Le Temps qu’il reste : Besoin humain de la bande-annonce
Pas une virgule et plein d’adverbes – laconisme d’occasion…
Il ne faut rien espérer de
l’existence – laissez l’espérance aux impuissants/croyants/consolants – et
moins encore du cinéma. Cependant la bande-annonce – ou ses équivalents
outre-Atlantique : le trailer et
le teaser différenciés par la durée –
possède pour principale mission de susciter le désir. Nous voici projetés dans
un futur proche – coming soon à sous-texte sexuel ou
« prochainement sur cet écran » d’antan – dans l’attente d’un métrage
qui assurément satisfera les nôtres. À l’instar de la publicité – se désoler du
caractère économique d’une telle PLV éventuellement délocalisée relève de la
naïveté d’aveugle esthète – le produit d’appel repose sur l’intense brièveté
autant que sur la continuelle nouveauté. Oublions vite hier et réjouissons-nous
de demain grâce à son bonheur amélioré et certain. Il s’agit avant tout d’un
exercice de montage – réassembler les images du film – et donc d’une double opération
à la fois chirurgicale – prélever – et commerciale – attirer – supposée
relancer l’appétit scopique avant même que la séance n’étanche la soif infinie
des sorties du mercredi. « Menteur comme un générique de film »
affirmait le piètre poète Prévert. On pourrait reprendre l’aphorisme du
dialoguiste-scénariste surfait afin de dessiller le spectateur trop complice.
Combien de déceptions connut-il dans le sillage des messages pourtant
mirobolants ? Combien d’œuvres entières gisent dans ce minuscule cimetière
en accéléré ? Combien de plans finalement coupés ou capturés sous un autre
angle se prélassent pour l’éternité du visionnage en ligne ? La
bande-annonce – disons-le un brin crûment – sert à faire bander ou mouiller
alors qu’elle peut provoquer à l’envi la débandade et l’assèchement.
Faute de l’épiphanie laïque promise
par l’annonce cinématographique – la salle de cinéma emprunte son architecture
autarcique et sa communion silencieuse à la liturgie religieuse – le/la client(e)
muni(e) de son ticket vers le
septième ciel des merveilles en conserve se recroqueville ou se tarit et prend
la tangente. La prostitution – surtout celle en vitrine basée sur une mise en
scène ingénument conventionnelle de la féminité – opère d’ailleurs jusqu’à un
certain point de manière similaire et déçoit à l’identique en écho brechtien. Une
bande-annonce on le sait dure en moyenne deux minutes et trente secondes. Elle
respecte souvent la sacro-sainte structure en trois actes de la dramaturgie antique.
Une voix off masculine ou un extrait
musical censé idoine – « bande originale » parfois transposable ou
répertoire de « bibliothèque sonore » et bien sûr tubes increvables
de la musique dite classique – peuvent l’accompagner en compagnie des logos de studios et d’un certificat de
classification en particulier aux USA. On en trouve sur grand ou petit écran –
publics idiosyncrasiques sinon opposés à convaincre de façon singulière – et à
domicile via la vidéo en VHS puis DVD
puis BR. Internet lui consacre également des chaînes dédiées auxquelles
s’abonner tel un affamé de versions alternatives en VOSTFR ou doublées. Ses
origines historiques semblent remonter au temps du muet. Initialement placée
après le film – d’où l’intitulé anglais conservé en vestige de langage – la
voilà depuis longtemps positionnée – voire entourée par des réclames locales –
en amorce et en amuse-gueule ou œil. Elle inclut désormais ses collections et
ses récompenses tandis que des amateurs énamourés la pratiquent à leur tour ou
la détournent de ses objectifs strictement informatifs.
Chacun se souviendra ou pas des
réductions mémorables et des tremplins fameux vers À bout de souffle – le
nasal Godard de faux polar narre et se marre –
+ Psychose – Hitch joue les guides ironiques alors que Vera Miles
presque subliminale se substitue à Janet Leigh l’instant d’un cri en coda – ou Orange
mécanique
– Pablo Ferro & Kubrick imitent avec allant le traitement Ludovico – et Femme
fatale
– avance rapide élusive et ludique à la question finale sarcastique rendant
hilare De Palma en plateau de TV français – mais parmi les milliards produites
chaque année très peu à vrai dire se remarquent. Art en soi ou simple artifice marketing ? Les bandes-annonces
abolissent volontiers les frontières à l’image du cinéma lui-même. Elles
dévoilent au lieu de déflorer. Elles promeuvent davantage qu’elles émeuvent.
