reconnaissance également récurrente dans les romans de Tennessee Williams,
RépondreSupprimerDans son Film "Ratboy" elle y a mis sans doute beaucoup d'elle-même et de sa vie réelle ou rêvée, cauchemardée, "c'est si difficile quand on est différent"...