Snowpiercer, le Transperceneige : L’Équilibre de la terreur
Express autour du pôle, terminus
hors omnibus, petit livre rouge et grand
conte blanc…
Nous roulons protégés dans l’égale lumière
Au milieu de collines remodelées par l’homme
Et le train vient d’atteindre sa vitesse de croisière
Nous roulons dans le calme, dans un wagon Alstom,
Nous roulons protégés par les cristaux liquides
Par les cloisons parfaites, par le métal, le verre,
Nous roulons lentement et nous rêvons du vide.
Michel Houellebecq, Célibataires, Présence humaine
« Une fois à leur place, on sera
différents » affirme Curtis, messie récalcitrant mais vaillant, à Edgar,
disciple rescapé de son appétit tabou ; plus tard, Wilford, amphitryon
méphistophélique, lui susurre : « Le train est le monde. Nous sommes
l’humanité. » L’ingénieur isolé (avatar vieilli du hikimori du segment Shaking
Tokyo), en train de cuire un steak,
donne au leader forcément « charismatique »,
accessoirement cannibale, un petit cours en accéléré de politique et de
dialectique : pour maintenir l’ordre à bord, dans le corps de métal du
train, dans le corps symbolique (et amputé) de la société (ce qu’il en reste,
après une mauvaise réponse eschatologique au réchauffement climatique), une
bonne dose de chaos s’avère
nécessaire. Curtis, dépité, désillusionné, pénètre dans la proue du navire
(admiration de l’auteur pour le Queen Elizabeth), y rencontre un Nemo gentiment
facho (ah, les yeux bleus d’Ed Harris), découvre la collusion entre les
antagonistes âgés, « figures paternelles » hautement
« castratrices » (John Hurt, presque un spécialiste du sous-genre
dystopique, incarne un sage aux membres raccourcis, un meilleur ennemi avec
lequel l’homme d’affaires solitaire s’entretient longuement la nuit au
téléphone). Épigone de Dorothy à Oz, il
découvre le truc du magicien de la machine, il se voit même proposé de lui
succéder (de réguler une sauvagerie sciemment organisée), grâce à son courage
et à son endurance modelés sur le jeu vidéo et le monastère Shaolin (progression
par paliers, horizontalité narrative des compartiments contre verticalité des
épreuves physiques et spirituelles). Soixante-quatorze pour cent des
« queutards » impuissants, se reproduisant pourtant (filigrane gay à l’avant), doivent donc disparaître,
histoire de maintenir l’équilibre entre les occupants de la nouvelle arche de
Noé, à vive allure sur son océan glacé, parfois aperçu derrière la vitre
panoramique.
Le capitaine amène et impitoyable
félicite le héros du jour pour le grand spectacle offert, et le blockbuster de Bong Joon-ho se met en
abyme, souligne son caractère déceptif (pour un public supposé US, tandis que
l’enquête documentée de Memories of Murder ne bouclait aucun
coupable) ; dindon de la farce faussement héroïque et anticapitaliste à
l’ONU sur rail, il devient une légende à la Richard Matheson, il pourra se
passer des tablettes aux insectes (variation sur la nourriture humaine, trop
humaine, de Richard Fleischer dans Soleil vert), il accède au trône
pyramidal, à l’espace confortable, à la prêtrise profane de la sainte
locomotive (pas celle de Renoir ou Lang, éventuellement celle des Lumière ou de
Brian De Palma en Mission impossible et surtout réflexive). L’allégorie
religieuse (davantage que marxiste), en partie écrite par un ancien théologien
(Kelly Masterson, lui-même homosexuel, ancien séminariste franciscain, naguère dramaturge
le soir et banquier la journée, scénariste d’un téléfilm dédié à l’assassinat de
Kennedy et du 7 h 58 ce samedi-là de Lumet), conjure in extremis la tentation de l’hubris fasciste par un deus ex machina quasiment littéral, en
l’occurrence un gosse enlevé à sa mère (motif maternel en réminiscence de Mother),
petit esclave noir plongé dans l’enfer doré du moteur, rouage puéril d’un
mécanisme finalement fragile (et non pédophile). Curtis, ses esprits repris
grâce à l’intervention d’une juvénile « voyante » (« enfant du
train » de dix-sept ans, la durée à bord du barbu au crâne ras, croisement
dépressif de Spartacus & Che Guevara), Asiatique à l’ouïe très fine,
extrait le gosse au prix de son bras (gauche, évidemment, en bonne logique
contextuelle), se rédime en sacrifiant son appendice sinistre, avant qu’une
explosion à la coke locale ne vienne
déclencher une avalanche et renverser le « cheval de fer » (ou
serpent) circulaire.
