Les Pleins Pouvoirs
Écrire sur/contre et au-delà du cinéma.
Reagan, Bush & Trump. Une belle
trinité d’enfoirés, en vérité. Quel beau scénario de fachos caricaturaux, ter repetita,
voilà. Vox populi, vox vomi. Toujours
les nazis remercieront la démocratie. Et en face la blondasse WASP suffisante,
établie et menteuse autant que son mari amateur de cigare buccal dans son ex-bureau dit ovale, qui se morfond dans la
victimisation sexuée (pas élue parce que femme, ben voyons). Comme le ça à ciel
ouvert, la décharge de mots, d’injures, de mains au cul verbales et
verbalisées. Un grand pays peuplé de petits esprits. Qui mérite bien ce respectable
résultat de scrutin, ce plébiscite par procuration de crétins. Qui proposait un
choix non plus cornélien mais suicidaire. Tout ceci éclaire sur la colère, la bêtise
et l’irresponsabilité généralisées. Les terroristes s’éclatent dans un monde
terrorisant. Poutine, barbier de Sibérie et gymnaste du KGB, imite De Niro en taxi driver
adepte des pompes en solitaire. L’écœurant président supposé normal, classé à
gauche, spécialisé dans les homélies laïques (dans son élément mémoriel à
Compiègne), épris de starlette inepte, contempteur de pauvres incapables de se
payer des soins dentaires, invite le ploutocrate à moumoute à changer, à
s’amender, à commercer, à l’instar de la Chine et tant pis pour les droits
humains dissous dans le turbin-butin mondialisé. « Demain est un autre
jour », assure Tara à contre-jour. Une façade en flammes et rien,
absolument rien derrière, ironisait Selznick en parabole méta et politique. Des
attentats exécutés avec éclat, des guerres invisibles, des bombardements de
bien-pensants et roule ma poule à Mossoul. Tu n’as rien vu à Hiroshima, ni à
Srebrenica, ni à Kinshasa, ni où tu voudras et cela dure depuis des
millénaires. Avec le temps optique viennent la complexité de la mise en scène,
le raffinement de la réalisation, la sidération du spectaculaire, la laideur
populiste des mauvais acteurs.
De Gaulle, résistant londonien, déjà
se moquait des citoyens adultes camés à Mickey puis les insulaires British fermèrent leur frontière marine, pour ainsi dire, au grand
plaisir de Morrissey, le chanteur désenchanté, pas le réalisateur républicain.
En Hongrie aussi, ils refoulent les réfugiés, en suppôts du Méphisto de Szabó,
tandis que l’Union européenne, nécessaire et malsaine, s’enlise dans le
bricolage d’urgence et d’incurie, que la France délocalise des transits appelés à durer, au sein d’un
territoire connaissant depuis quarante ans un chômage structurel et des
tensions « ethniques » – ils parlent ainsi, outre-Atlantique –
indéniables, vérifiées à chaque « rendez-vous civique » (injonction
de vote, sous peine de passer pour un « mauvais Français », « de
souche » ou non). Mais vive la République, la laïcité, l’Éducation
nationale et le CNC ou son actuel acronyme intégrant « l’image
animée ». Les images justes de Godard, qui s’en soucie, ici, au
juste ? Tant que l’on continue à partir en vacances en été, à skier en
hiver, à ingurgiter au quotidien la camelote télévisée, l’ersatz numérique ;
tant que les vieillards s’échinent à crever dans leurs mouroirs, les malades à
succomber aux soins palliatifs, quatre-vingt-cinq pour cent d’une classe d’âge
à décrocher son bachot, Sting à revenir aux sources policières au Bataclan
renaissant, tout va pour le mieux, non ? Et si tout cela ne vous convient
pas, personne ne vous retient, allez donc émigrer au Canada, son site en ligne pris
d’assaut mardi soir, paraît-il, amusante « légende urbaine » en rime
à celle, radiophonique, des Martiens de Welles empruntés à Wells. Heureusement qu’il nous reste
le cinéma pour rêver, pour ne surtout rien changer, pour se lover dans la
nostalgie rassie et la gloire éphémère d’aujourd’hui. Que l’on parle à ce point
de ce qui devrait à peine occuper une seconde d’attention stupéfie et désole.
