Skinwalkers : Thirteen
Un Petit Chaperon rouge (peau-rouge) transgenre + sa maman et tant pis
pour (la trucidée) mère-grand…
« Nous sommes damnés »
confie l’impeccable Elias Koteas, comme s’il connaissait Cursed de Wes Craven.
Auparavant, Varek (Jason Behr, assez nuancé) révèle la vertu des
adversaires : « Ils ont la foi ». Enfin, un « film de
genre » sérieux, pris au sérieux, avec des jeunes et aussi des vieux.
Enfin, une relecture de la culture du loup-garou qui tient la route (de traque)
et le coup (de feu). Bien sûr, on pense à Vampires, à Terminator, devant ce western messianique dont les personnages
portent des prénoms religieusement bibliques (Timothy, Rachel, Jonas, Caleb,
Adam). Mais, d’une manière plus étonnante, Skinwalkers se lit en moralité de
puberté, en drame triangulaire, identitaire. Des clans, des crocs, des combats,
le Canada ? Oui-da et davantage, par exemple l’histoire d’un gosse à l’âge
des choix, qui veut à tout prix, y compris celui de sa vie, de celle de ses
proches, retrouver son papa. Entendre, son père d’avant la lycanthropie, quand
il ne baisait pas dans les bois avec une actrice (Nastassia Malthe) désormais
sur la liste des plaignantes contre Harvey Weinstein. Il faut refonder la
famille, passer du statut d’orphelin asthmatique, de mère célibataire vénère
car trompée (pour sa sécurité physique, voire sa santé mentale), à ceux de fils
sauveur et d’épouse endurcie, portant dorénavant la culotte (et le fusil). Une
scène constitue le climax du film, en
résume les enjeux, moraux, familiaux, narratifs, sensoriels. Dans un camion,
harnachés en file indienne (et sous la protection d’un Indien malin, serein),
les hommes et les femmes se transforment, cèdent la place à la bête en eux,
malgré eux. La lune rousse se fout de la frousse du minot qui s’avance
vaillamment, qui pose ses deux mains sur le torse de son oncle méconnaissable,
pourtant pas disparu, aperçu dans le regard du gourou de Crash, sous le masque du
maître Stan Winston.
Voici une mise en abyme du spectateur
de film dit d’horreur, grand enfant découvrant avec terreur et ravissement sa
plus intime violence, l’absurdité tragique du monde, le moyen (amoureux) de
remédier à sa folie épidémique. L’apparent moralisme manichéen (pléonasme) ne
survit pas à l’examen (ni au
commentaire audio du réalisateur, un
modèle d’humilité, de lucidité, de sincérité). Pas de bons et pas de méchants,
seulement des gens aux désirs opposés, libertaires ou rangés (certains diront
bourgeois). Tu veux faire de la moto à la Brando (L’Équipée sauvage, 1953),
niquer du redneck sur le point de
violer en duo une serveuse, lâcher la bride à tes instincts les plus malsains
(d’après tes ennemis) ? Ou alors tu préfères fonder un foyer, dans une
petite ville à la Norman Rockwell, travailler à la quincaillerie du coin, vivre
une romance avec une blonde charmante, aimante (bientôt appât crucifié/furieuse
furie schizophrène) ? Skinwalkers présente cette division,
attentif aux personnages, aux émotions, à la saison, automne de mélancolie, de
deuils en série, d’une sérénité chèrement gagnée, d’une forme de renaissance
passant par l’altruisme (et le don de sang versé dans des balles devinées en
argent). Une série B musclée ? Assurément, surtout une fable estimable
difficile à faire advenir (question de la foi, essentielle au cinéma, au-delà),
peu récompensée en salles, plébiscitée en vidéo. Les avis négatifs (en ligne),
la réhabilitation possible, le culte tardif, l’interprétation subjective (de
votre serviteur), le respectable James Isaac, venu des SFX, cinéaste classique
épris du script, parfaitement
conscient de la façon dont se font aujourd’hui les films de studio, de surcroît
horrifiques, avec leurs innombrables compromis, leurs trahisons irresponsables,
leur mépris collectif (et mercantile) de l’intégrité du matériau d’origine (en
ce sens, chaque plan conforme à une vision individuelle s’avère une victoire),
s’en fout, puisqu’il décéda en 2012 d’un cancer du sang (une pensée pour
Bourvil & Roy Scheider endurant le même mal), mort ironique et cruelle à la
vue de l’épilogue cité supra.