Elles aiguisent les sens du chaland – qui passe à la Vigo asphyxié par le
remontage pataud et pécuniaire de L’Atalante – en lui promettant un
paradis à découvrir bientôt. Le système du « septième art » une
seconde régi par l’austérité d’un puritanisme auteuriste – pensons à Robert
Bresson – elles pourraient sans peine disparaître car réduites à des parasites
régressifs et contrairement à l’inverse. Le cinéma – a fortiori les
réalisateurs guère reconnaissants des résumés concoctés par les
« professionnels de la profession » du secteur pas si mineur – peut
s’amuser à les mépriser quand elles dépendent intégralement de lui pour leur
survie. Dans cette dialectique de la promotion et de l’objection – possibilité
de détestation – nous savourons de lire un rapport SM en miroir de la vie hors
du cinéma – l’espace de projection et l’ensemble centenaire de mythes
idéologiques. En frères littéraires des soldats existentiels de Dino Buzzati
nous paraissons monter la garde au sommet du fort de notre désert à demeure.
Nous aspirons à rencontrer les
invisibles Tartares et redoutons l’accomplissement du souhait d’un seul et même
élan. Pire : à l’unisson des troufions sartriens tout sauf sereins nous
pourrions nous voir in extremis mutés par la maladie ou la mort
et par conséquent privés à cause de l’érosion des ans de la réalisation-matérialisation
tardive d’une légende martiale. La vie s’apparenterait à une banale
bande-annonce et nul n’assisterait au film éphémère uniquement envisagé puisque
toujours différé. Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe – notez le
reflet infidèle – s’achève sur une cassure – de la pellicule ou du vocabulaire
– semblable. La figure indéterminée et immaculée – tant pis pour l’orientation
sexuée de la traduction de Baudelaire – continue à nous échapper et à provoquer
mille exégèses. Le Film définitif nous glisse entre les doigts sur le clavier.
Jacques Perrin on s’en souvient pleurait et souriait enfin grandi au montage de
baisers censurés et enchaînés – plutôt montés cut – à la fin de Cinema Paradiso. Le spectateur
contemporain pleinement éloigné du chromo méta et lacrymal de Giuseppe
Tornatore se retrouve dans la position d’observateur sidéré du dernier plan sidérant
de Martyrs.
Que voit in fine le cobaye d’une secte un chouïa trop portée sur la cruauté
spéculaire selon Bataille ? Que perçoivent ses yeux à l’heure du voile des
illusions déchiré ? Que ressent au présent l’Ève future – pas celle
androïde de Villiers de L’Isle-Adam ni du Fritz Lang de Metropolis – avec ses
nerfs littéralement à vif et son iris
fixé sur une réalité peut-être indicible et irreprésentable ? Le coup
d’éclat – ou de force molle – vite éventé de Pascal Laugier conçu en réponse
sincère et stérile à la « violence » des années Sarkozy – comptons
sur le bon banquier Macron pour l’enfoncer – se garde bien de répondre et
commence vraiment à l’ultime plan.
Préférons-lui l’immanence fantastique
de Stalker
et sa gamine – surnommée Ouistiti par ici – à la Carrie White. Les verres se
déplacent sur la table mus par son esprit juvénile. La magie – et non plus la
prestidigitation des sensations ou des émotions – se déroule en temps réel et
s’impose en douceur. La bande-annonce fait partie du film et l’épilogue s’ouvre
sur le champ des possibles ou de la poésie – quasiment un pléonasme. La gosse liseuse
et concentrée nous adresse un « message » aussi énigmatique et
limpide que son petit numéro maestro de télékinésie en Russie : agis
maintenant en solo et sans tarder dans l’exercice de tes puissances intérieures
déployées sur le monde extérieur – le tien et celui d’autrui. (Se) Projeter ?
(Se) Réaliser. Saliver au présage de l’ambroisie ? Se nourrir et y compris
du pire. Penser en faisant fi de la philosophie et faire du cinéma de l’au-delà
ancré – encré en ce qui me concerne – dans le hic et nunc de la planète et du corps. Attention de ne pas
confondre cette présence à l’intime et aux films – les seconds en filigrane du
premier – en ersatz mis à jour du carpe
diem cueilli pour sa belle par le
lucide Horace. Exit l’épicurisme
modéré et bienvenue à une joie tragique. Bye-bye
aux plaisirs sanitaires des esprits racornis et bras ouverts à ce qui excède
tous les ciels. Qui saurait se contenter d’une bande-annonce ? Qui
voudrait s’infliger l’intégralité d’œuvrettes suspectes ? Qui accepterait
de passer – perdre – son temps précieux,
irréversible – un salut au décevant Noé – à mater des bouts syncopés
d’histoires tronquées ? Pas moi les gars. Je me fous personnellement de spoiler – spolier la curiosité du
lecteur gentiment ignorant de mes coups de cœur ou de sang et magnanime envers mes manies
– les films abordés sur ce blog et
néanmoins la question ne se situe pas là. Dans toute son innocence d’apéritif
inoffensif la bande-annonce nous invite inévitablement à une procrastination à la con –
moralité lapidaire. Il ne faut rien espérer du cinéma – laisse la cinéphilie
aux passifs/oisifs/idéalistes – et tout exiger de l’existence.
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