Dangereuse(s) sous tous rapports : Médaillons de Jenny Agutter, Edwige Fenech et Caroline Munro
Ouvrons aujourd’hui un nouveau chapitre de la politique des acteurs,
comprendre, des actrices…
Après Rebecca De Mornay, Marlène
Jobert ou Laure Marsac, parmi toutes les autres louées ici et ailleurs, voilà trois grâces brunes et blonde,
rayonnantes dans l’éclat inaltéré de leurs meilleurs films, remontés en
cérémonies pas si secrètes afin de célébrer leur beauté, leur talent, leur
générosité de comédiennes et donc de femmes. On s’en souvient : dans Les
Quatre
Cent Coups, l’ado Léaud, avatar de Truffaut, volait sur la façade d’un
cinéma une photo de la plantureuse et solaire Harriet Andersson, glorifiée par
Bergman dans Un été avec Monika. Ces brefs éloges prolongent et corrigent
son geste à l’ère de la cinéphilie numérique. Il ne s’agit plus de dérober une
relique laïque pour la contempler, l’idolâtrer dans l’obscurité d’une chambre
masculine, propice aux rêves humides,
ni de plaquer sur leurs traits le (trop) cher fantôme d’un amour passé, tel ce vrai coupable de James Stewart dans Sueurs
froides, fatalement trahi par le Temps qui détruit tout – et même la
superbe agonie d’une seconde Monica (Bellucci) chez Noé – mais au contraire (et
rien moins que) de les donner à voir,
de transmettre en « passeurs » et « cinéfils » (Daney)
épris de leurs mères symboliques sur pellicule, l’émotion qu’elles continuent à
provoquer sur d’autres générations, pour les siècles des siècles du cinéma
dématérialisé – « Merci les filles ! », comme disait,
rituellement, l’invisible Charlie à ses Drôles de dames…
- Le Portrait de Jennie
« We love you Jenny! » Ce
cri du cœur, que nous partageons, termine la biographie express d'une belle
actrice assorti à ce montage très agréable.
Le portrait de Jenny (clin d’œil à
Jennifer Jones !) Agutter comporte plusieurs facettes, puisqu'elle illumina les
films de Robert Wise (Star!), Nicolas Roeg (La Randonnée),
Michael Anderson (L'Âge de cristal), David Hemmings (Le
Survivant d'un monde parallèle), John Landis (Le Loup-garou de
Londres) et de Sam Raimi (Darkman). Récemment, on put la
voir aussi dans les trahisons filmées des BD de la Marvel... Sa douceur
naturelle, l'élégance de son jeu, riche de sensualité, voire de « folie »,
sous-jacentes, en font l'une des comédiennes les plus attachantes – et trop discrètes ! – de sa génération.
Il faut donc vite redécouvrir Miss Agutter, qui, contrairement à son patronyme,
tutoya bien plus souvent les étoiles que le caniveau (avec ou sans lune)...
- La Renarde
Voici, sertie dans un joli montage rythmé
par un Bruno Nicolai en pleine imitation de Morricone, la « reine »
incontestée du giallo.
Si Barbara Steele inquiétait, si
Florinda Bolkan jouait les Amazones, si Anita Strindberg dissimulait le feu
sous la glace, Miss Edwige Fenech, obscur et coloré objet du désir, avec son patronyme
improbable et sa beauté de statue de cire, suscite l'érection de son culte – pas de contrepèterie sous notre plume numérique – auprès d'adorateurs enamourés
par son regard immense, miroir charnel et charmant d'une nostalgie pour un
genre fétichiste et une époque libertaire. De façon plus surprenante, elle
émeut aussi, héroïne tragique en proie aux hommes (et même aux chiens !) gantés
de noir ou saisis dans leur triviale nudité, femme du Sud et donc descendante
apocryphe des Antigone, Électre et autre Médée. Fidèle à l'honorable Sergio
Martino, il lui manqua sans doute, malgré des rencontres ratées avec Bava, Risi
ou Deodato, un « vrai » cinéaste pour sublimer son talent et sa
silhouette. Notons qu'Eli Roth, malicieusement, renversera sa persona de modèle/muse
volontiers mise à nu, dans son Hostel, chapitre II, où elle
incarnait (brièvement) un professeur de peinture, bien à l'abri des sévices
réservés aux jouvencelles américaines et européennes (de l'Est) par la torture « capitaliste »
mondialisée...