Oui, continuons de la même façon,
appelons de tous nos vœux et en plein jour l’avènement légal et commercial des « forces
obscures ». Les Lumières arrogantes, on vit ce qu’elles enfantèrent, des
bourreaux, des guillotinés, des affameurs, des nettoyeurs, de piètres peintres,
des généraux orientaux, des pensionnaires du goulag et des exterminés de
génocide, problème « racial » finalement solutionné par l’industrie (comptons
sur les charmants émules de Mengele pour nous concocter de délicieux cocktails eugénistes) ou à la bonne
vieille machette. Le cinéma, mon petit gars, qui ça intéresse encore, à part
les branleurs et les impuissants (pléonasme) ? Dans un monde
essentiellement sadien, la narration disparaît, la morale défaille, les sens
s’avèrent insuffisants. La vie se réduit à un simulacre, à une stimulation, à
une suite interminable, ad nauseam, de chiffres, de produits, de combustibles,
de « matières premières » anonymes à liquider à bon marché. Au terme
des cent vingt journées sodomites, voire pasoliniennes, présage apocryphe du poussiéreux
Nouveau Roman, il n’existe plus de personnages, de « message »,
d’intrigue et moins encore de style : la littérature se fait enculer par
la comptabilité consumériste et sinistre de l’assassinat, par l’énumération
pure, purifiée des affects, du massacre vertigineux et harmonieux. Bienvenue
dans l’art du vingtième siècle, dans la modernité envisagée avec une géniale et
dérangeante lucidité. Les livres et les films devraient servir à l’identique,
nous brûler les mains et les yeux, nous tendre un miroir aussi noir que l’âme,
nous fournir quelques outils pour lutter contre notre vilenie chérie. Pas d’édification,
cependant, plutôt de l’observation, voir enfin les choses et les êtres dans
leur nudité de festin, dirait Burroughs, quand chaque convive avise exactement
ce qui se tient au bout de sa fourchette (polenta aux clous au menu sur la
carte infernale du Frioulan). Mais le box-office
annexe jusqu’à l’auteurisme estampillé social – sur l’écran n’apparaît qu’un
mensonge en effet éhonté, « engagé », récompensé, foutrement
inoffensif.
Après le « communicant »
aux faux airs de Sidney Poitier – devine qui vient jouer à l’homme des foules
ce soir ? –, à la décontraction très étudiée, au bilan quasiment
inexistant, inutile de te draper dans ta couverture sociale, ex-avocat de Hawaï, voici donc le sacre
du magnat, du mogul, du tycoon, de l’avatar des producteurs hollywoodiens
d’antan, maîtres des fictions, des carrières et des apparences, plus proche de
Tapie que de Hearst. Le Greg Stillson de Stephen King, David Cronenberg et
Martin Sheen peut aller se rhabiller à Castle Rock enneigée : la baudruche
inculte, ignare et hâbleuse (une pensée au passé pour la jolie Kelly, « hardeuse »
homonyme), fils d’agent immobilier, révélateur pedigree, dispose à présent du fameux bouton rouge associé au
joujou nucléaire. Les Latinos changent de couleur, paraissent presque albinos.
Construisez-moi fissa ce mur mexicain que je désire asseoir. Regardez bien
comment je vais diriger cette puissance mondiale auto-proclamée « gendarme
du monde », avec mille brillants exemples. Au lendemain de la gueule de
bois au champagne de parvenu, une poignée de guignols abreuvés au « politiquement
correct » agite des pancartes en déni sur Times Square sans Mr. Robot. Il en
faudra plus pour l’arrêter, il en faudrait davantage pour vous rédimer. De
l’autre côté de l’océan, que l’on se garde toutefois de donner trop de leçons
de morale républicaine, de psychologie des masses, d’antiaméricanisme au carré,
risible spécialité française, car la « cinquième colonne » fait
florès là également, l’onanisme se pratique devant les blondes héritières ou
les prêcheurs barbus. Les beaux lendemains du storytelling et des connards aux super-pouvoirs en costumes
bariolés se dessinent à l’horizon d’attente de l’électorat, de l’audimat. La
pulsion eschatologique tourne à plein
régime visuel, la dimension mythique réclame son tribut réel à la tribu des
votants, des mécontents, des partisans de l’inertie (poser son postérieur dans
un fauteuil en velours au creux matriciel d’une salle obscure, extatique
régression autorisée, encouragée, sponsorisée en nos contrées avec de l’argent public).
The End, really, at least, Mr.
President.
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