On le sait depuis au moins Oscar
Wilde, la vie imite l’art, pas l’inverse. Peut-être un jour verrons-nous son Jason
X, peut-être convient-il de rappeler son apport à La Mouche et au Festin
nu (Cronenberg se voit d’ailleurs remercié au générique), son éthique
des prothèses, de l’effet spécial véritable, pas contaminé par la facilité
paresseuse des CGI. Pour l’instant, l’on se borne à prendre du plaisir à ce
faux Wolfen,
à ce vrai métrage choral, qui ne révolutionne rien et parvient cependant à
tracer son joli chemin œdipien et sentimental. Si Rhona Mitra peut sembler un brin
figée, l’ensemble de la distribution ne démérite pas, à l’unisson d’un univers
ne prenant jamais le fan ou le
néophyte pour un imbécile, pour une pompe à fric décérébrée. Les plus
cinéphiles se souviendront que James DeMonaco, l’un des trois scénaristes,
écrivit Jack (1996) pour Coppola, récit de progéria, ou Assaut
sur le central 13, pour Richet remakant Carpenter, qu’il passa ensuite
derrière la caméra (clavier évacué) pour la trilogie American Nightmare. Cela
importe un peu, cela ne limite pas une œuvre devant à chacun de ses
participants (notamment le directeur de la photographie Adam Kane, le compositeur
Andrew Lockington), et avant tout à un réalisateur fauché dans la cinquantaine,
quelle déveine. Avec sa small town malicieusement baptisée Huguenot
(indice du miroir sur message de magnéto), avec son faucon espion à la Ladyhawke,
avec son esprit de sacrifice (toujours retour à Abraham, au défi de sa force
d’âme), avec son aciérie (horizon rougi à minuit) empruntée au repaire de
Freddy Krueger, Skinwalkers séduit, au moins le temps de son visionnage et de
la rédaction-réminiscence de cet article dominical (jour du Saigneur, mon
cœur). Dans un ultime geste de générosité (remaniement de dénouement suggéré
par l’un des membres de la creative team, approuvé par le director), il s’achève via une résurrection paternelle, une
recomposition de la cellule familiale.
Considérer la coda en déclaration
conservatrice reviendrait à s’aveugler : trop de cadavres au long du
voyage vers soi-même, vers un médicament de rédemption, trop de mercenaires aux
abords de la chambre d’hôtel reconvertie en salle d’hôpital. La vie se
poursuit, grandir équivaut à mourir, à voir mourir, à essayer de soigner ses
blessures et celles d’autrui, inconnu ou ami. La légende navajo prête une peau (d’animal)
au sorcier marcheur, corrompu, ensanglanté, hostile à la communauté ; dans
Skinwalkers,
il s’agit de sauver la sienne et celle de ceux qui vous aiment. Timothy ne
sauvera pas tout le monde, sa voix off
à l’ouverture (forêt de fuite) et à la fermeture précise que le souvenir
s’apparente à un cauchemar, que le combat continue. Néanmoins, comme dans tout
film d’horreur réussi, son parcours du combattant s’apprécie en vitalité de
survivant, de résilient. Plus sage, plus agressif, plus phallique (avances
enfantines à la juvénile infirmière promise à un trépas intempestif par la
peste de service), plus mélancolique, également, le gamin se réinvente in extremis,
Jésus de sang-mêlé, bâtard rempli d’humanité, à l’humanité dédoublée, au
loup-garou garroté. Un chef-d’œuvre méconnu ? Disons un titre (très)
recommandable, dame – de cœur sacré, sauvegardé, secourable.
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