La coda, avec son ours polaire numérique
à la Coca-Cola (souvenez-vous du spot),
émancipe les deux mineurs, les rend à la nature, ouverture (possibilité de la
vie, pas bottés enfoncés dans la virginité du devenir, en mémoire de Neil
Armstrong sur la Lune) ou fermeture (l’animal regarde avec indifférence ces
deux spécimens de l’espèce humaine, survivants de figurants à la Benetton, sous
peu condamnés à périr dans l’immense cercueil immaculé). Auparavant, cette
adaptation apparemment « libre », allégée, d’une BD elle-même plus ou
moins enracinée dans un roman sériel de Georges-Jean Arnaud (La
Compagnie des glaces), production cosmopolite et succès commercial/critique,
constitue un beau (richesse évocatrice de la direction artistique de Stefan
Kovacik, des décors d’Ondrej Nekvasil, des costumes de Catherine George) huis
clos en mouvement peuplé par une faune (et une flore, sous forme d’orangers) bigarrée,
entre suspense et sourire, grotesque et beauté, trajectoire rectiligne et
picaresque du récit, en démonstration magistrale de la capacité « naturelle »
du cinéma sud-coréen, même exilé à L.A., en Tchéquie ou en Autriche, à mêler
les tonalités, à relier les plans (double sens) de réalité, de lecture. Le film
alterne moments de repos, de dialogues, de monologues et scènes d’action (combat
de cagoulés à la torche dans l’obscurité verte réglé par Julian Spencer, à
l’œuvre également sur la lutte anthologique et tatouée des Promesses de l’ombre) exécutées
avec une violence et une grâce incomparables, alliage là encore caractéristique
de cette cinématographie (où trouver ailleurs la poésie incongrue, cohérente et
poignante d’un flocon en apesanteur au milieu de la crasse et du sang ?).
Chris Evans, crédible dans son contre-emploi
de candide écœuré plutôt que révolutionnaire, ose glisser sur un poisson
éventré, s’évaporer in fine, l’irréprochable distribution
chorale le précédant de peu dans l’abîme en circuit fermé (majorité médiatique
du chemin de fer, nouvel an abstrait fêté même au cœur de la bataille !).
Citons les noms de l’émerveillée Ko Ah-sung, de la « millimétrée » Emma
Levie (panoplie jaune de canari à main armée), de la musicienne Alison Pill, de
l’oscarisée Octavia Spencer, de la « dentée » Tilda Swinton (manteau
de fourrure, tailleur pourpre, tunique blanche et des faux airs de princesse
Leia thatchérisée), du sacrifié Jamie Bell (bien grandi depuis Billy
Elliot), du paternel et hirsute Ewen Bremner, de l’increvable Vlad
Ivanov (My Joy), de l’agile Luke Pasqualino, de l’impénétrable Song
Kang-ho (apprécié itou dans Antarctic Journal d’après un
scénario de Joon-ho ou Le Bon, la Brute et le Cinglé), tous
dotés d’une identité d’existence dans la diégèse, tous talentueux dans leur
jeu. Dans le confinement, Bong joue de la longueur (densité des deux heures),
de la perspective (profondeur de l’écran, sans le recours facile à la 3D), de
la plongée (sur les couchettes, sur les précipices surplombés par les ponts). La
guirlande des diverses voitures, univers en soi à explorer à la manière de
toiles animées, redouble et paraphe la diversité « générique » de
l’ensemble, sa volonté de mixer les registres, les émotions, les horizons
justement dans une absence d’horizon, sinon d’espoir (ils arrivent disons « à
destination », et après, et alors ?). Déjà The Host procédait du
même brassage, relecture doublement domestique de Godzilla comme Snowpiercer,
le Transperceneige reformule Le Magicien d’Oz (éventuellement Runaway
Train).
