Johnny English contre-attaque : L’Espion qui venait du surgelé


Révolutionnaire ? Réactionnaire. Réussi ? À demi…


L’État, c’est moi.

Louis XIV

« Nous menons cette mission à l’ancienne » : le spectateur avise vite que l’analogique affronte le numérique, que le réel se confronte au virtuel, que l’antique Aston polluante, en panne d’essence, défie tous les bolides écologiques, en sus de reformuler, en rouge, la course du lièvre et de la tortue. Dans Johnny English contre-attaque (2018), le corps résiste encore, face à l’emprise et à l’empire du traitement des données mondialisé, menaçante superstructure intangible sise au-dessus des idéologies, des géographies, dont le VRP trop parfait, dénommé Volta, comme la pile homonyme, atteint d’hubris, de malice, singe le Snake Plissken de Los Angeles 2013 (John Carpenter, 1996), coupe le courant et renvoie l’Europe à son obscurité de continent attaqué, immobilisé, assisté, dépassé. En pleine Écosse maritime, réminiscences de Fantômas contre Scotland Yard (André Hunebelle, 1967), un chevalier en armure huilée, gag génital final, se débarrasse de son exosquelette high-tech, grâce auquel il arpente une paroi facilement, tel Le Capitan (Hunebelle, 1960), et terrasse l’avatar vantard, rajeuni, de Steve Jobs, fracasse son cellulaire à l’aide de son Excalibur à lui. Au sein du divertissement poussif, assez peu inspiré, héritier d’une tradition insulaire d’hédonisme sudiste, francophile, cf. La Main au collet (Alfred Hitchcock, 1955), sa route princière aux lacets similaires, se déroule ainsi une fable manichéenne, contemporaine, où un petit professeur d’histoire-géographie de collège privé, du style Harry Potter, grand enfant se rêvant formateur cosmopolite pour le MI5, sinon 7, de surcroît retraité, méprisé, humilié, se transforme in extremis en sauveur, en héros, en saint Michel de dragon 2.0.


Ici, par courtoisie, par lucidité, les hommes se montrent maladroits, amicaux, manipulateurs, mauvais ; ici, les femmes mènent le bal, leur revient le vrai pouvoir polysémique, actuel, sexuel, de Première ministre, d’espionne russe, de commandant de sous-marin atomique. Ce féminisme affiché se voit tempéré par une marge d’erreur appréciable, appréciée, incarné par trois actrices talentueuses et facétieuses, citons les noms d’Olga Kurylenko, Vicki Pepperdine, Emma Thompson. Quant à l’univers bondesque, outre le transfuge félin de Quantum of Solace (Marc Forster, 2008), les vétérans Charles Dance, Edward Fox, Michael Gambon se chargent de le remémorer de manière collatérale, aussitôt renvoyés ad patres par un teatime létal. Car Johnny English Strikes Again, traduit au cordeau en Johnny English frappe à nouveau par les  précis distributeurs québécois, commence comme Mission: Impossible (Brian De Palma, 1996), par un dégagement d’agents, certes moins (cinémato)graphique. David Kerr vient de la TV, on s’en doutait, son premier essai sur grand écran écrit par William Davies, le scénariste, jadis, de Jumeaux (Ivan Reitman, 1988), Arrête ou ma mère va tirer ! (Roger Spottiswoode, 1992), L’Affaire Karen McCoy (Russell Mulcahy, 1993), et plus récemment du Chat potté (Chris Miller, 2011). Bien secondé par Ben Miller, tout sauf faire-valoir, Rowan Atkinson, naguère, juvénile, disons débutant, au générique de Jamais plus jamais (Irvin Kershner, 1983), faut-il le rappeler, paie de sa personne, cible des cyclistes, se démerde dans la mer, fout le feu aux fruits de mer, au restaurant de friqués, se démène, surmène, déhanche sur une piste de danse, du soir au matin, détourne un cours de conduite, à droite, évidemment, envoie un yacht à la flotte.


Il teste aussi la réalité virtuelle, casqué à la Christopher Walken (Brainstorm, Douglas Trumbull, 1983) ou à l’instar du contemporain James Woods (Vidéodrome, David Cronenberg), et se sert in fine d’une tablette, dont il ne sait se servir, afin d’assommer le maître du monde numérisé, au flingue façonné, of course, au moyen d’une imprimante 3D. Pas de mélancolie à la Clint Eastwood, celui, physique, sentimental, de Sur la route de Madison (1995), même si elle se glisse et disparaît durant un dialogue décontracté, attablé, en terrasse, to be or not to be married, that is the question, indeed, juste de l’autodérision individuelle et collective, puisque le Royaume-Uni peut désormais dire adieu à son indépendance, à son lustre de coloniale puissance, remarquez l’assistant ministériel d’ascendance indienne. En dépit du Brexit, il reste cependant à ses ressortissants et cinéastes le sourire, l’ironie, l’élégance, la vaillance de vieilles valeurs à vivre ensemble, avant que les adeptes apatrides du big data ne les remisent de façon définitive au fin fond d’un passé de ciné, décimé. Atkinson, Goliath sexagénaire, aux faux airs de Buster Keaton aphone, aux dents tremblotantes, au moins le temps de deux plans, après un vol violent de courroie accrochée, s’en sort mieux que son homologue malchanceux de Brazil (Terry Gilliam, 1985), fonctionnaire libertaire apaisé mais lobotomisé. Tandis que sur un juke-box nostalgique, invisible, retentissent des titres de Bananarama, Boney M, Frankie Goes to Hollywood ou Wham!, English se fiche de tout, regagne sa dignité, tant pis pour l’absence de slip en public, personnage d’un autre âge, prolixe en pardonnables ravages, protagoniste autiste, modeste, généreux, d’un opus à la fois ludique et politique, pertinent et paresseux.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir