Wadjda : L’Effrontée
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Haifaa al-Mansour.
Chouf, chouf : voici, venu d’Arabie (saoudite) un premier film – et non « le premier film
saoudien » comme le claironne à tort une affiche, puisque précédé par un
certain The Kelly Gang, apparemment – simple et sympathique, juste et
maîtrisé. Sur un argument de suspense
ludique, la réalisatrice livre une œuvre souriante et solaire, sise à l’ombre
« illuminée » d’élections masculines, du terrorisme mortel en
« piqûre d’aiguille » divine (disent-ils), d’un chauffeur venu
d’ailleurs et impatienté par le court retard de l’enseignante. Si le gamin de
De Sica recherchait la bicyclette de son papa, la gosse de Wadjda veut en acquérir
une, belle bête verte « réservée », cassette de chansons d’amour à la
clé, en signe d’amitié, au vieux vendeur de jouets. Quoi de mieux, nom de Dieu
– gare au Sheitan, avec ou sans Vincent Cassel – qu’un concours coranique
(pas ta mère) ? La demoiselle, plus grande que ses camarades, pas
encore réglée (il lui faudrait alors manipuler le livre jugé sacré avec un
mouchoir, à l’instar d’une condisciple), innocente trafiquante de bracelets aux
orteils vernissés dans des baskets de marque US,
accessoirement entremetteuse, s’achète aussitôt, dans la même boutique, à un
prix modique (aimable pratique culturelle du marchandage), Le Coran facile, QCM en
DVD aux allures bleutées de Qui veut gagner des millions ?
Finalement, elle saura répondre à l’interrogation liminaire sur les
Sabéens ; mieux, elle remportera le prix, au prix d’une jolie psalmodie,
où même les anathèmes paraissent adoucis par la poésie de son chant d’adolescente
au bord de la féminité (et sur la scène de son école, devant une assemblée à la
Carrie
au bal du diable, sheitan bis).
Hélas, la récompense (de ses efforts)
finira fraternellement en Palestine, ainsi qu’en décide la directrice outrée (audacieuse
recevant chez elle un amant déguisé en voleur) par son effronterie naïvement
avouée de s’acheter illico sa toquade
à deux roues (et non quatre, pleure-t-elle auprès du serviable Abdallah, qui
lui donne de surcroît quelques rials pour essuyer ses larmes gentiment vénales,
qui lui déclare en petit coq possessif, sincère et généreux qu’il l’épousera
plus tard). Mais le Seigneur, peu importe ici son nom, ou le sort
miséricordieux, en décideront autrement – la maman, esseulée par son mari
parti, amoureux en quête d’un héritier, lui fera cadeau (en rime avec une tasse
made in China ornée d’une autre mère
voilée) du véhicule, le couple nocturne surplombé par un triste feu d’artifice
à la Blow
Out. L’épilogue nous montre les deux jeunots en train de faire une
course joyeuse avant que Wadjda ne s’arrête devant une route et l’horizon
marin, à palmiers, au croisement des directions – son visage de sourire se
tourne à droite, à gauche – et de sa vie. L’avenir reste à établir, à
parcourir, dans un pays où la « parité », où les salles de cinéma, n’existent pour l’instant pas. Laissant à d’autres la victimisation et les
récriminations, Haifaa al-Mansour, issue d’un milieu confortable, universitaire
au Caire, professeur d’anglais pour des pétroliers, formée à la réalisation en
Australie, signe du haut de sa quarantaine ouverte (sur les êtres, sur le
monde) une chronique, un conte et un constat jamais misandres (tandis qu’elle
pourrait facilement verser dans le manichéisme sexué, au vu du contexte
machiste et théocratique), toujours légers, enjoués comme une balade à
bicyclette (la bleue de Régine Deforges davantage érotique et historique,
certes, et celle de Montand bien plus nostalgique, évidemment).
On peut penser à Kiarostami, à Satyajit
Ray, voire à Truffaut (mais pas de regard caméra en coda), Duvivier (tournage
« invisible » dans une camionnette et en direct pour le Léaud de Boulevard)
ou Christine Pascal (souffrance de l’enfance) – on découvre surtout, et on la
célèbre pour ceci, une femme attentive aux autres femmes (les trois principales
du récit, sans oublier la tante émancipée en blouse blanche d’hôpital), à leur
quotidien au téléphone ou à la cuisine, à leur douleur sobre (polygamie
poignante), à leur beauté (sensualité d’une robe rouge et de Reem Abdullah), à
leur intelligence pratique (comment parvenir à son but avec adresse, finesse, détermination,
communion), à leur lumière intérieure, qu’aucun vêtement « de deuil »
(pourtant le noir, là-bas comme en Asie, ne comporte pas cette connotation
sépulcrale occidentale) ne peut venir entraver. Gardons-nous de dupliquer les
hyperboles critiques et saluons la naissance en fiction, après quelques courts
et un documentaire remarqué, d’une vraie cinéaste : ni « chef-d’œuvre »
ni « miracle » (y compris laïc), Wadjda, primé à l’étranger, porté avec
grâce et candeur par une jeune actrice irrésistible, la longiligne Waad
Mohammed, nous ouvre une porte modeste et subtile sur un espace et des mœurs
dont la familiarité, la proximité, en dépit et au-delà des différences, des
distances, ne peut que nous séduire et nous instruire (sur elles et sur
nous-mêmes, tant l’altérité participe de toute identité).
Ne passez donc pas à côté de cette
production « princière » en partie allemande (alliance antisémite
entre les géographies, aux heures enténébrées de la Seconde Guerre mondiale,
faut-il le rappeler, heureusement désormais conjurée par une coopération de cinéphiles,
avec notamment Max Richter, l’auteur du superbe score du Congrès, aux cristallines
ponctuations sonores), totalement « universelle » – espéranto des
visages, des corps, du désir, des émotions, des relations publiques ou privées
–, valant aussi pour sa précision (intensité de la première étreinte
paternelle, bienveillance du dernier regard du vendeur dans la rue), la clarté
de chaque plan, de chaque scène, de chaque impression (le symbolisme facile de
l’objet convoité n’effleure pas l’héroïne, elle fait l’expérience d’une liberté
relative et dynamique, avant même de savoir de quoi il s’agit en politique).
« Chez nous, les filles ne font pas de vélo », en effet, ou cachées, mais
au cinéma, oui, et cela, cette lutte tendre, sinon altruiste – « Dans le
combat entre toi et le monde, seconde le monde » préconisait Kafka dans
ses Réflexions
sur le péché, la souffrance, l’espérance et le vrai chemin –, s’avère
un très joli premier pas (d’émancipation, d’affirmation), que l’on souhaite,
inch’Allah, ne pas être le dernier. Choukran, Madame…
J'ai bien aimé celui-ci. La réalisatrice sait recréer la magie de l'enfance, et ce malgré un contexte compliqué, la scène de l'apparition du vélo, quasi volant (E.T. ?) pour en témoigner.
RépondreSupprimerCertains voient De Palma partout, d'autres Spielberg ; et "magie" noire, pas seulement vestimentaire, par exemple quand un vieil ouvrier lascif interpelle depuis un toit la jeune fille dans la ville (Wenders ?).
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