Monstres et merveilles accompagnent
le voyageur mobilis in mobile,
échantillonnage sociétal aux résonances contemporaines (les resquilleurs en
miroir des migrants, clairement). Pas de « dictature du prolétariat »,
même supputée provisoire, durant le trajet de réappropriation, mais une fable
adulte et intègre (malgré la menace avortée des tripatouillages de montage
habituels des frères-épiciers Weinstein) sur le déterminisme, sur la position
(de classe, première, deuxième ou dernière) sociale et morale, sur le
libre arbitre au sein du trafic (Curtis ou le contraire de Cabrel, qui prenait sa place dans le trafic, en
effet). Le cinéaste semble se refléter dans la persona de son protagoniste (ou la silhouette du dessinateur), le trauma, l’échec et la mort en moins (il compara, assez maladroitement,
avouons-le, l’aventure différée, intense, de la gestation puis du tournage, à
un cancer vaincu). Avec ses clins d’œil, patronymique à Terry Gilliam, musical
à Shining
(scène du sauna, et Marco Beltrami ne démérite pas), cinéphilique à Charlie
et la Chocolaterie (épisode scolaire satirique, cauchemardesque et
coloré, en sus d’une institutrice enceinte assassine, assassinée), avec le
concours crucial d’Eric Durst aux effets spéciaux, Hong Kyung-pyo à la photo (serre,
salon de coiffure ou night-club vifs
et anachroniques opposés à la grisaille générale) et Park Chan-wook en
producteur, Snowpiercer, le Transperceneige représente à lui seul et en soi
un généreux contre-exemple du déchirement présent (dans les salles et au-delà),
un écosystème esthétique et métaphorique harmonieux et respectueux, où les
cases de story-board du réalisateur
remplacent les mensongers (car manipulateurs) messages encapsulés d’un Hearst
ferroviaire ou d’un Pinault de loco.
La résurrection du concepteur coréen
de la sécurité, endormi dans son casier de morgue, se lit ainsi en
métonymie d’une œuvre tournée vers
l’élan (individuel et collectif), la lumière (même aussi aveuglante que la
vérité), le soleil du happy end ambivalent, en antidote à la tristesse
irréversible de Mother (dixit Bong
dans le dossier de presse). « Le film incarne une ode universelle à la
résistance dans laquelle chacun peut se projeter avec sa propre culture » confiait-il
encore (source similaire) au dessinateur Jean-Marc Rochette – train arrivé à
bon port, dans ce grand Nord purement cinématographique, en rime notamment avec
la solidarité désenchantée de Dernier train pour Busan, itinéraire
bis (voire balisé), moins futuriste,
vers la survie d’aujourd’hui : « tous dans le même bateau », dans
la même nef (des fous) et dans le même train, terrestre frangin.
Ce film de BONG JOON-HO est venue de l'idée de la bande dessiné Française qu'il à trouvé chez un libraire a Séoul où il décida d'adapter au cinéma. Etant fan il en a eu l'idée avant de faire THE MOTHER.
RépondreSupprimerEn effet ; voici ce qu'il en dit : "La bande dessinée était magnifique et était partie d’une idée originale mais je devais à tout prix trouver une histoire entièrement nouvelle avec de nouveaux personnages afin de créer un SNOWPIERCER, un transperceneige nouveau, dynamique et chargé d’émotions cinématographiques."
SupprimerIntéressant dossier de presse à télécharger ici :
http://www.le-pacte.com/france/catalogue/detail/snowpiercer/