- Caroline chérie
Face à la sculpturale Caroline Munro,
on se retrouve un peu, avouons-le, dans la position, délicieuse mais
inconfortable, de la Bête devant sa Belle, schéma figuratif et pulsionnel
d'ailleurs retravaillé par le diptyque tourné au côté de son ami Joe Spinell –
lui-même pourvu d'un physique disons « ingrat » : Maniac et
le méta Les Frénétiques.
Celle qui fit ses débuts en tant que
modèle devant l'objectif de David Bailey trouva de nombreux écrins à son charme
joyeux et tendre : dans les deux volets des aventures de labo-minable docteur Phibes, en épouse décédée de Vincent Price ;
flanquée de Sinbad pour son voyage fantastique (ah, celui de Raquel Welch chez
Richard Fleischer !) ; dans une courte et pourtant mémorable apparition
pétrifiant Roger Moore (et volant la vedette à Barbara Bach !) devenu Bond une
fois de plus, voire de trop ; en bourreau sous la douche pour Le
Jour des fous, en victime dans une clinique de chirurgie (pas très)
esthétique dans Les Prédateurs de la nuit (vive
Brigitte Lahaie !) et, plus récemment, en gitane cartomancienne dans Flesh
for the Beast, délectable caméo en clin d’œil à son meilleur rôle (et
film), Capitaine Kronos, tueur de vampires, signé de
l'irremplaçable Brian Clemens. On citera encore Starcrash : Le Choc des
étoiles, réponse italienne, dérisoire et précieuse, au Barbarella bourgeois
de Vadim, dans lequel sa tenue ajourée en cuir noir affola sans doute nombre de
jeunes cinéphiles.
Mais Caroline mérite notre tendresse
pour bien d'autres raisons que sa silhouette parfaite, quelque part entre Silvana
Mangano, Stefania Sandrelli ou la regrettée Laura Branigan : cette fille, et
femme, toute « simple » servit toujours le (mauvais) genre avec une
admirable abnégation et un enthousiasme communicatif. On trouve beaucoup
d'humour dans ses yeux sans fond, et une grande camaraderie dans ses émouvantes
rondeurs. Amazone féminine mais jamais féministe, côtoyant des hommes fragiles,
blessés, immatures et dangereux, elle conserva en toutes circonstances, même
les plus proches du ridicule, une grâce, une franchise et une allégresse qui
expliquent la permanence de son succès, notamment public, lors des fameuses et
nostalgiques conventions anglo-saxonnes. Miss Munro, en une
poignée de films et de panoplies seyantes, incarna, mine de rien, un esprit
très sixties, sexy et léger
comme des bulles de champagne, belle flamme vive et brune parmi les signes
avant-coureurs des catastrophes et des violences à venir – pour cela aussi,
nous l'aimons beaucoup...
Ton texte fait honneur à ces trois actrices, tu manies le verbe comme Frank Frazetta peignait ses héroïnes ! Tu es un artiste, Jean-Pascal. Le cinéphage érotomane que je suis, ne se lasse pas de lire ton portrait d'Edwige Fenech (la souveraine de mes rêves éveillés, comme tu le sais)...
RépondreSupprimerGrand merci pour l'honneur de cette comparaison, cher Michel ; de Frazetta, j'admire bien sûr Conan le Barbare et Vampirella, mais je retiens surtout les affiches du Bal des vampires et de L’Épreuve de force. Tu commences à connaître mon "obsession textuelle", aussi je me permets de préciser que l'érotomanie s'avère une maladie, celle de se croire aimé (cf. le personnage de Jessica Walter in Un frisson dans la nuit), alors que notre goût partagé pour l'érotisme au cinéma semble la preuve d'une bonne santé spéculaire !
SupprimerTu as entièrement raison, j'avais moi-même vérifié la signification du terme avant de l’utiliser. Cette expression se retrouvait souvent dans la bouche des fantasticophiles midi-minuistes (Gérard Lenne se définit lui-même comme tel). Voilà l'origine de mon erreur...
SupprimerBel ouvrage de Lenne sur ce thème à La Musardine, en (indispensable) duo avec celui de Zimmer dédié au film X, d'ailleurs aperçu chez le sieur Beaudry...
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